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Le crépuscule des saints

L'Abbé Pierre est-il victime de la culture de l'annulation ?


Le crépuscule des saints
L'abbé Pierre © VASSEUR THIERRY/SIPA

Le passé de l’abbé Pierre ressurgit, et ce dernier ne peut plus répondre à tous ceux qui l’accusent d’être un prédateur sexuel. La fondation qu’il a créée est renommée « Fondation pour le Logement des Défavorisés ». Accuser publiquement un mort n’est déjà pas élégant, mais est-il juste d’effacer son souvenir ?


Il était le favori dans la liste des notabilités préférées des Français durant des années. Il était reçu au palais de l’Elysée, il a eu droit à un hommage national lors de ses obsèques en janvier 2007. Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy assistèrent à la messe de son enterrement à Notre-Dame. Plusieurs films ont été réalisés pour célébrer son œuvre de bienfaisance. Au crépuscule de sa vie, il était considéré comme un quasi-saint vivant ; c’était Henry Grouès, dit l’abbé Pierre, l’ancien maquisard, passeur de familles juives, ancien député et surtout connu pour être le cofondateur de l’organisation Emmaüs qui vient en aide aux plus déshérités et pour son appel de l’hiver 1954.

Il aurait pu être panthéonisé tant il faisait l’unanimité dans la classe politique. Et puis, patatras ! Plus de quinze ans après sa mort, un rapport commandé par une officine dirigée par la militante féministe Caroline De Haas fait état de « comportements pouvant s’apparenter à des agressions sexuelles ou des faits de harcèlement sexuel » de la part de l’abbé Pierre entre la fin des années 1970 et 2005… Bigre ! Plusieurs décennies après les supposés faits, l’abbé, post mortem, réussit à faire parler ces femmes jusqu’alors muettes ! Ne serait-ce pas le miracle qui manquait à la canonisation du saint homme ?

À l’époque où un baiser volé peut vous valoir une convocation devant le juge d’instruction, on ne badine pas avec ce sujet ! Adieu la sainteté, bonjour la diabolisation. Il a fallu ces témoignages impossibles à contredire pour faire tomber en quelques jours l’ex-personnalité préférée des Français de son piédestal ! Fi de la Résistance, fi des milliers de personnes secourues, fi de l’aide apportée aux plus démunis, fi de toute une vie dévouée à résorber la misère…

À lire aussi, Elisabeth Lévy : Abbé Pierre: peut-on juger un mort?

Même les actuels dirigeants d’Emmaüs veulent effacer le nom du créateur ! Les langues se délient toujours plus facilement pour salir que pour bénir et l’ingratitude des peuples n’est plus à prouver. C’est tellement grisant de brûler ses idoles. Faire le procès des morts, Déboulonner les statues, débaptiser des lieux, oublier des noms…

C’est ainsi que la culture de l’effacement commence. Accuser publiquement un mort n’est déjà pas élégant mais est-il juste d’effacer son souvenir ? Quand bien même l’abbé Pierre aurait des péchés à se faire pardonner, est-il honnête de le bannir alors qu’il a passé toute sa vie au service des nécessiteux et qu’il laisse derrière lui une œuvre efficace à laquelle il fut entièrement dévoué ? Faut-il revisiter la vie de tous nos héros au risque d’y trouver quelques péchés ? Je constate que la société est bien plus sévère que l’Église. Cette dernière, après résipiscence, sait absoudre les péchés mortels, mais le bon peuple ne tolère pas les péchés véniels.

À ce compte-là, bien des saints qui furent de grands pécheurs avant leur conversion ne mériteraient pas de figurer dans le calendrier. Dans une société geignarde, à une époque où la mentalité victimaire est dominante, voire sacralisée, il n’est pas bon d’admirer les grands noms qui font l’histoire ou ceux qui excellent dans leur domaine. Que vous soyez un comédien à la mode, un footballeur ou un illustre personnage du passé, personne n’échappera au jugement terrestre ! Après le crépuscule des dieux et celui des idoles, voici le crépuscule des saints.

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écrivain et chroniqueur. Derniere publication : "Au bal des facétieux" (Une autre voix, 2024)

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