La crise du Covid, comme toutes les précédentes, démontre l’extraordinaire souplesse du système capitaliste, qu’il soit d’obédience américaine ou désormais chinoise. Et aucune réelle alternative n’existe pour affronter les défis à venir. Un nouveau paradigme ?
C’est aux États-Unis ou en Angleterre que le Big Pharma à gros cigare a développé, en douze mois, des vaccins efficaces pour désengorger les réanimations des hôpitaux. Nouvelle désillusion Place du Colonel-Fabien, ce n’est pas la bureaucratie des ARS qui nous a tirés d’affaire. Pire système économique, à l’exception bien sûr de tous les autres, le capitalisme-roi s’est même offert le luxe de tourner au ralenti afin de préserver la santé de ses sujets. Un gigantesque édredon rempli de billets émis par les banques centrales a recouvert les pays les plus riches, leur permettant de survivre à une crise d’une intensité inouïe. Les producteurs et consommateurs sont chinois, européens, américains ou indiens, car les inféodés au libre marché résident désormais aux quatre coins de la planète. Depuis la chute du mur de Berlin, l’essentiel de l’humanité – Éthiopie comprise – s’est librement rallié à son panache.
N’en déplaise à Mélenchon ou aux décroissants écolos, le capitalisme fait pratiquement l’unanimité sur terre : chaque tweet vaut plébiscite pour un système sans lequel ni le web, ni les réseaux sociaux n’auraient jamais existé. L’humanité vote chaque jour pour l’économie de marché en consommant sur Alibaba ou Amazon (et en allant au boulot quand elle en a un). Le milliard d’Homo sapiens que la mondialisation a sortis de l’extrême pauvreté n’aspirent (nullement à la décroissance. Pas plus que les milliards d’autres qui se sont enrichis au cours des trente dernières années. Rappelons que 10 % seulement de la population mondiale est réputé vivre en dessous du seuil de pauvreté, c’est beaucoup en valeur (736 millions), mais laisse tout de même 7 milliards de Terriens nourris, dont plus de 5 milliards le sont suffisamment pour s’équiper d’un téléphone connecté.
L’empire du Milieu, nouvel ennemi systémique
Nul ne rira du déclassement dramatique, dans les pays occidentaux, des classes populaires et moyennes, victimes collatérales du capitalisme globalisé. Fait politique majeur chez nous, les déclassés revêtent des gilets jaunes ou élisent Trump – avec d’assez bonnes raisons de leur point de vue. Mais que pèsent pourtant dans la marche du monde ces 60 ou 100 millions de perdants face aux milliards de gagnants ? Ils peuvent certes semer le chaos en France ou aux États-Unis, mais de là à faire renoncer les Chinois à la propriété privée des moyens de production… Un scénario néanmoins à tester, notamment en fin de repas, car il est de nature à dérider tout un bus de dignitaires sino-communistes.
Pour les Américains, l’empire du Milieu a désormais pris la place de l’ex-Union soviétique dans le rôle de l’ennemi systémique. Mais, contrairement aux membres du Politburo moscovite, Chinois et Américains partagent à présent le même attachement à l’économie de marché – attention, c’est assez technique, mais en gros, ça les arrange à cause de l’argent. La question capitaliste ne fait donc débat que dans les cercles restreints d’intellectuels marxistes repeints en vert ou au sein d’une jeunesse occidentale éprise de Greta Thunberg. Ce qui est en jeu, ce n’est plus le modèle économique, mais son mode de gouvernance : démocratique à la mode occidentale ou à parti unique, façon Pékin. Jusqu’à présent, la voie démocratique semblait sans rivale. Mais l’Occident, épuisé, paraît saisi d’un doute. L’intérêt général ne serait-il pas mieux pris en compte par ce PC chinois qui a remplacé la dictature du prolétariat par celle des contrôleurs de gestion ? Tandis que le wokisme archipellisé de nos belles contrées semble, au contraire, bien décidé à torpiller le bien commun.
Convulsions
Il existe pourtant un précédent historique à cet alignement capitaliste des États-Unis et de leur ennemi du moment. De 1933 à 1945, l’Allemagne nazie fut tout à la fois une économie de marché et le bourreau, entre autres, des démocraties occidentales. De là à dire que les Chinois sont des nazis qui ont réussi, il n’y a qu’un pas, sans doute trop polémique pour être franchi. On concédera toutefois que la principale leçon n’est pas là. Les exemples teutons et chinois démontrent avant tout que le capitalisme n’a nul besoin de la démocratie ni des droits de l’homme pour s’épanouir, mais que ce tandem indispensable à nos droits fondamentaux ne saurait, lui, fleurir sans le capitalisme. À ceux qui s’étoufferont de rage (et de désespoir) face à un tel constat, je suggère de chercher un pays qui aurait été respectueux des libertés individuelles dans le cadre d’une économie régie par un autre dogme que celui du doux commerce (écrire au journal qui fera suivre, ça m’intéresse vivement).
