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Le dormeur du parking


Le dormeur du parking

Tu t’appelles Pierre Hibon de Frohen, d’un nom qui sent l’ancienne France, celle de la Normandie et de l’Île Bourbon, qui fait rire le populo et que tu n’as pas choisi. Tu n’es qu’un étudiant en histoire, né par ici et habitant de hasard d’une résidence des abords de Montpellier. Tu n’as pas 25 ans, tu écris des conneries sur ton Facebook et sans doute tu rêves comme tes contemporains d’aller voir là-bas, au-delà des mers, si peut-être la vie y est.

Quand ton père t’appelle, tu le suis : là, en bas, sur le parking de la résidence, sur ce bitume de nulle part, un gars qui pète les vitres des voitures pour chouraver des autoradios, des larfeuilles ou des sacs à main. Evidemment, le gars a une capuche, mais tu t’en fous. Ce n’est pas ta voiture, mais tu t’en fous, ce n’est pas la voiture de ton père, mais tu t’en fous. Quand ton père chancelle sous le coup de surin, tu courses le gars. Tu as sans doute froid dans le ventre et chaud dans le crâne à ce moment-là. Cinquante mètres, tu vas l’avoir, cet enfoiré. Il s’arrête, se retourne : est-ce que tu la vois, la lame ? Je ne sais pas.

Les parfums ne font pas frissonner ta narine ; tu dors dans le soleil, la main sur la poitrine.
Tranquille. Tu as un trou rouge au côté gauche.

Tu t’appelles Pierre Hibon de Frohen, tu es mort maintenant, le petit gars est en fuite, planqué comme un rat dans son appart’ de cité. Lui, il voulait juste quelques thunes, toi tu étais juste derrière ta fenêtre avec ton paternel. Tu n’avais rien à y gagner à jouer les justiciers, c’est même le chef des policiers qui l’a dit : « Aujourd’hui, il faut être prudent. »

Toi, tu ne le savais sans doute pas que tu étais un héros, tu ne l’as peut-être pas fait exprès. Mourir pour la caisse des autres, c’est trop con, qu’ils diront, c’est sûr. Rassure-toi, il n’y aura personne à ton enterrement, personne que ta famille et tes amis, et ton père qui aurait voulu être à ta place.

Tu t’appelais Pierre Hibon de Frohen, Zorro de Chantebrise, dans une semaine on l’aura oublié.

Tu t’appelais comme ça, je m’en souviens.



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est journaliste et essayiste.

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