La haine que suscite le christianisme a pris la dimension d’un fait de société. Marcel Gauchet le constatait il y a douze ans déjà : « La communauté catholique est la seule minorité persécutée culturellement parlant dans la France contemporaine. » Cette persistance d’une hostilité irréductible a même surpris certains milieux chrétiens qui croyaient que la disparition du cléricalisme entraînerait ipso facto celle de l’anticléricalisme. Ainsi l’historien René Rémond le déplorait : « À la vérité nous n’avons pas seulement affaire à un malentendu, mais bien à une hostilité délibérée et déclarée, une haine véritable à l’égard du christianisme en général, et des chrétiens eux-mêmes comme personnes. Certains propos qui entretiennent une culture du mépris tomberaient sous le coup de la loi s’ils visaient d’autres familles de pensée. »[1. Le Nouvel antichristianisme, DDB, 2005. Le Christianisme en acccusation, DDB, 2000.]
Chassé de la vie sociale, politique et intellectuelle, à peine toléré dans un espace privé de plus en plus confiné et surveillé, le christianisme est-il à la veille d’un « nouveau martyre », selon l’expression de Jean-Paul II ? Depuis une douzaine d’années, certains signes des temps sont inquiétants.
Ce fut l’ancien « Panzerkardinal » Ratzinger caricaturé en Hitler par les Guignols de l’Info et victime de l’hostilité sourde des médias. Ce furent les colonnes de Libération qui accueillirent régulièrement des diatribes christianophobes, en appelant même à une « opération chirurgicale antichrétienne » !
Ce fut le harcèlement médiatique de Jean-Paul II pendant sa maladie, traité d’ « assassin » et de « plus grand criminel de temps de paix » pour ses positions en matière de morale sexuelle. Aux banderoles déployées en 1996 devant la cathédrale à l’occasion des manifestations soutenues par le réseau Voltaire et le Grand Orient de France contre son voyage à Reims – « Dieu est mort, qu’attends-tu pour le rejoindre, Jean-Paul ? » – firent écho les protestations de nos laïcards de gauche comme de droite – dont François Bayrou – contre la mise en berne des drapeaux français à sa mort, alors même que Fidel Castro décrétait à Cuba trois jours de deuil national !
Ce fut la surexploitation hypocrite des affaires de pédophilie dans l’Eglise pendant que la révolution des mœurs banalisait l’immoralité et promouvait l’homosexualité – alors que 80% des pédophiles poursuivis en justice sont homosexuels -, pendant que la pornographie envahissait la vie quotidienne, et qu’un arsenal législatif mortifère (contraception, avortement, génétique, euthanasie…) et antifamilial (divorce, Pacs…) se mettait en place – en attendant le “mariage pour tous”.
Sur fond de loi contre l’ « homophobie » et de revendications grandissantes, les agressions « gays » contre l’Eglise ne manquèrent pas non plus. Ce furent bien sûr les provocations insultantes des travestis déguisés en religieuses ou prêtres lors des visites de Jean-Paul II en France et les accusations criminelles dont il fit l’objet, mais aussi des passages à l’acte de plus en plus répétés, comme les irruptions des « Panthères roses » et autres militants « pédés et lesbiennes en lutte contre l’ordre moral » (sic) lors de messes à Notre-Dame, jusqu’à la parodie blasphématoire de mariage à l’autel de la cathédrale avec agression physique de son recteur, le tout aux slogans de : « Benoît XVI, homophobe, complice du Sida ! » Les militants « homos » ont été à la pointe du combat mené contre la morale naturelle défendue par les catholiques comme par l’ensemble des religions et civilisations. Leurs attaques de plus en plus virulentes et relayées se sont concentrées sur la famille et le mariage, de la « Gay Pride » conçue comme « un défilé pour l’homoparentalité » jusqu’à la revendication du “mariage gay”.
