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«Ceci est mon corps…»

« La Sociedad de la nieve », un film de Juan Antonio Bayona, sur Netflix


«Ceci est mon corps…»
L'acteur uruguayen Enzo Vogrincic, "Le Cercle des neiges" 2023) © Netflix

72 jours dans le froid des glaciers, montagne à perte de vue, avalanches, anthropophagie… Le film de début d’année de Netflix met nos nerfs à rude épreuve. Accrochez-vous à votre siège !


Le 13 octobre 1972, un Fairchild FH227 de la Fuerza Aérea Uruguaya, petit appareil à hélices qui assure la liaison Montevideo-Santiago, s’écrase dans la Cordillère des Andes, à 3600 mètres d’altitude. À son bord, 45 passagers. Pour la plupart, de jeunes et costauds rugbymen du Old Christians, équipe catho de la capitale uruguayenne, partis pour disputer un match amical au Chili. L’épave de couleur blanche se confondant avec la neige reste introuvable, et les recherches sont vite abandonnées. Pourtant, dans le fuselage qui leur sert d’abri, il y a des rescapés, dont beaucoup s’éteindront à petit feu. Deux mois après l’accident, les secours récupèrent 16 miraculés.

Ambitieuse production

Cette fantastique odyssée a déjà fait l’objet de plusieurs films de fiction, dont le plus connu reste Les Survivants, de Frank Marshall, avec Ethan Hawke, sous les auspices de la Paramount en 1993. Sans compter les documentaires. Le cinéaste barcelonais Juan Antonio Bayona, 48 ans, remet à présent le couvert dans une ambitieuse production hispano-uruguayenne qui tient largement ses promesses. Outre L’Orphelinat (2008) son premier « long » produit par Guillermo del Toro, et plus récemment la série Penny Dreadful avec Eva Green et Josh Hartnett ou encore Jurassic World Fallen Kingdom (en 2018), c’est également à Bayona qu’on doit The Impossible, inspiré par le terrible tsunami de 2004 dans l’Océan indien. Le film-catastrophe, décidément, lui porte chance.

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Projeté en septembre à la Mostra de Venise et le mois suivant au festival Lumière de Lyon, Le Cercle des neiges ne sort pas en salles mais ouvre l’année 2024 sur Netflix. Tiré du best-seller de Pablo Vierci paru en 2009 sous le titre La Sociedad de la nieve, le film homonyme affiche un casting essentiellement ibérique, à l’exception du bel Enzo Vogrincic, la star montante du ciné latino-américain, dans le rôle de « Numa », qui agonise et passe de vie à trépas au bout de son calvaire. La force du film de Bayona tient, pour commencer, à l’exactitude factuelle. Le scénario en restitue les étapes jour après jour : les turbulences dans l’aéronef sous la tempête, le crash, le décompte des morts, le rationnement des victuailles, les tentatives d’appels via la radio de bord… Jusqu’à la résolution de pratiquer l’anthropophagie, seul gage de survie. Le dépeçage des morts congelés. L’avalanche qui ensevelit certains d’entre les survivants. La décision de se séparer, pour cette expédition, de deux de ces garçons qui, les pics glacés franchis, atteignent la vallée où un cavalier les aperçoit, ce qui déclenche le sauvetage de leurs camarades, 71 jours après le crash.

Pas voyeuriste

Constellé de flash-back fugaces renvoyant un à un les protagonistes à leur félicité perdue, émaillé en voix off de monologues intérieurs (d’outre-tombe pour certains), magnifié de somptueuses prises de vue sur ces espaces à la fois grandioses, menaçants et immaculés où se meuvent des humains lilliputiens (dont les faces ravagées apparaîtront bientôt, en gros plans anamorphosés), Le Cercle des neiges esquive la tentation voyeuriste avec tact, tout en tenant le spectateur (et quoique celui-ci en connaisse par avance le dénouement), d’un bout à l’autre, captif de ce chemin de croix. En empathie avec ces intrépides sursitaires du froid définitif, autant dire qu’on s’accroche à son siège !

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Mais surtout n’est pas évacuée la singulière dimension christique de cette ordalie, qui fait dire par exemple au personnage d’Arturo, au seuil de rendre l’âme : « Je crois au Dieu que Roberto a dans la tête quand il vient me soigner. Je crois au Dieu qui fait sortir Nando par tous les temps et qui donne à ses faibles jambes le courage de marcher sans condition, je crois en la main de Daniel quand il coupe la viande et en Fito quand il nous l’apporte sans nous dire à qui elle a appartenu, pour qu’on puisse la manger sans avoir à se souvenir de son regard … » : foi sécularisée dans le secours propitiatoire du prochain. Le fameux « ceci est mon corps, ceci est mon sang » qui dans l’Evangile proclame la transsubstantiation est, en creux, la sentence allégorique qui sanctifie l’acte tabou de manger son semblable : jusqu’au sacrifice suprême, le rugby reste un sport d’équipe.

Le Cercle des neiges (La Sociedad de la nieve). Film de J.A.Bayona. Espagne/Uruguay, couleur, 2023. Durée: 2h24. Nouveau, sur Netflix




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