Le djihad s’est arrêté à Poitiers


Le djihad s’est arrêté à Poitiers

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Du chômage au racisme, de l’homophobie à l’obésité, de l’éclatement des familles aux méfaits de la drogue, l’Education nationale est régulièrement sommée de contribuer au traitement de ce que les gazettes appellent des « problèmes de société » – au détriment de la transmission des savoirs qui devrait être son premier et sans doute son seul objectif, mais passons. Par exemple, en mai dernier, seuls quelques réacs indécrottables (dont votre servante) se sont offusqués de ce que l’académie de Nantes ait, sur son site, encouragé lycéens et professeurs à participer à la Journée de la Jupe (pour les garçons) organisée par une association locale pour lutter contre les préjugés sexistes. Et, en général, on n’est pas trop regardant sur la qualité des textes produits pour défendre ces excellentes causes.

Dans ces conditions, le tollé suscité par la diffusion intempestive d’un « guide antidjihad »  élaboré par l’académie de Poitiers a de quoi surprendre. Ce document Powerpoint, destiné à favoriser « la prévention de la radicalisation en milieu scolaire » recense les signes avant-coureurs de la dérive en se référant notamment aux travaux de la sociologue Dounia Bouzar qui dirige elle-même une association de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam : « barbe longue et non taillée », « habillement musulman », « refus du tatouage », « perte de poids liée à des jeûnes fréquents ». Il pointe aussi des comportements présumés à risque : « repli identitaire », « rhétorique politique », « exposition sélective aux médias (avec préférence pour les sites Webs djihadistes) » et enfin, un « intérêt pour les débuts de l’islam ». À propos de ce dernier point, la journaliste du Monde relève triomphalement qu’en classe de 5e, un dixième du programme est consacré aux « débuts de l’islam ». Sans doute pense-t-elle que les professeurs sont trop idiots pour faire la différence entre un élève qui s’intéresse au cours et un autre qui fantasme sur la conquête arabe.

On peut discuter les critères retenus par l’académie et même pointer des maladresses – il serait par exemple assez hasardeux de se fier à « l’absence de tatouage » pour repérer les candidats au djihad. Reste que, pour l’essentiel, il suffit d’un peu de bon sens pour parvenir aux mêmes conclusions que les rédacteurs du document.

La presse s’est pourtant déchaînée contre cette « litanie de clichés racistes ». « Le document ne le revendique jamais explicitement, mais c’est bien de radicalisation islamiste qu’il s’agit », s’indigne encore la journaliste du Monde. Faudrait-il, pour ne pas froisser les musulmans, inventer une menace terroriste juive, bouddhiste ou catholique à nos portes ?

Le plus inquiétant est la réaction des musulmans eux-mêmes, en tout cas, de ceux qui s’expriment, qui, une fois de plus semblent considérer que le problème le plus grave n’est pas le djihadisme, mais l’amalgamisme. L’islamosphère est en ébullition. Le Collectif contre l’islamophobie en France dénonce « un appel clair à la délation » et exige l’ouverture d’une enquête administrative. Traitée de « collabo » sur les réseaux sociaux, Dounia Bouzar, doit se désolidariser de l’académie de Poitiers. Le choix de ce terme infâmant montre que certains refusent clairement de choisir entre l’Etat islamique et l’Etat français qui n’en finirait pas de les coloniser.

Tout musulman n’est pas islamiste et tout islamiste n’est pas terroriste. Les représentants officiels et officieux de l’islam de France rappellent volontiers cette évidence. Ils ont raison. Mais alors, ils devraient se demander pourquoi tant de musulmans se sentent stigmatisés par la condamnation du djihadisme. Est-ce trop leur demander que de consacrer leur énergie à dénoncer les terroristes plutôt que ceux qui les dénoncent ?

Ce texte publié en accès libre est extrait de Causeur n°19. Pour acheter ce numéro, cliquez ici.

 

 

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Décembre 2014 #19

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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