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Le crépuscule des salauds

La plume au vent, la chronique de Frédéric Ferney


Le crépuscule des salauds
© Soleil

On croit que les démocraties sont faibles et que les dictatures sont fortes. Et si ce n’était pas finalement le contraire ? Ce qui domine en Iran, en Chine ou en Russie, c’est la peur, mais elle a peut-être changé de camp. Tremblez, tyrans !…


Il est réconfortant d’imaginer que Xi Jinping, Poutine et Khamenei, le Guide suprême de la République islamique d’Iran, sont profondément vexés et totalement incrédules devant la vague de protestation insolente qui les emportera peut-être. Mais enfin, qui sont ces fous qui descendent dans la rue et qui récusent le système ! Ce désordre est intolérable. On se croirait en France !

Ils sont indignés.

Hier ils paradaient, drapés dans leur doctrine qui avait la vertu de sanctifier leurs méfaits. La démocratie, ha ! ha ! Pourquoi s’emmerder avec des gens qui ne sont pas du même avis que vous ? (Chez nous, Mélenchon pense en gros la même chose, et il enrage que ce soit sans effet sur nos destinées.) Aujourd’hui, ils sont effarés et stupides face à l’événement qu’ils ont fabriqué eux-mêmes. Un événement ? Ce qui fait qu’après, ce n’est plus comme avant ; ça ne dure pas mais ça change tout.

Et si on assistait à un éveil – à un sursaut vital des peuples ?… Cette effervescence, est-ce les prémices d’un déclin des autocraties ?

Peut-être.

C’est un peu plus que du courage. Une forme d’ivresse que l’on se donne par une action insensée. On appelle ça : la témérité. Les plus sages y voient une excitation dangereuse, un penchant vanté naguère dans la cavalerie, mais il n’est pas impossible que les téméraires – dans les rues de Téhéran, de Pékin, de Moscou ou dans les décombres de Kherson aujourd’hui – soient un jour vainqueurs. On se surprend à l’espérer non sans crainte en se souvenant des fictions évanouies du Printemps arabe en 2010-2012 – et de la réaction encourue.

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Mais quand même, soudain le cœur bat plus vite.

Ce qui advient, c’est l’inouï, l’impensable – l’inespéré. Une effraction dans un ordre qu’on croyait immuable. Ce n’est qu’un pressentiment ; cela ne s’appuie pas sur des preuves. Ce sont des présages qui nous sont envoyés d’Iran ou de Chine, de faibles indices, mais qui secouent notre accoutumance. Un autodafé salutaire – des chevelures et des brasiers. Des voix de femmes qui portent en elles la rébellion. Des héroïnes obscures qui bravent l’intangible au nez et à la barbe des tyrans.

Ce qu’on ne peut plus taire, ce qu’il faut réprimer et qui tout d’un coup semble impossible à réprimer, même par la force. Un antidote au mensonge et à la mauvaise foi. Ce qui nous est révélé grâce à ces femmes, grâce aussi à la jeunesse – le ferment des chahuts qui se changent en révolutions –, c’est je ne sais quoi de vil, inhérent au Pouvoir quand il est criminel – mais ne l’est-il pas toujours ?…

Et puis il y a des images – et quelles images !

Que, partout en Iran, des jeunes filles – et des petites mémés ! – jettent leur bonnet par-dessus les mosquées dans un immense feu de joie. Que, par une retentissante paire de claques les mollahs en turban soient décoiffés en pleine rue. Que des milliers de manifestants à Shanghai et à Wuhan brandissent une simple feuille de papier blanc comme une clameur muette ou bien qu’ils s’égosillent hardiment : « Xi Jinping dehors ! » Que des Ukrainiens sous les bombes narguent Poutine, ce gribouille casqué, qui croit que les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part. Que de jeunes Russes – pas tous bien sûr  –, soucieux de sauver leur honneur (et leur peau), abandonnent leur patrie et fuient la guerre.

Est-ce possible ?

A-t-on jamais vu cela ? N’est-ce pas une exception dans un monde où tout conspire à la mort de l’exception ? Tous ne sont pas des anges, loin de là, mais pour l’heure ils semblent nous annoncer une bonne nouvelle. Et tant pis si Joe Biden ressemble à un gâteux d’opérette et si saint Volodymyr nous agace avec sa face de carême et ses grimaces de martyr – normal, c’est un martyr, il fait le métier !

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Mais pourquoi diable tous ces gens ne pensent-ils qu’à s’insurger ? Par quelle bizarrerie sont-ils soudain fatigués de subir ? Et comment osent-ils ? Ils semblent insoucieux des représailles qui leur sont promises ; on se sent invulnérable quand on n’a plus rien à perdre ; on devient sourd à toute diversion. Et après ? Y aura-t-il même un après ? Ils s’en fichent. Seul le présent existe. Ce sont les dictateurs qui se font du souci pour leur avenir.

Jusqu’à quand pourront-ils exercer la terreur en rêvant de conjurer l’émeute ? Espèrent-ils un miracle ? Ils savent qu’ils ne peuvent ni tuer tout le monde ni mettre tout le monde en prison. Des réformes ? En Chine, on y songe mais on sévit d’abord, par principe. En Iran, il est déjà trop tard. En Russie, il est trop tôt. En Ukraine aussi. Tout n’est que glas, drones et fumées – c’est la guerre !

En attendant, les saturnes, oligarques ou prélats, tremblent dans leur palais – c’est obscène, la peur, quand on ne peut plus la cacher.

Quand ils accusent les manifestants, ces comploteurs !, ces traîtres !, d’être des agents de l’étranger, le monde entier s’esclaffe. Les puissants sont devenus impuissants. Ils se croyaient intouchables, garants de la transcendance et maîtres de l’univers, ils n’en sont que les jouets. Car ce sont les peuples, et les sociétés, qui font l’Histoire. Plus tard on enseignera aux enfants que ces gloires du passé étaient de tristes sires – des escrocs. On ne conservera de leur règne qu’un pâle renom qui servira à compter les années – et le temps perdu.

Quand la peur disparaît, tôt ou tard le système s’effondre. C’est en regardant à la télévision le Mondial – on a depuis censuré les images de foules pavoisant sans masque dans les stades – que des millions de Chinois parqués de force ont compris qu’on leur avait menti. Le dogme du « Zéro Covid » s’est mué en brimade, puis en farce tragique. Ras-le-bol d’être gouvernés comme on fait frire des petits poissons !

Le tyran est donc un imposteur – Voltaire avait raison. Quand il proclame : « Je suis le réel et vous, les gens, vous n’existez pas ! », on le croit d’abord, on se tait, et puis un jour le réel se venge. La peur change de camp. Alors, à force d’inventer un ennemi pour exister, le tyran devient un ennemi pour lui-même. Et un embarras pour son peuple.

On le chasse ou on le tue.

Variante : « Mousse de crevette ! » qui paraît-il sonne joliment en chinois comme le mot « Démission ! ».

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Janvier 2023 – Causeur #108

Article extrait du Magazine Causeur




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est écrivain, essayiste et journaliste littéraire

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