Pascal Praud maîtrise tous les codes de la société du spectacle (il a lu Debord), et tous ceux du sport (il a joué au foot). Aussi à l’aise sur la pelouse d’un stade que sur un plateau télé, ce conservateur moderne ne cache pas sa nostalgie d’un passé où on pouvait rire de tout dans la langue de Molière et d’Audiard.
Pleuvait-il sur Nantes, ce 9 septembre 1964, comme dans la chanson de Barbara ? En tout cas, Madame Praud mère a dû se sentir soulagée, après un été caniculaire et des orages en série, de mettre enfin au monde le petit Pascal. Précisons – le fait, à l’époque, et dans l’imminence de la délivrance (un mot qui revient régulièrement dans le langage des chroniqueurs de foot), est peut-être passé inaperçu, mais il pèse de tout son poids sur le destin du petit garçon – que le FC Nantes, les fameux « Canaris », venait d’atomiser l’AS Saint-Étienne, et s’apprêtait à faire de même avec le FC Rouen. Praud est né dans un moment d’épopée.
Pourquoi Pascal… C’est aujourd’hui un prénom assez rare, mais qui fut justement en vogue au début des années 1960. En tout cas, l’assonance du P à l’initiale, bilabiale occlusive sourde, sonne comme une interpellation : Pascal Praud, dit Pépé… Ce n’est pas avec un tel patronyme que vous pouvez vous offrir le luxe d’être bègue, surtout en ces temps de Covid et de projections salivaires.
Quand Pépé articula son premier « Papa », les Canaris, sous la férule de José Arribas, venaient de battre l’AS Monaco et de s’assurer de leur premier titre de champion de France. Quand il se passa de couches pour dormir, le club nantais exterminait l’AS Cannes (6-1 quand même ! À l’époque, on marquait des buts) et remportait un second titre national grâce aux exploits de Philippe Gondet et de Jacky Simon.
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Ils sont morts désormais l’un et l’autre, et l’on se demande si l’esprit de Pépé n’est pas hanté par ces fantômes, et plus globalement par ce passé héroïque dont il ne trouve aucune trace dans un présent décevant. C’était mieux avant ! L’imaginaire du petit garçon, habillé aux couleurs des Canaris dans la cour de son école, a été façonné par les exploits du club nantais, et par des pédagogues à l’ancienne. Il se voulait footballeur, il fut chroniqueur sportif. Qui sait si ce n’est pas, au fond, une blessure ?
Pépé a d’autres cordes à son arc. Au Conservatoire d’art dramatique de sa ville natale, il apprend à articuler et à se positionner dans l’espace. Il fait des études de droit, mais s’oriente après la licence vers le journalisme à l’ESP de Paris. Et après quelques piges à Ouest-France, il entre en scène dans l’increvable « Téléfoot » sur TF1, qui vient d’être privatisé. Il a un beau destin tout tracé – être la doublure de Thierry Roland, et, à terme, le remplacer. Être un Didier Roustan bis. Enthousiasmant, non ?
Il voit plus haut. Même s’il passe une vingtaine d’années à arpenter les vestiaires et les tribunes de tous les clubs de l’Hexagone et au-delà, même s’il se dédouble – une qualité qui lui est propre – et parle de foot sur LCI ou RTL. Pendant ce temps, ses cheveux blanchissent prématurément. La barbe bien taillée viendra plus tard.
Quant à savoir comment ce passionné de livres a supporté un milieu qui ne brille pas par son intellectualité… Il est ainsi pris à partie par la moitié de la France sportive des bistros et se collette avec Bernard Tapie, autre célèbre intellectuel, dans un magasin de fringues à Paris. « Il est venu vers moi et a commencé à m’insulter : “Praud, t’es qu’un connard ! Dimanche, à « Téléfoot », tu as dit que l’OM avait utilisé en cinq mois pratiquement autant d’entraîneurs que Nantes en quarante-cinq ans. T’es encore pire que les autres. Je ne te parlerai plus de ma vie !” Ce à quoi je lui ai répondu : “Bonjour, Monsieur Tapie”. Et il est reparti de plus belle : “T’es gentil, tu ne m’adresses plus la parole, t’es qu’un connard !” Ça commençait à m’énerver et je lui ai répondu : “Toi, t’es un GROS connard”. À ce moment-là, il s’est avancé et m’a mis une pêche et un coup de pied dans les parties. Après, on nous a séparés mais il y a encore eu cinq bonnes minutes d’insultes. Il m’a dit que la prochaine fois que je viendrais à Marseille, on m’attendrait. » Pépé, on parle encore de toi dans les bars du quai de Rive-Neuve !
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Le rêve enfantin est à portée de main : Praud quitte l’univers des médias en 2008 pour devenir directeur général du FC Nantes, ses premières amours, chargé de la communication au moment où le club vient de remonter en 1ère division. Football, ton univers impitoyable. Il s’était frité dans le temps avec Michel Denisot, ce faux gentil qui s’occupait du PSG au moment où Praud s’intéressait plus particulièrement à l’OM. Denisot qui en septembre 2008, lors d’un match PSG-Nantes, lance : « Je suis venu au parc des Princes pour voir pleurer Pascal Praud… » 1-0, pas de quoi pavoiser, hein, Michel… Mais l’année globalement ne sera pas bonne, l’équipe nantaise redescend en deuxième division. Les Canaris sont cui-cuits, et l’année suivante ne sera pas plus brillante.
