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Le Conseil constitutionnel face à un choix historique

Le Conseil constitutionnel doit jouer son rôle et protéger notre démocratie contre des abus de pouvoir.


Le Conseil constitutionnel face à un choix historique
Le Conseil constitutionnel, Paris, 2007 DURAND FLORENCE/SIPA

Face à des mesures sanitaires prises par le gouvernement afin de se protéger plutôt que de protéger les Français, le Conseil constitutionnel doit jouer son rôle et protéger notre démocratie contre des abus de pouvoir.


Face à des mesures sanitaires prises par le gouvernement afin de se protéger plutôt que de protéger les Français, le Conseil constitutionnel doit jouer son rôle et protéger notre démocratie contre des abus de pouvoir.

Par l’intermédiaire de Jean Castex, l’exécutif a fait savoir qu’il envisageait désormais de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. À quelques jours de Noël, c’est sans doute son cadeau aux « complotistes » à qui il donne raison une fois de plus. Conséquemment, le Conseil constitutionnel devra statuer et faire un choix historique, de loin le plus important depuis sa création en 1958.

Trois pouvoirs

L’omniprésence dans nos vies de Gabriel Attal, de Jean Castex ou d’Olivier Véran a pu donner aux Français l’impression fausse que le pouvoir exécutif était le seul pouvoir en France, et qu’il avait de surcroît tous les pouvoirs. En réalité, nous sommes un régime démocratique constitutionnel et le pouvoir est triple : exécutif, législatif et judiciaire. Cette répartition de la charge effective du pouvoir vise à protéger les fondations constitutives de la nation et le peuple contre les aventures électorales, contre les tyrans de passage ou les expériences politiques hasardeuses. L’existence d’une Constitution vise entre autres à limiter le champ d’action des gouvernements et des assemblées qui seraient tentés par l’aventure. Ce faisant, l’assemblée, qui a le pouvoir de voter les lois, ne peut le faire en dehors des limites imposées par la Constitution. Si une loi est manifestement anticonstitutionnelle, si elle contredit un principe édicté par la Constitution, elle doit être empêchée par l’institution qui veille au respect des principes immuables, théoriquement le Conseil constitutionnel.

Depuis le début de la crise, le pouvoir exécutif n’a pas toujours eu la même attitude face à la situation. Dans un premier temps, c’est-à-dire dans les premières semaines de 2020, il a préféré ignorer ce qui pouvait pourtant devenir grave. Quelques jours encore avant de décider, dans une apparente panique précipitée, la fermeture des écoles puis le confinement, le président Macron allait au théâtre « malgré le coronavirus » et le faisait savoir dans les médias. Quelques jours plus tôt, Olivier Véran, nouveau ministre de la Santé, disait à la radio qu’il n’avait pas « vérifié que la France soit prête » en cas d’épidémie massive, convaincu d’avance qu’elle l’était. Autant dire que l’ambiance était plutôt détendue et qu’à cette époque, les loufoques étaient ceux qui, à rebours de ce climat serein, craignaient que la France suive le même chemin que le voisin italien, lui-même en grande difficulté sanitaire. Depuis, les rôles se sont largement renversés et le loufoque est désormais celui qui refuse de paniquer avec la meute. Le président Macron et le ministre Véran, se sentant peut-être coupables d’avoir réagi tardivement, se perdent désormais dans une surenchère de mesures, de restrictions, d’ordres, de décisions farfelues, soucieux sans doute de rattraper leur retard, à l’image des convertis qui prient deux fois plus que les autres pour s’excuser de n’avoir pas commencé plus tôt.

