Ayant décidé de snober les classiques qui fondent sa propre culture, et notamment la Bible, la critique française est passée complètement à côté de Tree Of Life de Terence Malick. Bien que le personnage qui crève littéralement l’écran s’appelle Dieu, je n’ai en effet pratiquement rien lu évoquant sa présence de bout en bout du film[Seuls La Croix et Valeurs Actuelles ont su témoigner de la nature chrétienne de Tree of life.].
Une blague raconte qu’un jour un jeune homme rendit visite à un rabbin en se présentant comme un libre penseur.
– Avez-vous étudié la Bible avec attention ? demande le rabbin
– Non, répond le libre-penseur.
– Alors vous n’êtes pas un libre-penseur, mais un ignorant.
L’égarement interprétatif de la quasi-totalité des média me rappelle la désinvolture du libre-penseur de la blague. Ce refus de voir que Tree of life est fondamentalement, viscéralement et uniquement chrétien, incite à établir un constat de mort cérébrale des sphères prétendument cultivées[2. Autre hypothèse probable : ça leur arrache vraiment la gueule de prononcer le mot « chrétien » !].
Avec ou sans Dieu
Visiblement, pas un journaliste sortant de la projection n’a ouvert le Livre de Job pour comprendre autour de qu(o)i s’articule l’œuvre de Malick. Rien d’étonnant quand on se souvient des commentaires enthousiastes à propos des Hommes et des dieux de Xavier Beauvois. Pour parler des moines de Tibéhirine, les cinéphiles autorisés avaient réussi le tour de force d’évoquer le « dialogue des cultures », la « tolérance » et le « message humaniste » du film sans prononcer ou presque le mot « catholique » ! Dieu pardonnera leurs offenses.
Personne n’a remarqué non plus que Malick était le réjouissant anti-Arthus-Bertrand dont nous avons furieusement besoin en 2011. Car ce qu’il filme, ce n’est pas la Nature, mais la Création. Malick n’immortalise pas « la Terre vue du ciel », mais « le Ciel vu de la Terre ». Il ne rend pas hommage à la moderne-écolo Gaïa mais au Tout-Puissant !
Exit le New Age et le voyage astral, on ne verra ni ovnis ni métaphysique horlogère. Seule la fascination de l’infini paysage cosmique est offerte à notre intelligence. Peu à peu, nous réalisons que notre âme est une question pour elle-même. On est loin de l’animisme d’Avatar.
Père et Mère universels
Brad Pitt traçant dans l’herbe la limite de son empire familial ne peut pas ne pas évoquer règlement intérieur du Jardin d’Éden que Yahvé dicte à Adam. Le domaine du Père est évidemment le souverain Bien, empli de la vraie vie et de la vraie joie, où le mensonge n’a sa pas place. Hors du Jardin dans lequel est planté l’arbre qui témoignera du pacte familial, on s’expose inévitablement au risque de l’expérience du Mal. Brad Pitt incarne le Père universel veillant jalousement sur le couronnement réel de sa création. Ses enfants sont appelés à l’éternelle conquête de leur propre devenir. L’ancrage spatio-temporel de l’intrigue importe peu. Par la contingence flagrante du contexte, Malick donne le sens de l’universel au particulier. La famille devient synonyme d’humanité, le scénario est une allégorie de la grande Histoire. Raison pour laquelle les personnages du film sont à peine nommés.
Au Père appartiennent la Loi et l’art de la discipline. Voie du labeur, voie de la nature, voie de la violence d’exister, voie des combats perpétuels. À la Mère, nimbée de soleil lorsqu’elle apparaît dans le champ, reviennent le confort de la maison, la chaleur du foyer, le pardon, le pardon encore, le pardon toujours. Bref, la solaire grâce qui rédime dans le silence de la charité. Grâce, toujours, dans ses pieds de danseuse son regard lumineux et la bonté aveugle qu’elle distribue en désaltérant des bandits.
La leçon du livre de Job
Le Livre de Job, explicitement mentionné, plane sur le film. Le sort s’acharne sans raison, la mort frappe au hasard, illustrant l’apparente injustice des choses d’ici-bas. Pourquoi tel enfant périt-il dans la noyade ? « Etait-il mauvais ? » Pourquoi ces pauvres, ces infirmes ? Sont-ils punis par la justice divine ? Le Mal est-il puni par la mort ? « Pourquoi les méchants restent-ils en vie, vieillissent-ils et accroissent-ils leur puissance ? » (Job 21,7). Tree Of Life ne cesse de questionner notre éloignement du jardin, au sein duquel nul malheur n’était concevable.
La sortie du jardin, c’est notre entrée dans l’Histoire. Malgré son cortège de douleurs, de hasards et d’apparentes fatalités, elle ne doit pas nous dissuader d’avoir confiance et d’aimer Dieu. Même si, comme Job, on tend un poing vengeur vers le ciel pour lui réclamer des comptes, voire le défier quand il a le dos tourné.
De la Création à l’eschatologie
Deux arts traversent le film. La musique, tout d’abord, que le Père révère et dont il veut transmettre le goût si noble et si exigeant. Au second plan, l’architecture. On distingue çà et là des plans et des architectes, on déambule dans des buildings et des cités incroyablement graphiques. Comment ne pas y lire l’œuvre du Créateur par excellence, offerte à ses enfants comme un trésor à faire fructifier ? Là encore, il faut revenir à Job : « Où étais-tu quand je fondai la terre ? Parle, si ton savoir est éclairé. Qui en fixa les mesures, le saurais-tu, ou qui tendit sur elle le cordeau ? Sur quel appui s’enfoncent ses socles ? Qui posa sa pierre angulaire, parmi le concert joyeux des étoiles du matin et des acclamations unanimes des fils de Dieu ? » (Job 38, 4-7).
De la Création, Malick nous ensuite fait passer à l’eschatologie. Le temps trouve son abolition finale dans l’accession à l’au-delà. Passage de la finitude des choses à leur initiale et souveraine éternité dans le sein de Dieu. Corps glorieux transfigurés, abolition des âges, visions de la Porte Étroite des Evangiles et du Christ lui-même. La conclusion du film entre en résonance avec son ouverture, l’arche d’alliance renvoyant à l’extrait liminaire de Job.
Tree Of Life règne souverainement au-dessus des incantations magiques modernes. Loin du paganisme écolo, du culte de l’homme, des animismes cool et du rousseauisme béat, il chante la Charité, la Foi et l’Espérance.
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