Une adaptation très réussie d’un mythique roman de Dumas, une comédie d’été en forme de chronique batelière et la reprise d’un grand classique signé Melville: un trio français gagnant.
Se venger
Le Comte de Monte-Cristo, de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière
Sortie le 28 juin
L’an passé, la nouvelle version des Trois mousquetaires par Martin Bourboulon avait laissé un goût amer aux amateurs des romans d’Alexandre Dumas. À force de trahisons et d’interprétations hasardeuses de l’œuvre originelle, le film s’est éloigné de son modèle au profit d’un vague western à la mode Richelieu. Les libertés prises avec le sort réservé par Dumas au sulfureux personnage de Milady ont même exaspéré les plus tolérants : on ne saurait tout sacrifier sur l’autel d’un hypothétique troisième volet dicté par des intentions commerciales ! C’est dire si l’annonce d’une adaptation du Comte de Monte-Cristo par les mêmes scénaristes a inquiété les puristes les moins farouches. Or, Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, devenus entre-temps réalisateurs, ont manifestement retenu les leçons de leurs premiers errements. Certes, ce nouvel opus affiche quelques différences notables avec le roman, mais rien d’irréparable. On se désole toutefois que la belle figure du père comploteur bonapartiste inventée par Dumas se transforme ici en celle d’une sœur, tout aussi active il est vrai : concession à l’air du temps féministe. On ne comprend pas plus pourquoi l’un des morceaux de bravoure du livre (une formidable et scandaleuse séance à la Chambre des Pairs) disparaît de cette version. Et ainsi de suite pour d’autres personnages et d’autres scènes. Mais, après tout, les adaptateurs doivent justifier leurs confortables rémunérations en tentant de faire mieux que Dumas. Du moins le pensent-ils.
Heureusement, un casting impeccable permet de faire oublier ces petits arrangements avec l’implacable histoire d’un homme ivre de colère et de vengeance, Pierre Niney en tête. L’acteur confère à Edmond Dantès et au comte de Monte-Cristo une insondable mélancolie qui sied absolument au personnage. Revenu sinon d’entre les morts, du moins de l’oubli total, il ne saurait esquisser le moindre sourire ou le moindre contentement et, surtout pas quand son ancienne fiancée, la belle Mercédès (parfaite Anaïs Demoustier), lui tombe dans les bras après des années de silence. Face à ce couple tragique et romantique, les méchants qui l’ont empêché d’exister font merveille parce qu’ils sont campés notamment par Patrick Mille (une mention spéciale pour son glaçant Danglars) et Laurent Lafitte. Les deux acteurs forment un duo plus que parfait dans la veulerie, la lâcheté et la noirceur. Ils sont l’incarnation idéale de la malédiction qui s’abat sur le héros, même si on peut regretter que l’infâme Caderousse du livre disparaisse quelque peu dans le film. Aux côtés de ces protagonistes évolue une distribution sans reproche, avec l’excellent Pierfrancesco Favino, acteur italien vu notamment chez Bellocchio, qui campe un abbé Faria plus que crédible. Ajoutez à cela des décors et des extérieurs dignes du lyrisme de Dumas et vous obtenez un film exigeant et populaire à la fois, ce qui, au cinéma, ne relève pas du pléonasme.
De fait, le budget imposant (plus de 35 millions d’euros) se voit à l’écran, ce qui est la moindre des choses, mais sert efficacement un propos artistique et narratif ambitieux. Loin des canons télévisuels et de l’envahissant esprit de la récurrence voulu par la dictature des séries, ce Comte de Monte-Cristo est d’abord un objet de cinéma, et de pur cinéma. Mené tambour battant par deux scénaristes-réalisateurs décidés à ne pas trahir fondamentalement l’œuvre, le film affiche un bel allant : pas une baisse de tension, pas un moment d’ennui, toute l’énergie mise au service de l’histoire et de son inexorable progression. Prouesse finale, qualité essentielle, cette adaptation donne envie aux spectateurs de se replonger dans le roman, ou de le découvrir, pour lire les destins du ténébreux comte de Monte-Cristo et de ses abominables ennemis.
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La Petite Vadrouille, de Bruno Podalydès
Sortie le 5 juin
On connaît les qualités du cinéma de Bruno Podalydès, digne héritier d’une comédie à la française qui, d’Yves Robert à Pascal Thomas en passant par Jacques Rozier, sait mélanger avec brio l’indolence rurale et la fantaisie urbaine. Cette fois, l’acteur-cinéaste nous entraîne dans un film au fil de l’eau avec ce titre malicieusement modeste, Petite Vadrouille, qui fait évidemment référence à Gérard Oury. Tout se passe donc sur un canal et dans une de ces « pénichettes » qui font le bonheur du tourisme fluvial pour marins d’eau douce et autres amateurs d’aventures sans grand danger. Daniel Auteuil et Sandrine Kiberlain forment le couple principal d’une comédie un peu romantique et surtout drolatique. Comme toujours chez Podalydès, les seconds rôles s’agitent en tous sens pour conférer au film sa dynamique loufoque. Denis Podalydès et Isabelle Candelier, entre autres, mènent ainsi la danse avec une verve communicative. Potemkine faisait construire pour sa tsarine de faux villages idylliques. Podalydès fait de même pour notre plus grand plaisir avec cette croisière en forme de trompe-l’œil permanent.
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L’Armée des ombres, de Jean-Pierre Melville
Sortie le 5 juin
Présente-t-on encore L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, alors que sort sur les écrans une version magnifiquement restaurée de cette ode à la Résistance française ? Oui, peut-être, quand on découvre, horrifié, l’inculture de nos collégiens sur l’Occupation. On se dit que la vision de ce chef-d’œuvre en cours d’histoire pourrait s’avérer d’utilité publique et scolaire. Et tant pis si certains cinéphiles ont le culot de faire la fine bouche. Melville en son temps savait ce qu’il faisait en dressant ainsi le portrait d’une France résistante, en convoquant notamment les destins de Jean Moulin et des époux Aubrac. Incarnés par Lino Ventura, Paul Meurisse, Simone Signoret ou Paul Crauchet, ces personnages donnent au film une incroyable humanité. Décrivant avec soin le véritable travail de résistance au quotidien, le film ne verse jamais dans un héroïsme facile ou ostentatoire. Glacé et glaçant, il s’approche au plus près de ce que vécurent ces « ombres » au-delà de l’imaginable.