« Travailler plus pour gagner plus » scandait Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007, excitant la convoitise de quelques-uns et la frustration de beaucoup. Deux ans plus tard, la loi du 10 août 2009 autorisait, par la grâce du préfet, les entreprises de commerce et de distribution installées dans les zones d’intérêt touristique ou à l’intérieur de périmètres d’usage de consommation, une ouverture sept jours sur sept. On jurait alors que le dimanche d’autrefois restait la règle, le travail dominical l’exception. Et on moquait les petits clercs qui osaient s’offusquer, oubliant un peu vite que la loi Lerolle du 13 juillet 1906 avait érigé en règle, dans un contexte clairement anticlérical, une relâche hebdomadaire fixée le dimanche, au nom du repos et de la famille.
Quelque années ont passé depuis et l’alternance politique n’a pas altéré l’esprit de la loi libéralisant le travail dominical, tant s’en faut. Au nom de l’égalité, le pouvoir « socialiste » entend désormais étendre les zones et périmètres visés par la loi de 2009, afin que ceux qui en sont exclus ne puissent alléguer d’une inégalité de traitement. Lundi dernier, l’ancien directeur de La Poste, Jean-Paul Bailly, a donc remis ses conclusions au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, accompagné de suggestions qui, nous prévient-on déjà, en toucheraient une sans faire bouger l’autre. Le jour dominical resterait donc naturellement sanctuarisé, mais les dérogations restrictives aux effets parfois déloyaux devraient être assouplies. En un mot, une loi viendra remettre à plat le système et augmenter le quota d’autorisations annuelles d’ouvertures le dimanche, qui plus est au plus grand nombre.
On pourrait, de bonne foi, considérer qu’au regard du contexte économique et des activités dominicales habituelles, l’ouverture de certains magasins le dimanche n’est pas une aberration. Redonner du souffle aux commerçants étranglés, favoriser la croissance autant que la concurrence, permettre aux étudiants de travailler, s’aligner sur un fait majoritaire en Europe, laïciser un peu plus le calendrier grégorien, mais surtout ne pas remettre en cause le fondement théorique du dimanche, certains avancent-ils comme arguments. Mais la ficelle est un peu grosse lorsque l’on connaît le mécanisme parlementaire consistant, sur un sujet délicat de société, à poser un principe et quelques exceptions pour, quelques années plus tard, en inverser la charge. Et c’est bien de cela qu’il s’agit puisque le principe de la loi de 2009 devrait voir sa portée réduite, si les suggestions du rapport sont observées, à la faveur d’une extension de l’exception.
Nul besoin d’être prophète, donc, pour observer, dans la saillie législative que l’on nous annonce, un stade supplémentaire dans la « gangrénisation » du dimanche dont pâtiront, en premier lieu, les ouvriers, les étudiants, les couples sans gros revenus, qui n’auront d’autre choix que de prouver leur disponibilité pour satisfaire aux exigences d’embauches. Et pourtant, on ne saurait mesurer l’importance fondamentale de ce jour, espace temporel de complétude des familles; moment de retrouvailles aussi, de convivialité, expérience du détachement et exaltation de l’altruisme.
Dans un mémoire soumis à l’Académie de Besançon en 1839, De la célébration du dimanche, Pierre-Joseph Proudhon, peu suspect de cléricalisme, justifiait la défense du repos dominical par la nécessité du ressourcement, de la méditation, du rêve. Et c’est alors, disait-il, que l’on juge sainement de tout, que le cœur se détache, que la conscience se retrempe, que la volonté s’acère, que l’on sent la vertu bondir sous la poitrine. Il y a quelques jours, Frédéric Lefebvre, député UMP et ancien secrétaire d’Etat au Commerce et à la Consommation légitimait la politique du gouvernement socialiste au nom de l’axiome : « Chacun doit être libre de travailler différemment pour gagner plus ». Autres temps, autres mœurs.
*Photo : WITT/SIPA. 00666535_000022.
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