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Ayons le courage de la dissidence !

Le génie français du « pas de côté ».


Ayons le courage de la dissidence !
A Paris, la marche pour l'égalité avec Assa Traore. Chang Martin/SIPA 01060829_000002

Dans un essai revigorant, Le Courage de la dissidence, Bérénice Levet nous exhorte à prendre notre courage à deux mains, face à la vague de wokisme qui semble submerger notre culture, et à y résister en cherchant des munitions dans l’histoire et le génie français. L’analyse de Marie-Hélène Verdier, suivie d’un extrait du livre.


Où est passé l’esprit français ? Sa liberté, sa gaîté ? Le wokisme, avec son bras armé, la Cancel culture, règne en maître partout. Chaque jour, nos élites communient davantage au discours ambiant diversitaire, décolonialiste à deux balles, communautariste, victimaire et repentant. Allons-nous encore longtemps nous en laisser conter ? Le dernier livre de Bérénice Levet, Le Courage de la dissidence, paru aux éditions de l’Observatoire, sonne le rappel et la charge.

Ce n’est pas un livre de plus sur le wokisme mais un livre qui pose la seule question qui vaille. Au nom de quoi ne voulons-nous pas vivre dans une France « convertie au wokime » ? La réponse est claire : au nom d’une civilisation « que nous ne convoquons plus mais qui existe toujours ». Retrouvons donc les trésors oubliés de cette civilisation « pour en faire des principes d’action ». C’est par « le génie français de l’incarnation » que nous vaincrons. Génie : caractère propre et distinctif.

La France n’est ni une équation, ni une formule, ni une abstraction. Elle est enracinée dans un terreau riche. Il ne s’agit donc pas, pour sauver notre héritage, de déployer l’étendard des « valeurs républicaines » mais de donner, de nouveau, la France à aimer charnellement par le « pas de côté » de la pensée et de l’art. Et quoi de plus enraciné que le propos de ce livre, écrit par passion de transmettre ! Les exemples foisonnent, pris dans tous les domaines — histoire, philosophie, littérature, peinture, statuaire, musique, art des jardins. Montaigne et Poussin, Descartes et Voltaire, Benjamin Constant et Rameau, avec ses Indes Galantes (longtemps l’indicatif d’une émission de radio) Braudel et sa Méditerranée, Debussy — la Cathédrale engloutie et le merveilleux Monsieur Crocheet Georges Duby, avec ses Dames du XIIème siècle, Proust et Merleau Ponty, tous ces créateurs, convoqués ici, témoignent de l’irréductible singularité de leur génie. Chacun, à sa manière, irréductible à tout autre, proclame, en écho aux philosophes et aux historiens, que « notre royaume est de ce monde » : celui de la vérité, de la beauté, de la liberté du rire. Oui, la France est incarnée : elle a pour visage, celui d’une femme, pour nom Marianne, et pour patronne Jeanne d’Arc. Et, à travers les siècles, s’entend toujours le rire de Voltaire.

A lire aussi : En Amérique latine aussi, la résistance au wokisme s’organise

Impossible de reprendre toutes les idées de la disciple d’Hannah Arendt — partagées par nombre de nos contemporains. Retenons-en deux: la citoyenneté et la laïcité. Loin des déterminismes réducteurs, la France est « cette belle audacieuse » qui rappelle à chacun sa liberté. Et l’auteur d’évoquer « la subtile dialectique de l’enracinement et de l’émancipation » qui caractérise l’assimilation à la française qu’on appelle aux échecs « la marche du cavalier ». La citoyenneté, c’est l’entente française de la vie, loin de tout déterminisme comme de tout débordement. La laïcité ? Source d’étonnement pour les étrangers, c’est « le génie » français, bien vu par Nietzsche relevant cette contradiction de notre pays, d’avoir « produit les types les plus accomplis de la chrétienté… et d’avoir, inversement, engendré les types les plus achevés de la libre pensée anti-chrétienne ». Quant à l’Histoire qui donne, en ce moment, bien du fil à retordre à nos historiens du Wokistan, quoi de plus parlant que nos statues « couvrant la France d’un manteau de pierre » donnant à voir et à aimer notre histoire nationale à travers ses grands hommes et ses grandes femmes ? Ces statues que certains voudraient, faute de pouvoir les déboulonner, flanquer d’un « cartel pédagogique »— autrement dit : encarter !

Le titre du livre fait référence à la dissidence russe et, plus précisément, au discours de Harvard (1978) de Soljenitsyne : « Le déclin du courage ». D’où cette question pressante. Les Français auront-ils le courage — « le cœur »— de résister ? Faut-il désespérer d’adultes amnésiques ? D’une jeunesse consentante à tout ? D’un peuple émietté ? La France est-elle destinée à être une « petite province satellite » de l’Amérique ? Notre langue est colonisée par le globish. L’école est menacée dans sa mission de transmettre et d’instruire. La réponse est politique, c’est-à-dire qu’elle nous engage tous.

La France ou « le génie de l’incarnation ». Ce livre donne envie de relire Descartes et Céline, Candide et Feuillets d’Hypnos. De réentendre les Barricades mystérieuses. D’aller saluer les Reines mortes du Jardin du Luxembourg et de se promener à Versailles en connaissance de cause. Bérénice Levet a pleinement réussi son pari de transmettre et partager l’amour reçu dont elle vit. Nostalgie, dira-t-on. Mais la nostalgie est chose excellente, « en faisant de nous, non pas des collaborateurs mais des résistants » ! Voilà bien un livre pour « les fêtes » car il est lui-même une fête ! Alors, ne nous privons pas de cette lecture. Noël, avec ses crèches et son sapin, c’est, par excellence, la fête de l’Incarnation.