La Coupe du monde de foot, disputée en Afrique du Sud (vous vous rappelez l’épisode du bus que les Français ne voulaient pas quitter) lui permet de revenir sur i-Télé. C’est « L’Œil de Praud », puis « 20 h foot ». Le chroniqueur n’est d’ailleurs pas tendre avec cette équipe de France d’enfants pourris gâtés, prématurément éliminés avec un seul but marqué, qui auraient dû être empalés à leur retour en France.
Ne pas croire que chroniqueur sportif est un métier de tout repos. « C’est le mec le plus imperméable aux critiques qui soit, s’étonne encore Matthieu Dupont, grand reporter à TF1 et au service des sports. Parfois on arrivait dans un stade, on allait sur la pelouse, et là vous aviez des dizaines de milliers de personnes qui hurlaient “Praud, enculé !” et autres insultes. D’autres auraient été démolis. Lui, ça le motivait. C’est la même chose aujourd’hui, les gens peuvent dire ce qu’ils veulent de lui sur les réseaux sociaux ou ailleurs, ça ne le touche pas. Il en rit. On ne comprend rien de lui si on ne se dit pas qu’il est aussi un personnage de théâtre. » De fait, Twitter l’agonit d’injures, et ça le motive encore davantage. « Déplaire est mon plaisir, j’aime qu’on me haïsse », dit Cyrano-Praud. Le Qatar se paie le PSG ? Pépé s’exclame : « C’est une colonisation à l’envers ! » De quoi se faire bien voir de Nasser al-Khelaïfi.
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Et comme sur RTL Eugène Saccomano a pris sa retraite, il le remplace à la rentrée 2012. Il faut un peu de chance dans une carrière.
Sur i-Télé, il amorce une reconversion qui changera sa vie – il a plus de 50 ans, il est temps. Il arbitre les débats de « Ça se dispute » entre Éric Zemmour et Nicolas Domenach. « L’Heure des pros », à partir de 2016, est la suite logique de cette reconversion du commentariat sportif vers…
Vers quoi, justement ? Le foot mène à tout, à condition d’en sortir. Durant la longue grève de 2016 qui éparpille façon puzzle une grande partie de l’équipe d’i-Télé, Pépé soutient constamment Vincent Bolloré. « L’Heure des pros » est la récompense de cette fidélité aux puissants. « Quand j’étais sur TF1, j’étais 100 % TF1 ; quand j’étais au FC Nantes, j’étais 100 % FC Nantes. Et aujourd’hui à CNews, je suis 100 % Bolloré… La fidélité est une valeur que je place au-dessus de tout car je hais les traîtres », confie-t-il au Monde en 2019.
« L’Heure des pros » – un jeu de mots sur son patronyme, bien sûr, mais aussi une déclaration de guerre à tous les amateurs qui étalent dans les médias leur incompétence – lui donne l’opportunité de rassembler autour de lui, outre les invités ponctuels, une fine équipe de chroniqueurs réguliers qui ne cotisent pas à l’extrême gauche, d’Élisabeth Lévy à Ivan Rioufol en passant par Gilles-William Goldnadel. Alors, de droite, Praud ? Disons qu’il n’a pas la political correctness innée. Caroline Mécary, avocate des LGBT qui fit longtemps les beaux matins de l’émission, s’en est détachée en 2019 en s’épanchant dans Télé-Loisirs : « Quand on est dans l’émission, on ne mesure pas tout. Or là, j’ai pris de plein fouet cette violence qui a surgi brutalement sans raison, avec un côté discriminant. Pascal Praud n’a pas du tout la même attitude avec les femmes et avec les hommes. » Et d’ajouter : « Il a continué à monter en vrille. Il est à mon avis dans une stratégie du clash et du buzz qui est parfaitement pensée. » Misogyne, LGBTphobe, réac de choc… Que de belles qualités – mais c’est prendre au sérieux ce qui n’est au fond qu’une « stratégie du clash et du buzz », dixit Caroline Mécary. Pépé a lu Guy Debord, et il maîtrise les codes de cette « société du spectacle » où le média, c’est le message.
Parfois Praud laisse percer son côté humain – ainsi quand il a appris, en direct, que sa fille Faustine (sœur de Morgane, Tiphaine et Lou-Élise, de jolis prénoms éminemment littéraires) avait eu le bac. Il lui arrive même d’avouer la vérité, quand il dit de sa compagne : « Je l’embrasse et je lui dis qu’elle est belle. Je crois que j’ai 16 ans. Enfin, 16 ans et demi. »
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Parce que c’est au fond l’âge réel de Pascal Praud. La cour d’école nantaise lui colle à la mémoire. Il est dans l’altercation entre mômes – sauf que ses invités sont adultes –, et il s’entend bien avec ceux qui ont gardé un côté enfantin, dans leur enthousiasme à vitupérer un monde qui les exaspère et n’est pas à la hauteur de leurs rêves de gosse. Les Canaris nantais ne sont plus l’une des puissances du foot français, que reste-t-il à l’enfant Praud pour survivre ? Monter en vrille parce que ça n’a au fond aucune importance réelle, que le dérèglement climatique soit d’origine humaine ou naturelle – mais the show must go on. Le soir, Praud succède naturellement à Zemmour, autre trublion classé à l’extrême droite par une gauche qui voudrait avoir le privilège exclusif de la parole. Et si Pépé éructe et provoque, s’il est parfois un Hanouna de la classe moyenne déconfite, c’est que laisser la parole à Geoffroy de Lagasnerie et à ses clones lui paraît impossible, et même inconvenant.