Le temps des procès

La peur du temps judiciaire explique en grande partie que le pouvoir exécutif se soit lancé dans cette surenchère. Il faut remonter la chronologie très tôt pour voir apparaître les premiers signes de cette peur. Le 10 avril 2020, le journaliste Louis de Raguenel disait sur LCI avoir obtenu, en coulisse, la confession suivante : « Les ministres sont très prudents dans leur communication, ils savent très bien qu’à l’issue de cette crise il y aura des procès judiciaires. Et là ce ne sera plus du tout la même chose. Quand ils auront à répondre, quand il y aura des saisies de mails faits par la Justice, […] il y a même des ministres qui me disent “On s’attend à un Nuremberg du coronavirus” ». Le 23 avril 2020, sur BFM/RMC, Philippe de Villiers confirme : « Il y a des ministres qui m’ont dit, des ministres importants, “C’est normal qu’il y ait une tétanie présidentielle, gouvernementale, on est pétrifié, parce qu’on est prudents, parce qu’on est obligé de se couvrir, […] on prépare la défense judiciaire”, et donc en fait les conférences de presse de M. Philippe, c’est plus pour préparer la défense judiciaire que pour rendre service aux Français ».

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Et quel type de procès peuvent-ils anticiper et craindre ? La réponse est donnée quelques mois plus tard avec la mise en examen par la Cour de justice de la République d’Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, à qui il est reproché deux attitudes coupables : mise en danger de la vie d’autrui et refus d’affronter un sinistre (la première qualification découlant logiquement de la seconde). Voilà bien sûr ce que craignent les membres du gouvernement : ils craignent que leur soit reproché de ne pas en avoir fait assez contre l’épidémie. Et précisément pour s’assurer qu’on ne pourra pas leur reprocher de ne pas en avoir fait assez, ils en font plus, c’est-à-dire trop. Ils savent en effet qu’à l’issue de cette crise, si quelqu’un devait les accuser d’en avoir « trop fait », il existe pour se défendre contre cette accusation un panel assez large de justifications faciles : c’était pour la bonne cause, c’était pour lutter contre le virus, c’était pour protéger les Français, c’était pour protéger l’hôpital, c’était pour sauver des vies, etc. Il est beaucoup plus difficile, sur les plans moral, politique et judiciaire, de se défendre d’un manque d’actions.

Si le pouvoir avait réellement et avant tout le souci de la santé, nous verrions fleurir beaucoup plus de mesures contre l’alcool (disponible absolument partout), contre la cigarette (également disponible partout). Puis, après avoir agi contre ces fléaux, le gouvernement s’attaquerait aux grands distributeurs de l’agro-alimentaire qui gavent leurs produits industriels de sel, de sucre, de chimie, de conservateurs, de pesticides, etc. Le tabagisme est effectivement la première cause de mortalité évitable en France. L’addictologue et psychiatre Amine Benyamina indique dans un entretien publié il y a quelques mois que « Le tabac et l’alcool tuent tous les ans, en France, 120 000 personnes. C’est un Covid par an ». Pour lutter contre cette hécatombe qui se répète tous les ans, les seules mesures contraignantes prises par les autorités consistent à interdire la vente aux mineurs et à faire inscrire sur ces produits des mentions qui rappellent leur nocivité. Nous sommes loin de la dureté des mesures prises pour lutter contre un virus qui finalement tue beaucoup moins que ces produits.

L’exécutif prétend protéger les Français mais en réalité se protège lui-même

En réalité, le pouvoir exécutif est déjà protégé juridiquement contre d’éventuelles plaintes que pourraient déposer des Français rendus malades par la consommation de l’alcool et du tabac. Il n’a donc pas besoin de se protéger davantage. Il ne l’est pas de la même manière contre les futures plaintes qui seront déposées contre lui lorsque le soufflé de la crise sanitaire sera retombé. Les membres du gouvernement et le président lui-même doivent impérativement se mettre à l’abri contre un type de plainte en particulier : la mise en danger d’autrui et le refus d’affronter un sinistre. Désormais, à peu près toutes les mesures qui sont prises visent à les mettre à l’abri de ces plaintes. Ne pas le voir, ne pas le reconnaître, feindre de croire que ces gens ne sont animés que par le souci altruiste, sincère et désintéressé de protéger les Français, c’est être, au mieux, un grand naïf et un idiot-utile.

