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Le culte des héros


Le culte des héros
"Vercingétorix jettant ses armes aux pieds de Jules César", tableau de Lionel Royer, 1899 D.R.

Valérie Pécresse a déclaré que l’une des premières mesures (largement symbolique) de son quinquennat, si elle était élue, serait d’instaurer, le 10 novembre (sans doute parce que c’est la veille du 11, qui reste fête nationale), un « jour des héros qui ont fait la France ». Oui — mais lesquels ?


L’idée n’est pas sans évoquer cette remarquable série de livres d’histoire, parue jadis chez Gallimard, sur les « trente journées qui ont fait la France ». Pourquoi trente, pourquoi celles-là ? En 1995, François Bayrou, ministre de l’Education, avait publié des programmes pour l’école élémentaire qui distinguaient nommément vingt-deux figures historiques [1], une liste que Claude Allègre retoucha à peine quand il fut à son tour ministre. N’ayant su choisir entre Danton et Robespierre, les deux ministres ne citèrent ni l’un ni l’autre. Le « héros » ne se contente pas d’être une figure historique, il faut qu’il soit exemplaire. Et ni les massacres de septembre ni la Terreur ne sont bien recommandables aux chères têtes blondes.

Quant aux têtes brunes, on cherche en vain, dirent certains commentateurs agacés, à quel personnage étudié ils pourraient bien s’identifier…

De la difficulté de faire une liste commune

Je suis assez vieux pour me rappeler que l’école élémentaire, « de mon temps », exaltait bien d’autres figures, Jeanne Hachette, le Grand Ferré, Duguesclin, le petit Barra — ou le général Bugeaud. L’Histoire n’était pas survolée comme elle l’est aujourd’hui, elle ne prétendait pas embrasser l’univers, elle se concentrait sur la France et reprenait les enseignements du Mallet-Isaac de nos grands-parents.

Mais nous sommes aujourd’hui en plein révisionnisme, et les dictionnaires, qui s’empressent de faire figurer des pronoms personnels inventés par la bien-pensance, éliminent chaque année des dizaines de noms propres pour insérer dans leurs colonnes des contemporains que l’actualité a soudain portés au pinacle. Rama Yade se dit choquée par Colbert, et veut elle aussi supprimer sa statue, sans doute finira-t-on par l’éliminer tout à fait, au nom d’une damnatio memoriae imposée par des groupes radicaux aussi minoritaires que tonitruants.

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Chacun refera alors à loisir sa propre liste. Les Corses intègreront Pascal Paoli, les Bretons le marquis de Pontcallec ou Georges Cadoudal, les Vendéens revendiqueront La Rochejaquelein. Chacun voit l’héroïsme à sa porte. Deux écrivains en tout et pour tout, dans un pays où chacun se croit romancier ou mémorialiste, est-ce suffisant ? Un seul étranger (Vinci) dans une France actuellement dissoute dans l’Europe, est-ce bien sérieux ?

Mauvaise pente

On mesure la difficulté d’écrire des programmes — d’autant que les « professeurs des écoles » recrutés aujourd’hui dans les rangs des étudiants en Psycho / Socio recyclés ne connaissent rien à la plupart de ces « grands hommes », et contestent l’appellation elle-même. La Géographie a suivi la même pente mondialiste, c’en est fini des grands fleuves français ou des massifs montagneux. Et l’on préfère étudier une obscure peuplade africaine que la Gaule gallo-romaine ou la Guerre de Trente ans !

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En fait, il faudrait dire, une fois pour toutes : Etudiez toute l’Histoire de France. Accrochez-vous au fil conducteur du récit national. Et si ce récit tire vers le roman, quelle importance ? Avoir appris précocement que Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers ne m’empêcha pas, plus tard, de réviser mon savoir parcellaire et de relativiser le poids d’une victoire qui s’est opérée à une date incertaine pour un bénéfice très relatif, puisque lesdits Arabes campèrent encore quelques siècles dans le sud de la France, et montèrent même jusqu’en Bourgogne — où ils s’établirent vignerons, preuve que le bon sens finit toujours par l’emporter, surtout quand on l’arrose à la romanée-conti.

Un jour de célébration des héros ne suffit pas pour exalter tous ceux qui bâtirent la France en l’arrosant de leur sueur et de leur sang. Mais le problème, outre la mauvaise volonté des enseignants qui hurlent au « caporalisme » dès qu’on leur suggère d’apprendre quelque chose aux enfants, réside dans une époque où chacun, parce qu’il prend de lui-même des selfies arrogants, se croit héros aussi bien que les autres — surtout s’il arrose son McDo au Coca et le rote au visage de ceux qui veulent lui enseigner l’humilité et la décence.



[1] Dans l’ordre chronologique : Jules César, Vercingétorix, Clovis, Charlemagne, Hugues Capet, Saint Louis, Jeanne d’Arc, Christophe Colomb, François Ier, Jacques Cartier, Léonard de Vinci, Henri IV, Molière, Colbert, Louis XIV, Napoléon, Victor Hugo, Jules Ferry, Pasteur, Marie Curie, De Gaulle, Jean Moulin. On a assez vite reproché à cette liste la rareté des personnages féminins… Sans compter (mais ce n’est pas ce que l’on enseigne en classe) qu’il n’y a qu’un seul gay reconnu (Vinci), et un seul bi officiel (Jules César, « l’homme de toutes les femmes et la femme de tous les maris », dit ce persifleur de Suétone). Et pas un seul « racisé », pour parler comme les racistes de gauche. Et sur le plan religieux, la liste fleure bon le catholicisme triomphant.




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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