Depuis quelques années, le combat féministe donne de lui une drôle d’image. Oui, il peut donner l’impression de se dévoyer, ou de n’être plus qu’une succursale de l’extrême gauche! Anne Zelensky affirme dans cette tribune que son féminisme n’est pas du côté de la séparation des sexes, mais œuvre au contraire à leurs retrouvailles.
Une minorité de femmes depuis quelques années donne une visibilité certaine au féminisme. On les nomme néo-féministes. Elles incarnent le nouveau visage du féminisme. Mais la question qui se pose est : se situent-elles dans le long héritage historique d’un mouvement qui depuis des siècles travaille à la libération des femmes et donc des hommes ? Certaines de leurs revendications s’inscrivent indéniablement dans ce long mouvement. D’autres pas du tout. D’où le désarroi de bon nombre d’entre nous, les féministes dites historiques dont je suis. Sans parler du grand public. On ne s’y retrouve pas.
Où est passé l’esprit du MLF qui a tant bouleversé la société des années 1970 et qui a laissé une trace profonde dans l’imaginaire collectif ? Pour mieux juger de la question, il faut définir de quoi on parle et se tourner vers le passé.
Les néo-féministes rejettent en effet, comme beaucoup de nos contemporains, l’Histoire. Elles se pensent en dehors d’elle et ne se reconnaissent pas toujours dans la longue lignée de leurs prédécesseuses qui depuis quelque 200 ans, ont patiemment conquis des droits. Mon long engagement dans l’action et la pensée féministes me donne quelque légitimité à en parler.
Émancipation des femmes
Qui suis-je ? J’ai créé dès 1966 une des premières associations féministes mixtes, FMA (Féminin Masculin Avenir) qui a contribué à alimenter le MLF créé en 1970. Compagne de lutte et amie de Simone de Beauvoir, avec laquelle nous avons fondé en 1974 la Ligue du Droit des Femmes (pour palier l’inexistence de la question des femmes à la Ligue des Droits de l’Homme), je suis à l’origine du Manifeste des 343. Il réunissait des femmes anonymes et des célébrités qui ont déclaré publiquement en 1971, avoir avorté (c’était alors un délit passible de prison). J’ai même été à l’époque baptisée « sainte Anne de l’avortement » par Valeurs Actuelles. J’ai été présidente du premier refuge pour femmes battues ouvert en 1978 à Clichy et collaboratrice d’Yvette Roudy au Ministère des Droits de la Femme. Et surtout, fondatrice avec d’autres hommes et femmes du premier centre d’accueil des hommes violents. Et j’en passe…
Cet itinéraire témoigne dans sa singularité des principaux thèmes de la seconde vague du féminisme des années 1970. Cette seconde vague prolonge la première qui a conquis le statut d’égalité avec les hommes. Rappelons que le féminisme en tant que mouvement collectif, s’est organisé à partir de la Révolution française. Il est compagnon de route de la démocratie. Il a bousculé le triptyque républicain « Liberté Egalité Fraternité » en inversant ses termes. Nous avons donc commencé par réclamer un statut d’égalité avec les hommes. Cela a occupé le 19ème siècle et une partie du 20ème (rappelons que le droit de vote n’a été accordé aux femmes françaises qu’en 1944, bien après des pays moins émancipés). Munies de ce vadémécum, nous nous sommes aperçu qu’il était lettre morte sans un droit élémentaire, celui de la Liberté. Liberté de disposer de son corps, de son ventre, de son désir et de dévoiler les différentes violences qu’entraîne la domination masculine. Nous avons tiré le rideau qui masquait la chambre à coucher. Le privé devenait politique. Puis, est venu le temps de la sororité, autre face de la fraternité. Nous qui avions toujours été divisées et rivales, avons accédé à un « Nous » commun. Ensuite, nous avons pu prétendre à sortir des maisons pour revendiquer notre place dans le champ politique. Voilà comment émergea la demande de parité. Les femmes représentant plus de la moitié de l’humanité, pourquoi ne gèreraient-elles pas la cité à parts égales avec les hommes ?
