« Nous servons de la viande halal par respect pour la diversité, mais pas de poisson le vendredi par respect pour la laïcité. » La phrase est prêtée à Roland Ries, sénateur-maire (PS) de Strasbourg, qui aurait répondu ainsi à des parents d’élèves lui demandant pourquoi les restaurants scolaires de sa ville servent de la viande halal, mais ne font pas maigre le vendredi. En moins d’une journée, la saillie du maire de Strasbourg a fait le tour de la cathosphère, suscitant des réactions allant de 1 à 7 sur l’échelle de Hessel.
J’avoue, pour ma part, avoir beaucoup de mal à prêter quelque crédit à la réalité des propos du maire de Strasbourg. Seul un alpiniste aguerri pourrait atteindre un tel Himalaya de la sottise. Or, Roland Ries n’a pas de piolet, mais une agrégation de Lettres. Il connaît le sens des mots.
Au cas où il aurait réellement fait cette réponse déconcertante, on lui conseillera de réviser son catéchisme. La consommation de viande halal n’est pas un trait de la « diversité » culturelle, mais une prescription formelle du Coran tout entière contenue dans la célèbre Sourate La Table. Quant à l’abstinence carnée du vendredi, elle est édictée au canon 1251 du Code de droit canonique : « L’abstinence de viande ou d’une autre nourriture, selon les dispositions de la conférence des Évêques, sera observée chaque vendredi de l’année, à moins qu’il ne tombe l’un des jours marqués comme solennité; mais l’abstinence et le jeûne seront observés le Mercredi des Cendres et le Vendredi de la Passion et de la Mort de Notre Seigneur Jésus-Christ. »
Donc, dans l’un et l’autre cas, nous avons affaire à deux prescriptions religieuses. Se pose alors une question : en quoi l’une menacerait la laïcité, tandis que l’autre serait un hymne irénique à la diversité ? L’islam serait-il plus divers que religieux ? Attention ! Le zemmourisme guette : on vous dit aujourd’hui que les prescriptions alimentaires sont une question de diversité quand elles sont musulmanes, demain on vous chantera que la plupart des musulmans sont arabes ou noirs… Et que faire des coptes, des maronites, des syriaques, des arméniens et des guèzes établis à Strasbourg et qui font maigre le vendredi : ne sont-ils pas aussi « divers » dans leurs provenances et leur pratiques culturelles que le premier musulman venu ?
Pourquoi ce qui est concédé à certains au nom de la « diversité » ne le serait pas à d’autres en vertu du même principe ? C’est que la « diversité » dont il est question n’est pas un principe, mais un strict synonyme d’islam. Toutes les religions menacent la laïcité, à l’exception de la musulmane. Et ça, ça ne fait pas débat, comme on dit à l’UMP.
N’empêche, affirmer que l’abstinence carnée est une menace contre la laïcité : on n’avait pas vu ça depuis le petit père Combes, quand les laïcards se distinguaient chaque vendredi en faisant ostensiblement bombance de gras. Nous en sommes donc revenus à ces temps-là : le catho qui ne mange pas de viande halal le vendredi, voilà l’ennemi !
Toutes ces questions liées à l’islam rendent fou. Parfois par électoralisme, parfois par simple bêtise, elles font perdre à chacun l’usage du sens commun.
Et le sens commun, en matière de laïcité, c’est que la question religieuse n’entre pas dans l’École de la République. Elle n’a pas à y mettre les pieds, ni à y pointer son nez. Rien à cirer que l’on y serve de la viande le vendredi et qu’elle ne soit pas halal ou casher le reste de la semaine : la seule question qui se pose, dans l’École de la République, c’est de savoir si le petit Pierre, le petit Mohammed ou la petite Sarah savent lire, écrire, compter.
Tout le reste n’a aucune importance. Tu manges ce qu’on te sert ! Et si tu n’en veux pas, c’est la même chose. Il y a une bonne raison à cela : la vocation première de l’École, c’est de nourrir ses élèves, mais pas de nourritures terrestres. À la rigueur, on peut leur servir un verre de lait par jour, aux gosses. Mais uniquement parce qu’on est bon et qu’on a gardé par-devers soi un vieux fond mendésiste.
Lorsqu’on a la cervelle tourneboulée par le multiculturalisme, on en vient à servir du halal dans les cantines, du casher et du je-ne-sais-quoi encore. Un jour, c’est les parents d’un petit hindou qui s’indignent que l’on serve du veau aux repas. Le lendemain, c’est un rastafari végétarien qui pleure à côté de son copain taoïste parce qu’il y a de la viande tout court à la cantoche. Et vous finissez avec le rejeton d’une famille pratiquant le cannibalisme rituel ; et là vous ne savez rien dire d’autre que : « Non, ne bouffe pas le cuistot ! Et retire mes doigts de ta bouche. »
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