Voici un extrait des « bonnes feuilles » :

© Humensis

pp. 9-12

Comment ne pas devenir américains ?

Une atmosphère toujours plus servilement diversitaire et victimaire.

« Il serait présomptueux de se croire immunisés pour toujours de la contagion américaine », écrivait, dès 1994, Pascal Bruckner dans La Tentation de l’innocence. De fait, longtemps nous avons pu croire que, de par notre histoire, de par notre entente de la vie, de par notre fameuse tradition républicaine, nous étions, nous autres Français, préservés de la tyran­nie des identités, de la dévotion à la « diversité » et aux « minorités », du bûcher des susceptibilités. Bref, que jamais nous ne vivrions à l’heure du féminisme identitaire, de l’indigénisme, du décolonialisme et du racialisme.

Et puis, force fut de constater qu’il n’en était rien. Les citadelles, ou ce que l’on aurait voulu croire telles, commencèrent de tomber les unes après les autres. Institutions publiques aussi bien que pri­vées : université, école, théâtre, musée, cinéma, historiographie, sciences dures, entreprises, tous ne meurent pas (encore), mais tous sont frappés. L’his­toire s’est furieusement accélérée depuis 2015, avec deux jalons décisifs : la déferlante du mouvement #MeToo en 2017 puis, en 2020, à la suite de la mort de George Floyd aux États-­Unis, la fièvre de Black Lives Matter, avec, dans les deux cas, une génu­flexion obligée et ostentatoire.

Chaque jour l’atmosphère se fait plus servilement identitaire, diversitaire, victimaire. On ne compte plus les expositions qui choisissent d’entrer dans l’histoire de l’art par le prisme féministe, homosexuel, racialiste. À peine a-­t-­il rouvert ses portes après deux années de travaux que le musée de Cluny programme un cycle de conférences sur le thème « La part des femmes. Genre et société en Europe à la fin du Moyen Âge » où, après avoir inventorié « les régimes de genre à la fin du Moyen Âge », un universitaire explorera « les genres fluides. De Jeanne d’Arc aux saintes trans ». En 2021, Cécile Debray est nommée à la tête du musée Picasso, le magazine L’Œil s’inquiète : « La tâche est grande, prévient le rédacteur en chef, pour faire entrer Picasso dans le siècle de #MeToo et de l’appropriation culturelle ». Mais, très vite, Fabien Simode nous ras­sure : nous pouvons « faire confiance [à l’impétrante] pour détricoter l’historiographie très (trop) masculine de Picasso » et ne pas « écarter les sujets qui fâchent ». Le visiteur ne tardera d’ailleurs pas à le vérifier : l’exposition inaugurale de l’ex­-directrice de l’Orangerie, « Les femmes qui pleurent sont en colère » confiée à la plasticienne Orlan, «ne souffrant aucune ambiguïté»[1], conclut, rasséréné, le journaliste. En mai de la même année, Laurence des Cars est nommée à la direction du musée du Louvre. Quel fut, en plus d’être une femme, son titre de gloire ? Avoir organisé en 2019 l’exposition «Le modèle noir. De Géricault à Matisse» significativement importée des États-­Unis, avec Pap Ndiaye en commissaire scientifique de l’événement, et Pascal Blanchard associé à l’ex­-joueur de football recyclé dans l’antiracisme racialiste, Lilian Thuram, en exégètes du parcours proposé. Enfin, soupira-­t-­on dans les rédactions, la « décolonisation des arts et du regard » faisait son entrée au musée et en France. Il n’y eut guère que Catherine Millet, la directrice d’Art Press, qui eut la hardiesse de briser ce grand concert d’unanimité en publiant un article, très argumenté : «L’idéologie au poste de commandement»[2], raillant l’enfilage de perles auquel se ramenaient les propos du couple Blanchard-­Thuram.

Les journalistes ne sont pas les seuls séduits par les faits d’armes de la nouvelle directrice du Louvre. Un conseiller de l’Élysée explique ainsi que « ce qui a beaucoup intéressé le président, c’est que Laurence des Cars sente que les débats de société sont entrés dans les musées » et qu’elle soit résolue à « accueillir la polyphonie du monde dans un musée en résonance » avec les questions actuelles et notamment « la place de la femme dans les collections ». Invitée de la mati­nale de France Inter au mois de mai 2021, l’intéressée confirmera « réfléchir à la manière dont le Louvre peut être pleinement contemporain » et exprimera sa volonté de transformer cette grande et belle mais vieille institu­tion en « chambre d’écho de la société » – aveu terrible tant l’image évoque la caverne de Platon, mais aveu funestement vrai : les lieux d’instruction et de culture, loués et recherchés pour leurs vertus émancipatrices, n’ont plus d’autre ambition que de renchérir sur les échos et les ombres de la caverne, c’est-­à-­dire de la société. Loin de nous libérer de nous­-mêmes et de nous rendre ainsi libres d’appareiller pour l’exploration de l’humaine condition, les œuvres de l’esprit, dont ces institutions sont les médiateurs, se voient rétrécies à nos piètres dimensions de vivants.


[1] Magazine L’Œil, n° 755, juin 2022, p. 31.

[2] L’article est accessible en ligne, j’en recommande vivement la lecture.



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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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