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Le conflit au Haut-Karabakh, une guerre qui ne sera résolue que par le droit

Si le pays se dit victorieux, le succès de l’Azerbaïjan demeure mitigé


Le conflit au Haut-Karabakh, une guerre qui ne sera résolue que par le droit
Nikol Pachinian, Premier ministre de l'Arménie, en visite à Paris, 1er juin 2021 © HAMILTON-POOL/SIPA Numéro de reportage : 00878715_000056

La Russie réunira Arméniens et Azéris pour discuter du tracé de la frontière le 30 juin. Analyse.


La blitzkrieg de quarante-quatre jours à l’automne 2020 entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour de la souveraineté au Haut-Karabakh s’est terminée par un cessez-le-feu et la rétrocession de territoires sous contrôle arménien à l’Azerbaïdjan, au prix de 6000 morts.

Quarante-quatre jours qui ont rappelé qu’en réalité, ce conflit « oublié » dure depuis trente ans.

L’Artsakh, ou Haut-Karabakh, est majoritairement peuplé d’Arméniens et a régulièrement changé de tutelle. Rattachée en 1921 à l’Azerbaïdjan, cette province autonome sous l’ère soviétique s’est finalement déclarée indépendante le 2 septembre 1991. Cette revendication, que même l’Arménie alliée n’a pas reconnue, a ouvert un cycle d’affrontements réguliers et meurtriers entre les deux voisins. En 1994, un cessez-le-feu a mis fin à une première guerre de trois ans grâce au travail diplomatique du groupe de Minsk, co-présidé par la Russie, les Etats-Unis et la France. Mais l’accord a confié le contrôle de l’Artsakh, en raison de sa forte communauté arménienne, à Erevan, tout en le rattachant administrativement à Bakou. En raison de cette souveraineté imparfaite, jugée illégitime par l’Azerbaïdjan, l’accord n’a permis aucune résolution du contentieux politique et juridique et a fait basculer la région dans l’instabilité chronique. En 2016, la « guerre des quatre jours » a aggravé les relations avec l’Arménie, l’hostilité atteignant son apogée en septembre 2020 lorsque l’Azerbaïdjan a décidé d’attaquer les défenses arméniennes.

Un conflit internationalisé par l’Azerbaïdjan

Loin d’être fortuite, cette guerre a fait l’objet d’une longue préparation par Bakou pendant quatre ans, et toute la logistique militaire déployée le démontre. Lassé par trente ans d’échec des négociations, l’Azerbaïdjan a usé de ses vastes ressources pétrolières pour internationaliser le conflit et impliquer ses voisins et partenaires économiques, la Turquie, la Russie et plus récemment Israël. Il a bénéficié en retour d’équipements militaires de pointe (drones, avions de combat et systèmes de défense anti-aérien), de l’expertise acquise par la Turquie en Syrie et de ses mercenaires syriens et libyens. Face à un tel déploiement militaire, l’Arménie mal équipée et dépourvue de soutien aérien n’a pas pu résister longtemps. Le cessez-le-feu signé le 9 novembre 2020 sous l’égide de Moscou n’a laissé aux Arméniens qu’un quart du territoire de l’Artsakh, le reste revenant à l’Azerbaïdjan.

Le bilan reste néanmoins très mitigé pour les « vainqueurs ». Artisan de l’accord de novembre 2020, la Russie est apparue comme la seule puissance apte à régler le conflit, en déployant notamment une force de paix de 2000 hommes pour assurer la sécurité du corridor entre l’Arménie et l’Artsakh. Mais sa défection envers Erevan, malgré leur alliance au sein de l’Organisation du traité de sécurité collective, en a fait une alliée manquant de fiabilité. En outre, l’irruption de la Turquie au cœur d’un carrefour énergétique indispensable à ses ambitions régionales, mais qui est aussi « l’étranger proche » russe, reste une menace pour les intérêts locaux de Moscou.

