Dans le combat économique que se livrent les nations, le recours aux armes du droit peut s’avérer presque aussi indispensable que le recours aux armes classiques dans les guerres.
Le droit peut en effet être un outil de souveraineté face aux acquisitions prédatrices d’entreprises stratégiques, comme celle de l’entreprise Segault. Encore faut-il l’appliquer !
Or, le débat actuel sur la nécessité d’affiner le contrôle de l’État sur les investissements étrangers ne doit pas faire oublier que la plupart des ventes à des groupes étrangers d’entreprises stratégiques françaises telles que Alstom, Pechiney, Technip, Alcatel et plus récemment Exxelia et Trad auraient pu être évitées si les gouvernements successifs avaient eu le courage d’user des prérogatives juridiques dont ils disposent.
C’est la raison pour laquelle nous avons officiellement saisi le ministre de l’Économie pour lui demander d’user des pouvoirs que le Code monétaire et financier lui confère pour éviter que l’activité stratégique de l’entreprise française Segault ne constitue une nouvelle prise de guerre aux mains des Américains.
Basée en Essonne, cette PME française qui équipe la totalité des sous-marins nucléaires français et du porte-avions Charles de Gaulle ainsi que nos centrales nucléaires, fait l’objet via sa maison mère Velan d’une OPA de la société américaine Flowserve.
Or, nous disposons d’un arsenal juridique permettant au gouvernement de garder la maîtrise de nos secteurs stratégiques et la sécurité de leurs approvisionnements, autrement dit, en l’espèce, de faire en sorte que l’activité stratégique de l’entreprise Segault revienne dans le giron industriel français.
L’enjeu est de taille puisque l’extraterritorialité des lois américaines EAR et Patriot Act, présente respectivement un risque pour la sécurité de l’approvisionnement de notre force et de nos centrales nucléaires et pour la confidentialité des informations sensibles.
C’est donc bien la garantie de notre souveraineté énergétique et industrielle de défense qui est, à nouveau, en jeu dans ce projet de cession.
Or, faut-il encore accepter de confier nos souverainetés énergétique et de défense aux lois du marché et risquer ainsi de devenir les vassaux d’une puissance étrangère, ou bien choisit-on d’activer les leviers juridiques existants pour affirmer que la souveraineté de la France n’est ni à vendre, ni à acheter ?
Ces leviers permettent en effet de déroger à la liberté d’investissement en France dès lors que les investissements étrangers mettent en risque notre souveraineté.
Loin d’être désarmée face à ces prédations étrangères, notre règlementation prévoit au contraire que le ministre en charge de l’Économie refuse – et donc doit refuser – un investissement étranger s’il compromet les intérêts nationaux qu’aucune mesure ou garantie ne peut protéger (article R 151-10 du Code monétaire et financier [1]).
Contrairement à la cession d’Exxelia pour laquelle l’association La France en Partage s’était également mobilisée, l’Hôtel de Brienne n’a pas à chercher un repreneur français comme alternative à la vente envisagée, celui-ci existe et il s’est publiquement manifesté.
Que la France saisisse cette occasion pour exiger de Flowserve une modification de son projet d’investissement afin de permettre à un repreneur français de protéger l’industrie qui participe à notre souveraineté.
Continuer de laisser faire pour des raisons purement économiques reviendrait à choisir notre servitude volontaire, là où les autres États agissent et utilisent leur droit pour préserver leurs intérêts.
Au-delà de Segault, il devient d’ailleurs urgent de définir une stratégie de puissance au service de la souveraineté.
Ainsi, et même si la disponibilité des capitaux n’est pas l’alpha et l’omega d’une politique d’investissements dans les secteurs stratégiques, il serait intéressant d’orienter l’épargne des Français vers les secteurs de la souveraineté à travers par exemple la création d’un livret Défense et de renforcer l’action de la Caisse des Dépôts et de la BPI dans ces domaines.
La protection de notre autonomie stratégique et de notre souveraineté industrielle comme le nécessaire patriotisme économique doivent devenir les combats en actes et non plus seulement en mots de la France et de l’Europe.
Maître Carine Chaix, Présidente de La France en Partage
Amiral Loïc Finaz, Ancien Directeur de l’École de Guerre
Général Marc Delaunay, Président de l’Association des Militaires Entrepreneurs
[1] Article R.151-10 du CMF : « Le ministre chargé de l’économie refuse, par décision motivée, l’autorisation d’investissement demandée, si la mise en œuvre des conditions prévues à l’article R. 151-8 ne suffit pas à elle seule à assurer la préservation des intérêts nationaux définis par l’article L. 151-3 ».
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