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Le culte de la Révolution est mort


Le culte de la Révolution est mort

Episode final de la Révolution, pour les uns, liquidation de celle-ci pour les autres : le 18 brumaire – et son principal acteur Bonaparte – sont l’enjeu d’une querelle apparemment savante mais hautement politique. Le débat sur la Révolution est-il condamné à se répéter sans cesse ?
Si je me suis intéressé à Napoléon, c’est bien pour échapper à ce débat qui me paraît complètement stérile, dès lors que la question a été tranchée au moment du Bicentenaire par la chute du communisme et la décomposition de la vulgate marxiste de la Révolution française, dont. le culte est mort aujourd’hui. On ne célèbre plus Robespierre et Saint Just. Celui-ci, dont le mythe a été fabriqué par l’historiographie révolutionnaire, est presque redevenu ce qu’il était à l’époque de la Révolution : un obscur. L’écroulement du mythe révolutionnaire explique d’ailleurs la fuite éperdue hors de ce champ d’études qu’on a pu observer, à l’échelle internationale, dans les années qui ont suivi le Bicentenaire.

C’est un peu moins vrai pour Robespierre…
Robespierre continue à fasciner ceux qui aiment la guerre civile.

Quoi qu’il en soit, l’héritage révolutionnaire ne se réduit pas à Robespierre. Que reste-t-il de la Révolution ?
Tout d’abord, ses principes les moins politiques : les droits de l’homme, le message humanitaire. D’où la révérence quasi-unanime qui entoure la figure de Condorcet : ami des femmes, ami des noirs, de la République, de l’Ecole, de la Science – bref, un ami de l’humanité et des lumières. Il n’était l’ennemi que de ses paysans : en affaires, il était impitoyable. Cela me rappelle ce que Mirabeau disait de son père : ami des hommes, mais ennemi implacable de ses propres enfants.

Le message humanitaire n’est peut-être pas toujours bien défendu par ceux qui s’en prévalent. Pour autant, il n’y a pas de quoi rougir de cet héritage.
Certainement. Mais dans le corbillon révolutionnaire figure aussi, même si la Révolution ne l’a pas inventé, ce qu’on peut appeler « l’esprit sans-culotte », nourri par l’envie et le ressentiment. Cet état d’esprit se manifeste bien avant 1789 et bien après, puisqu’il imprègne bon nombre des mouvements sociaux actuels, alors que la théorie de la dictature jacobine et la philosophie fondée sur le sens de l’histoire sont mortes avec l’espérance révolutionnaire.

Quand on lit Alain Badiou, pour citer un seul nom, il n’est pas certain qu’elle soit morte.
Vous mettez le doigt sur un problème en partie sociologique, car l’université française, où le vent du radicalisme souffle encore, est le conservatoire des valeurs les moins libérales de la gauche, valeurs qui sont à peu près mortes dans le reste de la société. On a donc vu renaître, vers la fin des années 1990, à la faveur des circonstances et grâce au relais de l’altermondialisme, un discours révolutionnaire, infiniment moins sophistiqué que le léninisme, mais plus violent. Ce serait insulter la mémoire d’Althusser que de lui comparer Badiou !

L’humanitarisme et le ressentiment : vous êtes plutôt sévère à l’égard de notre passé et donc, pessimiste quant à notre présent.
La Révolution française est le moment où s’opère la conjonction entre compassion humanitaire et le ressentiment. C’est de ce mélange d’amitié fraternelle, de compassion pour les humbles et de ressentiment social très violent que naît la violence terroriste, indépendamment de toute construction savante ou idéologique. Et cette alliance très française entre la bienveillance humanitaire et la haine née du ressentiment social, continue à opérer. La France a encore ses sans-culottes. Cela ne veut pas dire qu’ailleurs la démocratie libérale provoque un moins grand désenchantement : c’est un phénomène général, jusque dans les pays venus récemment à la démocratie ; mais, dans la plupart des pays, si on n’espère pas grand-chose du libéralisme, on ne croit pas non plus à la révolution : c’est peut-être cela la définition de la démocratie parvenue à maturité. Personne n’y croit mais personne ne songe à la renverser. En France non plus, mais la passion révolutionnaire y subsiste sous la forme d’un fonds d’aigreur qui pourrait, un jour, pour peu que les circonstances s’y prêtent, nous valoir un de ces épisodes dont l’histoire française est prodigue.

Vous inscrivez Napoléon dans la continuité révolutionnaire. Il n’admirait pas vraiment la Révolution.
Il avait la nostalgie de l’Ancien régime et n’aimait pas la Révolution, en particulier dans ce qu’elle a de libéral – par exemple, il déteste les Constituants de 1789, auxquels il préfère les Conventionnels. Mais il n’aime pas beaucoup plus les Jacobins. En réalité, Napoléon méprise la plupart de ses contemporains, tout en considérant leurs engagements avec indulgence. Par delà ses préférences personnelles, il comprend l’importance des principes de la Révolution, en particulier de ses conquêtes sociales, c’est-à-dire de l’égalité. Il garantit l’égalité proclamée par la Révolution mais il liquide la liberté – telle est en somme sa mission historique. Et cela correspond à son jugement sur ce que les Français attendent. « La liberté, il s’en dégoûteront vite », dit-il.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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