De nombreuses inquiétudes persistent également autour des 1500 monuments religieux et culturels arméniens passés sous contrôle azéri, sur lesquels on soupçonne déjà des destructions

Le soutien logistique d’Israël à l’Azerbaïdjan sert une ambition plus large, puisque cet ancrage local permet désormais aux Israéliens d’infiltrer le territoire iranien via la frontière commune entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, et d’intervenir sur les sites stratégiques iraniens. Mais ce positionnement a suscité les critiques de la population israélienne par son absence de solidarité envers le peuple arménien, lui aussi victime de génocide et horriblement frappé par les conséquences de cette guerre-éclair. Quant à l’Iran, qui conservait une relative neutralité mais restait l’un des plus anciens soutiens de l’Arménie pour des raisons historiques et culturelles, son soutien à l’Azerbaïdjan face aux pressions de sa propre communauté azérie aura finalement été contre-productif. La République islamique doit désormais faire face à une double menace à sa frontière nord, les miliciens syriens pro-turcs qu’elle avait combattus en Syrie, et les forces israéliennes. Pour l’Azerbaïdjan enfin, cette guerre lancée pour flatter le nationalisme de la population dans un contexte de crise économique et de corruption institutionnelle, n’aura été gagnée qu’au prix d’une plus grande dépendance auprès de puissances extérieures et d’un froid diplomatique avec son voisin iranien.

Une frontière commune au tracé épineux

Le conflit de l’Artsakh n’en finira pas de créer de nouvelles situations de crise. Car l’Arménie comme l’Azerbaïdjan en font une question de souveraineté et d’identité, qui pour l’heure n’aura été réglée ni par le droit, ni par la guerre, cette « continuation de la politique par d’autres moyens », comme la définissait Carl Von Clausewitz. Le droit international reste pourtant la solution à privilégier pour le règlement des conflits, la guerre n’étant que l’ultime recours en cas d’échec juridique. Sur ce plan, les deux pays ont des arguments à faire valoir. Depuis le cessez-le-feu de 1994, l’Azerbaïdjan s’estime en droit de contrôler de nouveau l’Artsakh, en vertu d’un rattachement territorial qu’il ne devait pourtant qu’à Staline. L’Histoire en revanche se situe du côté arménien, comme le prouvent les frontières de l’antique royaume d’Arménie fondé au IVème siècle ap. J-C.

Des Arméniens manifestent contre l’accord signé par leur Premier ministre Nikol Pachinian à Erevan le 12 novembre 2020 © Maksim Blinov/SPUTNIK/SIPA Numéro de reportage: 00990687_000028.

Depuis l’accord de novembre 2020, les tensions persistent. Début mai, l’Arménie dénonçait l’incursion des forces azéries sur son sol comme une remise en cause de son intégrité territoriale, et jeudi 27 mai, l’Azerbaïdjan annonçait la capture de six soldats arméniens présentés comme un groupe de sabotage. Le fait est que le tracé de la frontière commune entre les deux pays, soit plusieurs centaines de kilomètres non délimités, pose désormais question, tout comme celle de la rétrocession éventuelle à l’Azerbaïdjan des territoires de la région de Gazakh contrôlés par l’Arménie depuis les années 1980. Le sujet est prégnant dans une Arménie profondément humiliée par la dernière guerre, et où l’opposition a déjà accusé le Premier ministre Nikol Pachinian de préparer la cession des territoires sans conditions. De nombreuses inquiétudes persistent également autour des 1500 monuments religieux et culturels arméniens passés sous contrôle azéri, sur lesquels on soupçonne déjà des destructions. C’est plus encore le sort réservé aux prisonniers de guerre civils et militaires arméniens – des « terroristes » aux yeux de l’Azerbaïdjan – notamment en raison des tortures qu’ils ont subies et qui violent le droit humanitaire international, qui risque de complexifier les négociations.

L’absence de relations diplomatiques officielles entre les deux pays écartant l’hypothèse d’une négociation bilatérale, l’Arménie et l’Azerbaïdjan discuteront donc dans le cadre d’une commission spéciale placée sous l’égide médiatrice de la Russie, dont la première session devrait se tenir le 30 juin prochain. Nul doute que le processus sera long et difficile, tant les contentieux sont nombreux, l’Azerbaïdjan souhaitant profiter de la faiblesse de l’Arménie, qui doit faire face pour sa part à une très forte pression de son opinion publique pour défendre l’intégrité de son territoire et éviter toute nouvelle capitulation. Les pourparlers ne pourront donc se passer d’une médiation internationale et du droit pour tenter d’aboutir à un accord pérenne et équilibré.



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Avocat franco-iranien

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