Ce fut la campagne de diffamation internationale contre La Passion du Christ de Mel Gibson, et le professeur Rocco Buttiglione qui dut abandonner la Commission européenne pour cause de christianisme : « Comment pouvez-vous prétendre siéger à la commission alors que vous reconnaissez vous-même que vous êtes proche du Vatican ? », lui demanda un parlementaire lors de son audition !
Ce furent les calomnieux procès d’intention en antisémitisme de Pie XII, mais aussi à l’occasion de l’examen des causes de béatification d’Isabelle la Catholique, Pie IX et d’autres, et même Maximilien Kolbe et Edith Stein ! Ce fut l’exigence délirante de censure et de réécriture des Evangiles – antisémites, bien sûr !
Pendant ce temps, romans à la Dan Brown, films, manuels scolaires, bandes dessinées, séries télévisées véhiculaient des légendes antichrétiennes, dressant à un public crédule une vision caricaturale de l’Eglise sur le terreau d’une inculture généralisée, tandis que des « spécialistes » comme Henri Tincq, Jacques Duquesne, Jérôme Prieur et Gérard Mordillat se partagaient le monopole médiatique, où l’on vit le religieusement inculte décider du religieusement correct. Ce mélange de terrorisme intellectuel, de révisionnisme historique et de lynchage médiatique serait déjà en soi suffisamment inquiétant, s’il n’y avait pas eu en plus les lois laïques et divers dispositifs antisectes qui laissaient augurer d’interprétations et d’instrumentalisations antireligieuses : ainsi, un aumônier diocésain fut interdit de lycée public à Toulon pour cause de port de soutane.
Ce regain d’irréligion n’est bien sûr pas monolithique et connaît des nuances. Mais il a aussi ses fanatiques et nostalgiques de la guillotine façon Michel Onfray ou Vincent Peillon, idéologues du nouvel athéisme qu’ils appellent de leurs vœux. En fait de nouveauté, leurs arguments ne sont généralement qu’une resucée enragée des vieux poncifs scientistes et des argument antireligieux les plus éculés. Le monothéisme, voilà l’ennemi ! Accumulant calomnie sur amalgame et mensonge sur approximation, ils n’en épargnent en principe aucun – le juif, le chrétien, le musulman-, en se concentrant cependant avec une étrange fixité sur le christianisme catholique, pierre philosophale rendu très sérieusement responsable de tous les maux de la Terre. Il est des degrés où l’ignorance peut devenir meurtrière. Car le vague est pire que le faux, car on peut s’opposer au faux, mais on se noie dans le vague.
La société moderne, matérialiste et relativiste, porte en elle la haine du Christ. Un antichristianisme renouvelé a pris le relais du vieil anticléricalisme pour plier l’Eglise à la discipline de la société marchande. A cet idéal qui fait de l’accumulation des biens matériels la fin même de l’existence humaine, le christianisme apporte la plus radicale des contradictions. Le ressort profond de la christianophobie, c’est la haine du Christ. La christianophobie est avant tout une christophobie.
Sommes-nous revenus au temps des catacombes, celui où les chrétiens vivaient cachés comme des chiens, cette époque de Rome où nous servions de boucs émissaires pour toutes les insanités des temps ? Jésus avait en tout cas prévenu : « Si le monde a de la haine contre vous, sachez qu’il en au d’abord contre moi. Si vous apparteniez au monde, le monde vous aimerait, car vous seriez à lui. Mais vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde ; voilà pourquoi le monde a de la haine contre vous. »[2. Jn 15, 18-19.] Le Pape saint Pie X le rappelait en 1911, à l’aube d’un siècle qui serait le plus riche en martyrs de toute l’Histoire : « L’Eglise est une Eglise persécutée. En fait, si l’Eglise n’était pas victime de la persécution, elle cesserait d’être l’Eglise de Jésus-Christ, et perdrait une preuve de son authenticité. »
Le passé, le présent et l’avenir offrent ainsi largement de quoi méditer et vivre l’ultime béatitude : « Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. »[3. Mt 5, 11.]
*Photo : Charlie Hebdo.
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