À l’occasion de la sortie en mars du recueil, Le goût de la solitude, textes choisis et présentés par Alexandre Maujean au Mercure de France, Monsieur Nostalgie nous parle de cet état qui va de l’enfermement à la béatitude…
« Français » et « solitude » sont des mots qui vont bien ensemble. Le Français traîne avec lui depuis un bon siècle et demi, une tentation intime de l’exfiltration monastique. Il y a en lui, la volonté du départ, pas très loin, en périphérie, hors la ville, ce n’est pas un grand explorateur, il rêve à un barbecue et à une partie de pêche, loin des emmerdements et des oukases. La maison individuelle ou la résidence secondaire sont les buts d’une vie pleinement réussie pour tous nos compatriotes. Le Français a le désir puissant de quitter le groupe, l’entreprise, l’association, ne parlons pas du parti politique, il le déserte depuis trente ans. Un billet de loto et il s’en irait, loin des ordres et des contre-ordres, de la férule administrative et des jalousies de bureau, en roue libre pour voir ce que ça fait d’être sans fil à la patte. Autonome. Sans compte à rendre. Le Français est un traînard à la manière de Jean-Pierre Marielle. Il révèle sa profonde nature dans le déport, ce léger désaxage provient certainement d’une culture égalitariste qui l’opprime depuis l’école. La France aime les sillons et déteste les têtes qui dépassent. Dans un pays qui a longtemps eu des velléités d’absorption et d’annihilation de l’individu au profit de la sainte République, il n’a rechigné « au vivre ensemble » qu’au prix d’intimidations et du cadenassage des idées. S’il n’avait tenu qu’à lui, il serait retourné dans sa province et aurait vécu comme ces nobliaux désargentés qui pataugent dans la gadoue du matin au soir et observent le délabrement de leur toiture en se lamentant.
A lire aussi: Olivier de Kersauson: « Cesser de se plaindre est une politesse et une affaire de bon sens »
Le Français n’est cependant pas un animal triste, il peut, en de rares occasions, jouir de la compagnie de ses congénères, lors d’un repas de famille et d’une sarabande sportive ; mais très vite, il reviendra à l’état de solitude. Son état premier. Quand le grand âge l’atteint, il s’accroche à son lopin de terre, à son petit appartement, à ses habitudes, à ses fantaisies ménagères car personne ne veut terminer son existence dans ces colonies lugubres avec d’autres Hommes de sa classe, ça lui rappellerait trop le service militaire. L’obligation de partager son quotidien avec d’autres inconnus, tout en se faisant dépouiller de sa maigre épargne, sont les sévices que nos aînés pourtant endurent. Le Français est aussi un être particulièrement versatile, enfermé dans la nasse sociale, il aura le désir de s’échapper et s’il lui venait d’être seul, vraiment seul, de souffrir alors de l’isolement et du manque d’attention, il supplierait pour une rencontre même facturée. Pour nous éclairer sur ce vaste champ, Alexandre Maujean a très habilement réuni des textes d’auteurs majeurs (Thoreau, Balzac, Roth, Kafka, Stevenson, etc…) autour de cinq grandes thématiques : retour à la nature, à l’isolement, exil intérieur, enfin seul et seul contre tous. Car la solitude est mouvante, instable, elle revêt à la fois des notions négatives et mortifères, mais également elle est soupape de sécurité, régénératrice du « moi ». Chaque écrivain la pare, selon son état d’humeur, de tous les vices ou de toutes les réjouissances. Pour Olivier de Kersauson, elle est constitutive de notre identité : « La solitude est le seul moment réel de notre vie ». Elle nous ancre et nous porte. « Même le voyage amoureux est un voyage solitaire » écrit-il. Thoreau ne dit pas autre chose, dans sa cabane du Massachusetts où il résidera deux années : « J’ai tout à moi seul mon horizon borné par les bois […] J’ai, pour ainsi dire, mon soleil, ma lune et mes étoiles, et un petit univers à moi seul ». Chez Dino Buzzati, la solitude se fait espoir pour le lieutenant Drogo affecté au fort Bastiani à la frontière du Royaume du Nord, longue attente en vue d’une hypothétique bataille : « Au fond, une simple bataille lui eût suffi, une seule bataille, mais sérieuse ; charger en grande tenue et pouvoir sourire en se précipitant vers les visages fermés des ennemis ». Du côté de Rutebeuf, la solitude est synonyme d’infortune plaintive : « L’amitié est morte : ce sont amis que vent emporte ». Et puis, il y a la solitude du Feu Follet, le recueil reprend le dialogue de Drieu la Rochelle entre Alain et Minou qui sortent du bar et marchent dans la rue. Alain avoue : « Ma vie, ce n’est que des moments perdus ».
Le goût de la solitude – Collection la petite mercure – Mercure de France 128 pages.
