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Le choc dé-civilisation

Elisabeth Lévy analyse les émeutes qui viennent de ravager la France


Le choc dé-civilisation
Nuits de heurts à Bordeaux, 29 juin 2023 © Stéphane Dupra/Sipa

Les émeutes qui ont ravagé la France n’ont été accompagnées d’aucune revendication. De quoi dérouter les sociologues et politiques les mieux intentionnés qui ne peuvent admettre le caractère imbécile et clanique de ces violences. Cela suffira-t-il à désarmer le camp du déni ? Pas sûr. Mais beaucoup de Français sont de moins en moins résignés à vivre parmi tant de petits anges.


Beaucoup l’ont redoutée, d’autres, secrètement espérée. Pendant ces nuits où, sur nos écrans, défilaient des images de villes en flammes, de nombreux Français ont pensé que, cette fois, on y était – que la guerre civile commençait en vrai. Comme à chaque fois, ça s’est tassé une fois les razzias finies. Il est vrai qu’après des discours d’apaisement tenus au plus haut niveau de l’État (avec le succès que l’on sait) et deux nuits de quasi-laisser-faire, le changement de cap du gouvernement, la mobilisation policière et l’inhabituelle sévérité de la justice – qui a même envoyé quelques casseurs en prison –  ont pu donner l’illusion d’une riposte ferme. Et puis, il y a la fatigue, la lassitude : cette génération biberonnée au « tout, tout de suite » se lasse vite. Même de détruire.

Retour au vivre-ensemble

Au moment où nous bouclons, le président s’est félicité du retour au calme, c’est-à-dire, on suppose, au vivre-ensemble tel qu’il se pratique au quotidien au rythme des agressions, des règlements de comptes et des incivilités. Mais on peut se demander ce qui se passerait si toutes les cités « sensibles » décidaient en même temps de marcher sur les centres-villes. Notre chance est que, pour l’essentiel, ces émeutiers sont totalement déstructurés, pour être polie, et surtout, dépourvus de tout projet politique et de toute ambition collective.

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Même les sociologues, experts en ripolinage du réel, doivent en convenir. « Tout se passe comme si les quartiers étaient dans un vide politique, comme si les rages et les révoltes ne débouchaient sur aucun processus politique », déclare François Dubet au Monde. Non, ce n’est pas « comme si », c’est exactement ça. Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que « les jeunes des quartiers ne sont pas différents des femmes et des minorités sexuelles : tous adhèrent à la promesse républicaine ». C’est évident, si des hordes ont détruit ici une école, là une mairie ou, comme à Chambéry, un cinéma d’art et d’essai (sans doute parce qu’ils détestent les films ouzbeks), c’est parce qu’elles adhèrent à la promesse républicaine. Quant à la convergence des luttes minoritaires, il faudra en toucher un mot aux amoureux de la République qui ont menacé de saccager un bar gay à Brest. Des petits anges, vous dit-on.

Chantage au désordre

De très mauvaises fées leur ont donc fourni un narratif susceptible de donner à leur violence imbécile les apparences d’une révolte contre l’injustice. Tandis que la nomenklatura associative qui vit du chantage au désordre ressortait la faribole usée des agrégés-chômeurs qui peupleraient les quartiers, Insoumis, écolos et leurs truchements médiatiques ânonnaient leurs mantras usés : ce déchaînement était dû à la relégation, la ghettoïsation et la discrimination. On préfère ne jamais savoir comment ce nouveau prolétariat traiterait ses Lénine[1] si d’aventure ils accédaient au pouvoir. En attendant, comme l’a judicieusement formulé Jean-Baptiste Roques, après l’islamo-gauchisme, nous avons assisté à la naissance du racaillo-gauchisme.

Emmanuel Macron n’a certes pas annoncé de dotation massive pour les associations, ni fait repentance pour l’apartheid qui sévirait en France (il peut se rattraper le 14 juillet si ses conseillers lui vendent qu’il faut calmer le jeu, entendre la souffrance et ne pas énerver l’Algérie qui s’est mêlée de nos affaires sans provoquer la moindre protestation diplomatique). Il a vu, dit-on, dans les événements la confirmation de son diagnostic de décivilisation. Pour autant, nos dirigeants sont-ils prêts à voir ce qu’ils voient ? Il est à craindre que, comme après les émeutes de 2005 ou l’attentat de Charlie, ils s’empressent de refermer les yeux qu’ils viennent d’entrouvrir. Il faudra plus que 500 bâtiments publics vandalisés pour désarmer le camp du déni.

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Ce que retiennent nombre d’observateurs c’est d’abord l’impuissance de l’État. Quarante ans après, le syndrome Malik Oussekine inhibe encore les responsables de l’ordre public. Personne ne demande une police de cow-boys qui défouraille en toute occasion. Mais pour que force reste à la loi, il faut que force il y ait. Or, son emploi est tellement encadré et limité aux cas d’urgence absolue pour la vie humaine que cela revient à concéder aux voyous le monopole de fait du recours à la force. Et à admettre que les biens ne sont plus protégés. Résultat : contrairement aux policiers, les émeutiers ne risquent rien. C’est le contraire de la dissuasion. Depuis quarante ans, les politiques publiques sont guidées par l’obsession de ne pas jeter de l’huile sur le feu. Et depuis quarante ans, le feu couve. Peut-être serait-il temps de tester une autre méthode et un autre langage.

Comme le font, chacun dans ses termes, Alain Finkielkraut, Laurent Obertone, Driss Ghali, Michel Auboin dans les pages de notre magazine 114, il faut analyser cette sécession qui n’est pas politique ni sociale mais anthropologique, et dont la seule logique est la loi du clan, de la tribu, de la communauté ou du quartier. Les émeutiers prétendaient vouloir la Justice. Le message qu’ils ont adressé à la société française, à coups de mortiers et de cocktails Molotov, est qu’ils n’adhèrent ni à ses mœurs, ni à ses valeurs, ni à ses procédures de résolution des conflits.

La culture de l’excuse nous présente la facture

Autant dire que le problème paraît sans issue : comme on le répète en boucle, ces jeunes qui haïssent la France sont français. De plus, la minorité violente bénéficie de l’indulgence d’une partie de la majorité silencieuse, qui trouve que ce n’est pas bien de casser, mais qu’il faut comprendre. On aimerait entendre plus de voix comme celle d’Amine Elbahi, lui-même issu d’une cité, qui affirme qu’il n’y a pas d’excuse qui tienne.

Emmanuel Macron réunit les maires à l’Elysée, suite aux évènements insurrectionnels survenus dans les banlieues séparatistes après la mort d’un jeune à Nanterre, 4 juillet 2023 © Blondet Eliot /Pool/SIPA

Si la patience de nos gouvernants semble infinie, celle des gens ordinaires atteint sa limite. On peut raconter toutes les âneries sociologiques qu’on veut, la France qui bosse, paye ses impôts et élève ses gosses en a marre de payer pour ceux qui lui crachent dessus. Elle a voté avec sa carte bleue : comme le résume Gil Mihaely, le succès de la cagnotte pour le policier qui a tué Nahel est un référendum. « Que faire de la police ? » s’interrogeait Libération en « une » le 4 juillet. Beaucoup de Français se demandent plutôt que faire de ces compatriotes dont la contribution au bien commun est pour le moins contestable.


[1] Encore que pour Plenel, c’est la ressemblance avec Staline qui frappe.

Été 2023 – Causeur #114

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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