La surenchère de mesures est devenue une aventure politique dangereuse

Presque deux ans après les premières frayeurs, nous sommes en mesure de vérifier que l’hécatombe que nous étions en droit de craindre ne s’est pas produite. Contrairement à ce que les déclarations toutes plus anxiogènes les unes que les autres nous indiquaient dans les derniers jours avant le confinement et pendant le confinement, il n’y a pas eu d’apocalypse virale et 99,9% de la population a survécu. Il s’agit maintenant de reposer les pieds sur terre. Hélas, c’est précisément ce que le pouvoir exécutif se refuse à faire. Non content de continuer à commenter la situation sanitaire en des termes aussi anxiogènes qu’au début de l’affaire, il surenchérit, multiplie les mesures, augmente leur dureté, et finalement travaille avec un entêtement irrationnel à la vaccination de tout le monde. Prochaines étapes de sa feuille de route : la vaccination des enfants et l’instauration du passe vaccinal dans l’entreprise, laquelle aura pour effet de pousser vers le chômage et la précarité des centaines de milliers de Français. Un tel carnage social, pour un motif aussi farfelu, n’a probablement pas d’antécédent dans notre pays. Il pourra par contre ouvrir la voie à d’autres décisions également surréalistes et dangereuses, raison pour laquelle il est devenu une question de principe de s’opposer absolument à cette dérive liberticide du pouvoir exécutif.

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C’est ici que le Conseil constitutionnel devra jouer son rôle de protecteur des principes contre les aventures politiques. S’il est cohérent, il empêchera l’exécutif d’instaurer, à la seule fin de se protéger de la future tempête judiciaire, un ordre nouveau fondé sur la discrimination sanitaire ; il empêchera que la minorité macroniste qui tient actuellement ce pays ne prenne tout un peuple en otage pour se protéger elle-même. Le Conseil constitutionnel sert exactement à protéger la nation contre les abus que sont susceptibles de commettre des gens qui sont prêts à piétiner ces principes fondateurs de notre droit : l’égalité des citoyens et le refus de fonder, sur un critère de santé, une discrimination entre eux.

De l’urgence d’un retour rapide au calme

Disons-le aussi franchement que c’est évident : la macronie a également un intérêt électoral à concentrer toutes les attentions sur la crise sanitaire. Au moment de se représenter devant les Français, quel bilan Emmanuel Macron pourrait bien avoir à proposer ? Ces deux dernières années ont été entièrement et obsessionnellement consacrées à la crise sanitaire, au point d’avoir occulté tous les autres sujets. Les mauvaises nouvelles de son quinquennat, comme l’explosion de la dette, ne sont justifiables, explicables et pardonnables qu’à la condition d’être intégrées au récit covid. Entretenir le sujet sanitaire, le poursuivre jusqu’au scrutin pour qu’il continue d’absorber tous les autres sujets, c’est une question de survie électorale pour la macronie. Si demain ce sujet disparaît complètement des écrans, Macron serait nu, dépouillé de la seule carte qu’il puisse encore jouer… Les enquêtes d’opinion sont nombreuses qui révèlent que le cœur de cible électoral de Macron, en l’occurrence les centres urbains et les « boomers », lui sont acquis, particulièrement depuis qu’il a réussi à les convaincre qu’il avait bien géré la crise. Les « boomers » lui sont reconnaissants d’avoir pris des mesures générales, même si elles étaient rudes et liberticides, contre un virus qu’ils sont les premiers à craindre. Emmanuel Macron doit maintenant chouchouter cet électorat jusqu’au jour du scrutin, en continuant à l’entretenir dans la peur d’un virus qu’il est réputé tenir à distance d’eux grâce à son excellente gestion de crise. D’une certaine manière, nous pouvons dire que chaque nouvelle injection de vaccin quelque part en France lui assure un suffrage « boomer » supplémentaire. Et cette catégorie de la population est celle qui se déplace le plus pour voter…

Le Conseil constitutionnel est maintenant devant un choix historique. S’il n’oublie pas qu’il est là pour garantir la fixité des principes contre les aventures politiques isolées, il retoquera les nouvelles mesures du gouvernement et fera revenir la France dans la voie de la raison. S’il n’en fait rien, se posera alors la question de son utilité réelle dans le jeu institutionnel de la République.




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Auteur, éditeur.

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