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À travers ce bref rappel de l’histoire du féminisme, nous voyons donc qu’il a une logique, un sens. Les grandes lignes du féminisme sont du côté de « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Partir de soi, rompre avec le dévouement obligatoire, autrement dit prendre son envol, se dégager des tutelles. Le féminisme va bien au-delà des divisions politiciennes.
Nouvelle prison
Or, les néo-féministes semblent toujours prisonnières de l’idéologie de gauche, surtout extrême. Voyons en effet quelles sont leurs revendications :
Intersectionnalité des luttes, wokisme, décolonialisme, transgenrisme, multiculturalisme, focus sur le mâle Blanc comme seul responsable de la domination masculine, antiracisme obsessionnel, liberté de se prostituer, de porter le voile… On dirait une succursale de l’extrême-gauche. Où est là-dedans la spécificité féministe ?
Liberté de porter le voile ? Quelle liberté ? Celle d’arborer un symbole évident d’asservissement qui dans de nombreux pays musulmans conduit celles qui le refusent à la prison ou à la mort ? Liberté dévoyée. Les néo-féministes sont ici victimes d’un piège grossier : les femmes qui en France portent le voile comme un étendard, manifestent en fait leur rejet des valeurs occidentales dont par ailleurs elles profitent. D’autre part, pourquoi cet aveuglement sur le mâle autre que Blanc qui serait exempté de toute sanction pour violences ? Pourquoi ce silence pudique sur les agressions sexistes et sexuelles d’hommes venus d’ailleurs ? La couleur de peau dédouanerait-elle du machisme ? Qu’en pensent les Africaines, les Indiennes, les Iraniennes, les Afghanes… ? En se consacrant autant à la cause de l’Autre, nos néo-féministes en arrivent à s’oublier elles et leurs sœurs et sont victimes de ce qu’elles dénoncent : la tendance millénaire des femmes à se faire passer après. Etre féministe est une gageure : Il faut à la fois prendre de la distance vis-à-vis de l’être le plus proche tout en ne le rejetant pas radicalement. Etre une femme amoureuse et une militante, « c’est pas si facile ».
Ce qui libère la femme libère l’homme
Petites sœurs néo êtes-vous sûres de ne pas prendre des chemins sans issue ? Peut-être avez-vous quitté la grande voie historique pour mieux la rejoindre plus tard ? Mais tout de même… Lâchez la main de votre souteneur historique, la gauche. Osez reprendre le droit fil de la pensée libre. Liberté de pensée plutôt que liberté de se voiler. N’ayez pas peur d’être visionnaires. Levez le nez au-dessus du présent, enlisé trop souvent dans le victimaire et la revanche. La mise en cause des dommages liés à la domination masculine est un passage obligé et incontournable de la libération des femmes. Nous sommes dans le passage. Turbulences garanties, malaise inévitable des hommes. Mais quand l’eau se trouble, c’est pour mieux s’éclaircir ensuite.
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Des perspectives, il en y a. Elles ne sont pas du côté de l’égalité comme but en soi. C’est le minimum vital pour aller au-delà. L’égalité pour quoi faire, telle est la bonne question. L’avenir est peut-être du côté des hommes. Et si le féminisme était leur affaire ? « Ce qui libère la femme libère l’homme » disait notre chère Simone de Beauvoir. Certains hommes ont déjà compris que la masculinité toxique est un carcan qui les coupe de leur humanité. Déjà, dans les années 1970, des groupes d’hommes se réunissaient pour réfléchir sur la contraception masculine, sur la prison de la virilité, sur la nécessité de changer leur relation avec les femmes. Il y a de l’espoir.
Les hommes et les femmes sont plus semblables que différents. Les poètes l’ont depuis longtemps compris : Rimbaud, Rainer Maria Rilke…Mon féminisme n’est pas du côté de la séparation des sexes, mais œuvre à leurs retrouvailles. La guerre a assez duré, nous ne cherchons pas à la reconduire, mais à aller au-delà. À trouver, hommes et femmes ensemble, une manière d’être, harmonieuse.
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