La France est un pays remarquable par le nombre et la puissance de ses clergés. Curieusement elle a connu ces trente dernières années une révolution cléricale dont l’histoire n’est pas connue. L’observation de ce phénomène n’a cependant pas échappé à quelques sociologues et essayistes avisés et courageux.
Le Pays aux cinq clergés
En voici le répertoire. Les clercs des comités de rédaction président à la mise en gloire des saintes reliques et des objets sacrés, ils bénissent les bons et condamnent les méchants.
Les universitaires, quand ils n’ont pas atteint l’âge de la retraite, c’est-à-dire de la liberté, fabriquent l’histoire sainte et élaborent la doxa.
Les magistrats jugent de plus en plus comme Dieu lui même et non plus selon le Droit.
Les fonctionnaires de la culture, notamment les « inspecteurs de la création », prononcent les mots de la consécration : « Ceci est de l’art, celui-ci est un artiste ».
Le clergé d’Eglise, pillé de toutes ses fonctions sacerdotales y perd son latin.
Il s’est produit du même coup des transferts de sacré fort complexes. Les églises sont devenues des lieux de monstration des saints artistes ayant reçu l’onction de l’Etat. Les commissaires y prêchent un nouvel humanisme et initient aux concepts hermétiques. Les médias chantent les louanges et fabriquent auras et tabous. Les universitaires écrivent l’hagiographie des saints. Les juges disent le Bien.
La laïcité républicaine est décidément bien mal en point. La gauche est plus tentée par la fonction cléricale que par la représentation du peuple. Quant aux élus de l’Assemblée Nationale, ils ont voté une multitude de lois contre le blasphème qui ne punissent pas les crimes avérés mais les mauvaises pensées.
Culpabiliser c’est régner
Mais qui sont leurs victimes ? Ce sont tous des hommes du faire et de la création. Les artistes, les écrivains, les chercheurs en premier lieu. Ils n’ont jamais eu autant de clercs sur le dos. Ceux-ci leur font la morale, jouent sur la culpabilité. Toute approche du beau, de l’harmonieux, de l’élégiaque est un péché. Pour être sauvés, il leur faut déconstruire, transgresser, mettre en abîme. Les clercs sont unanimes pour considérer en France que la « beauté » et le « glamour » sont réservés à la pub, la consommation et la déco.
Il y a aussi tous ceux qui appartiennent au « tiers état » : les hommes du faire, du commerce et de l’industrie, les personnes qui entreprennent, produisent, créent des biens, aiment être libres, indépendants, courir des risques, ne pas être assistés. Les clercs les ont à l’œil, de préférence les petits et les moyens car les grands sont leurs mécènes… !
Ils exercent leur pouvoir sans contre pouvoir, avec discrétion, au fond des sacristies. Depuis une dizaine d’années leur puissance connaît une ombre : Internet. On y parle d’eux, on les observe, on les brocarde. Les chroniques artistiques de Nicole Esterolle sont un modèle du genre, une illustration du phénomène. Elles sont diffusées à tout le milieu de l’art, du fonctionnaire de la rue de Valois, aux galeries, journalistes, critiques d’art, historiens, artistes et amateurs. Ainsi tout le monde rit du ridicule absolu des situations, de la confusion des genres, de l’indigence de la doxa et des aspects plus bassement matériels mais si déterminants ! Rien de mieux que l’observation des faits pour surmonter la stupéfaction et l’effroi que provoquent l’incompréhensible et le sacré. Or, il y a aujourd’hui un fait nouveau : la gauche au pouvoir en 2012 est une souveraineté cléricale, elle a mis à son service tous les clergés à la fois. C’est la mort de la laïcité, le triomphe du nouveau sacré !
Les hommes libres de gauche et de droite s’en inquiètent; n’oublions pas que le destin de toute civilisation passe par la liberté de créer et d’entreprendre !
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