Ceux qui suivent de près la politique hongroise se souviennent sans doute des propos particulièment flatteurs tenus par le Premier ministre Viktor Orbán sur le FMI, Bruxelles et leurs « diktats ». Il avait en outre comparé la Commission européenne aux oppressions autrichienne (1848) et soviétique (1956), appelant son vaillant peuple à reprendre le combat derrière son panache blanc. Très récemment, il a même déclaré préférer quitter le pouvoir plutôt que de faire appel au grand méchant loup FMI.
Or, après lui avoir violemment claqué la porte au nez en 2010, voilà que le gouvernement hongrois retrouve le FMI. Pour la novlangue technocratique, il s’agit simplement « d’envisager ensemble l’éventualité d’une coopération destinée à conforter la Hongrie dans ses succès pour l’aider à accélérer sa croissance après une phase de consolidation » (comme si le FMI était là pour soutenir la croissance des pays prospères). Car, après avoir redressé les comptes désastreux laissés il y a dix-huit mois par les socialistes (traduire « bolchéviques »[1. J’exagère à peine: le président du groupe parlementaire de la majorité János Lázár veut inscrire dans la Constitution (!) la culpabilité de l’actuel Parti socialiste comme successeur de l’ancien Parti socialiste ouvrier (communiste) dissous en 1989 lors du changement de régime.]), nous serions en route vers une croissance prometteuse qui vous rendra tous jaloux. Nous allons donc nous entretenir avec les représentants du FMI, mais – cela va de soi – « sans toucher au moindre centime des montants qui seront mis à notre disposition, juste comme une sorte d’assurance » de pure forme (dixit le ministre de l’Economie Matolcsy devant le Parlement la semaine dernière).
Encore faudra-t-il que le FMI se laisse convaincre, ce qui est loin d’être gagné. Car, en réalité, il y a un trou béant dans le budget que le pauvre Monsieur Matolcsy n’arrive pas à combler, même après avoir confisqué la cagnotte des fonds de pension privés et frappé d’un impôt « exceptionnel » les entreprises étrangères dans les domaines de la télécommunication, de l’énergie de la grande distribution et de la banque. Evidemment, ces impôts ne sont pas destinés à assurer un fonds de garantie en cas de défaillance du secteur, mais à renflouer la tirelire commune de l’Etat. Mais, découragés, les investisseurs étrangers commencent à fermer boutique, ce qui contribue à faire chuter la monnaie et le cours de la bourse, aggravant encore davantage la situation économique.
Bien évidemment, je suis de mauvaise foi, oubliant de rappeler qu’une crise secoue l’Europe et que la Hongrie est victime de la conjoncture générale, voire d’une attaque pernicieuse des puissances étrangères. Mais alors, comment expliquer que la monnaie nationale (le forint) a chuté non seulement par rapport à l’euro, mais aussi au złoty polonais et à la couronne tchèque ?
Je ne vais pas entrer dans le détail des chiffres. Il faut néanmoins savoir que, dès son arrivée au pouvoir en juin 2010, Viktor Orban s’est empressé de remercier les électeurs par un cadeau inespéré : ramener le taux d’imposition des revenus supérieurs de 32% à un taux unique de 16%, ce qui a soudainement amputé le budget de 500 milliards de forints, montant colossal dans le contexte local. Le but était de relancer la consommation par les riches, bien que…les riches consomment plutôt à l’étranger (Mercedes, vacances aux Baléares) et placent leurs économies à Vienne. Bref, cela fut un flop total, la consommation dégringolant à vue d’oeil (une consommation alimentée par le lait et le pain quotidiens de nos millions de ménagères plus que par les quelques fourrures achetées par des dames du beau monde).
Mais laissons tomber le débat sur le déficit et la croissance, pour lequel je me sens trop peu compétent. Ce qui retient davantage mon attention dans la rhétorique officielle est son recours systématique, sinon obsessionnel, à un langage de combat. La personnalité du Premier ministre y est pour beaucoup. Fan de football[2. lorqu’une délégation du FMI s’est rendue à Budapest au cours de l’été 2010, Viktor Orbán s’est empressé de se rendre en Afrique du Sud pour assister à un match de la Coupe du Monde (à laquelle la Hongrie ne participait pas).], Viktor Orbán adore la compétition.
Je le dis – pour une fois !- sans aucune ironie, car je trouve même ce côté « baroudeur » plutôt sympathique en soi. Mais lorsque ce penchant s’applique à la conduite d’un Etat dont on a la gestion, on est en droit de se poser des questions. Son excuse: Viktor Orbán, après avoir subi un échec à l’issue de sa présidence du Conseil en 2002, s’est trouvé pendant huit ans à la tête de l’opposition, ce qui l’a rôdé au combat. Or, Orbán combat toujours, tant à l’intérieur (le Parti socialiste) qu’à l’extérieur (le monde entier sauf la Chine, sa grande alliée[3. Cet été, lors d’une visite du Premier ministre chinois, Orban a bel et bien utilisé le mot « allié » (szövetséges) et non « ami » , ce qui, on le comprend, a fait grincer des dents du côté de l’Otan.]).
Il serait intéressant pour les linguistes d’établir une statistique sur la répétition dans ses discours des termes « combat », « ennemi », « résistance » et « guerre d’indépendance/szabadságharc », son mot favori, en référence aux luttes armées menées contre l’oppresseur autrichien.
Ce qui me chagrine par dessus-tout est que tout cela a jusqu’ici bien marché. Jusqu’ici…Car je soupçonne mes amis Hongrois, malgré toutes leurs qualités, de se complaire dans cette rhétorique. Isolés par leur langue et plutôt susceptibles, ils ont une fâcheuse tendance à se sentir agressés. A leur décharge, j’invoquerai qu’ils n’ont aucun pays frère à se mettre sous la dent, à la différence de nous autres, latins ou slaves, sinon ce très vague et lointain cousin de Finlande perdu de vue depuis 2000 ans (exception faite d’une certaine sympathie pour les Polonais – qui remonte en partie à l’épisode de 1956). Autre habitude relativement fréquente, corollaire de la fierté magyare : rejeter la faute sur l’autre. Que l’on ne se méprenne pas: il n’est pas question de généraliser. Nombre de Hongrois (dont mes proches amis) ne présentent pas ce type de comportement, bien au contraire. Mais cela demeure un trait assez répandu dans l’ensemble.
La crise renforce cette tendance au bouc émissaire. Voilà qui tombe à pic pour dire pis que pendre des prétendus ennemis de la nation, de l’intérieur, bien sûr (Roms et Juifs), mais aussi et surtout de l’extérieur (ces « multis » – censés nous exploiter : les banques et Bruxelles, mais aussi la fantasmatique conspiration sioniste ourdie par une diaspora excitée en douce par le Parti socialiste !).
Le FMI figurait aussi sur la liste noire, il y a encore une semaine. Et voilà que l’on ressort brusquement le diable de sa boîte. Un virage à 180 degrés. Viktor Orbán, féru de communication et toujours très habile à dribbler ses adversaires, en a vu bien d’autres. « Je partirai/megyek » avait-il annoncé il y a peu. Mais c’était une blague, voyons ! De même que « la guerre d’indépendance », c’était aussi pour blaguer. Gros bêta que je suis, je n’avais pas compris !
Rappelons cependant que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures.
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