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Le garçon from Ipanema


Le garçon from Ipanema
Rio de Janeiro. Plage d'Ipanema.
Rio de Janeiro. Plage d'Ipanema.
Rio de Janeiro. Plage d'Ipanema.

« Cinquenta anos em cinco » (cinquante années en cinq) : lorsqu’il est élu président du Brésil en 1956, Juscelino Kubitschek n’est pas loin de penser que tout devient possible. L’ancien séminariste devenu médecin désire faire entrer son pays dans la modernité : il ordonne la construction de Brasilia, capitale destinée à attirer vers l’intérieur des terres la population et l’activité économique, alors concentrées dans les grandes villes côtières. Lucio Costa dessine les plans de la ville – en forme d’avion, ça va plus vite et plus moderne, on ne fait pas. Oscar Niemeyer conçoit les plus importants bâtiments de la nouvelle capitale : en mille jours, tout sort de terre, et la vitrine moderne du Brésil est inaugurée le 21 avril 1960.

[access capability= »lire_inedits »]Cependant, en 1956, le destin du Brésil n’est pas livré uniquement aux entreprises du BTP. Une nouvelle musique est en train de naître à Rio de Janeiro, fruit de la rencontre entre la jeunesse des favelas et celle de la middle class, entre les rythmes afro-brésiliens, samba et carnaval, le jazz et la variété européenne. Improvisée sur les plages au crépuscule, la bossa-nova devient l’hymne de la modernisation du pays.

Pour se payer ses études d’architecture et vaincre ses insomnies, le jeune Antonio Carlos Jobim joue dans les piano-bars. Il cultive une douce mélancolie. Son précepteur, un Allemand qui a fui le nazisme dans les années 1930, lui a transmis l’amour des mélodies de Ravel, Chopin et Debussy. Les Jobim sont des aristocrates originaires du Sud de la France et ont émigré à Rio de Janeiro au XVIIIe siècle. Le grand-père Jobim est connu dans toutes les salles de classe brésiliennes : géographe, il fut le premier à dessiner la cartographie du pays. Antonio, lui, a mené une enfance carioca heureuse et insouciante, entre une mère aimante et un père absent, diplomate et poète à ses heures.

En 1955, devenu arrangeur et directeur artistique pour Continentale, Jobim rencontre Vinicius de Moraes, poète et diplomate de mauvaise réputation. Vinicius propose à Jobim de composer avec lui la musique du film de Marcel Camus, Orfeu Negro, transposition moderne du mythe d’Orphée dans les favelas. Ensemble, ils vont écrire les classiques de la bossa-nova, dont la célèbre chanson A Felicidade. Comme l’ambassadeur de Moraes se trouve en poste en Uruguay, les deux sont contraints de travailler par téléphone : leur œuvre commune sera le premier chef-d’œuvre issu du télétravail. Le film remporte la palme d’or au Festival de Cannes de 1959.

Vinicius et Tom ont le goût du bonheur simple. Ils se retrouvent souvent au café Veloso, en plein cœur d’Ipanema, le quartier bourgeois de Rio. Chaque soir, à la même heure, ils observent une jolie jeune fille brune aux grands yeux verts. Elle rentre de la plage et passe devant leur table. Elle leur inspire des pensées lubriques, mais pas que ça. Ils lui dédient la chanson Garota de Ipanema (La Fille d’Ipanema). Le titre figure sur l’album de Stan Getz et João Gilberto et devient un hit mondial. Rien n’arrête la musique : plusieurs années consécutives, Jobim et ses compères raflent tous les Grammy Awards. La folie bossa-nova s’empare de tous les continents. Le mélange de décontraction et de sophistication des mélodies de Jobim séduit le public. Ses chansons deviennent des standards du jazz. Elles sont reprises, interprétées, souvent dévoyées pour ne devenir qu’un odieux sirop déversé dans les oreilles de ceux qui s’aventurent à prendre l’ascenseur. Jobim, qui préfère l’écriture et le studio à la scène, ne sait comment réagir face à cet emballement.

Lui, ce qu’il aimait, c’était la musique. Insensatez, Corcovado, Inutil paisagem, Meditaçao, Desafinado, Samba de uma nota so : il a écrit parmi les plus grands chefs-d’œuvre de la musique brésilienne et du jazz.

À Rio, les gratte-ciel s’étalent à perte de vue. Jobim ne voit plus la mer. Le tumulte de la ville a pris le pas sur la nature. L’effet de mode autour de la bossa-nova s’est essoufflé. Jobim se retire dans les hauteurs de Rio, dans une maison dont il a dessiné les plans.

Le violoncelliste arrangeur Jacques Morelenbaum et sa femme Paula ont collaboré à plusieurs albums posthumes des standards de leur ami Jobim. Quarteto Jobim Morelenbaum (Universal Music) avec deux enfants de Jobim. A Day in New York (Sony Classical) avec Ryuichi Sakamoto.

Quarteto Jobim Morelenbaum

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Août 2009 · N°14

Article extrait du Magazine Causeur



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