Le capitalisme a déjà fait face à de nombreuses convulsions. Lors des dépressions précédentes – 1974, 1929, 1873 et tous les soubresauts antérieurs, du papier monnaie de John Law aux tulipes hollandaises –, des alternatives ont pu être légitimement présentées comme enviables. Aux jeunes heures de la révolution industrielle, le fantasme d’un retour à la terre et à une société préindustrielle a pu jouer ce rôle. À l’affût de la crise ultime (et reconnaissant inlassablement celle-ci à chaque chaos), c’est évidemment Marx qui a offert à partir de 1848 la solution de rechange la plus crédible – et la plus coûteuse en millions de vies broyées. Une hypothèse communiste tellement séduisante qu’elle ébranla les élites occidentales dont une partie ne fut dessillée qu’à regret, en 1989. Trente ans après la disparition de « Checkpoint Charlie », les alternatives totales au capitalisme ne mobilisent plus que des franges marginales de l’intelligentsia. La liste de ceux qui ne prônent pas son adaptation mais une rupture complète peut être rapidement dressée.
L’écologie citoyenne solidaire, décroissante et neuneu s’attire bien quelques sympathies théoriques, mais la crise du Covid a non seulement ridiculisé les professeurs Septimus en tout genre, mais aussi redoré le blason moral du grand capital – qui a pris un risque énorme en acceptant de bonne grâce sa mise à l’arrêt partiel. On a surtout bien perçu l’attachement des foules à la croissance et leur terreur à l’idée que leur pouvoir d’achat pourrait (horreur !) chuter. Les décroissants avancent chez nous plus volontiers masqués – fermez Fessenheim, tout va bien se passer (il y aura peut-être des coupures au fait cet hiver, on ne vous l’avait pas dit ?). L’écologie solidaire, c’est l’URSS sans Tchernobyl (sans rien du tout même), mais avec des goulags pour les mâles blancs hétéros. En Chine, silence radio des décroissants. Les types comme Yves Cochet doivent faire des belotes dans des camps ouïgours, en tout cas, ils ne semblent pas avoir l’oreille de Xi Jinping.
Le capitalisme, merveille d’adaptation darwinienne
L’intelligence artificielle pourrait, sur le papier, ressusciter l’hypothèse communiste le jour où elle se verrait confier tous les moyens de production – c’est la thèse d’un auteur comme Antoine Buéno. Entièrement autonome et automatisé, le système économique disqualifierait toute propriété privée. Intellectuellement stimulante, cette conjecture ne présente cependant pas encore de candidat aux différentes élections.
Si l’on fait l’impasse sur le paradigme bolivarien cher au trio Maduro-Chavez-Mélenchon, reste comme option le djihadisme et la société talibane – écologiquement responsable, surtout si on se chauffe aux opposants. Les foules musulmanes lorgnent toutefois, on le sent, vers une approche conforme au modèle du centre commercial géant de type Dubaï, plutôt que vers les grottes de Tora Bora (même en all inclusive).
Le capitalisme, merveille d’adaptation darwinienne, se trouve ainsi dans une situation de monopole désormais singulière – ce qui ne constitue pas un brevet de moralité, encore moins de perfection. Mais c’est le gage de l’extraordinaire confiance endogène d’une organisation économique qui a permis de nourrir, satisfaire et développer Homo sapiens au-delà de toute espérance. Si le système n’a pas été conçu par quelque esprit diabolique pour détruire la planète, cet épuisement des ressources naturelles ne peut laisser personne indifférent. Il s’agit, en somme, de la rançon du succès. Mais, tel le Covid, le libéralisme n’a aucun intérêt à faire mourir son hôte – l’homme ou Gaïa.
Loin d’être l’ultime convulsion du capitalisme à face de hyène, les crises de 2008 et de 2020 ont renforcé sa confiance. Sans concurrent sérieux, voire populaire, avec l’appui d’États et de banques centrales ouvertement favorables à sa cause, aucune difficulté ne lui semble insurmontable. Des chercheurs et des entrepreneurs s’allient partout pour faire face aux défis colossaux de la digitalisation du monde et de l’iconique transition écologique. Peut-être sont-ils inconscients de sous-estimer à ce point les écueils technologiques, la dette, l’inflation et plus encore, les chaudrons ukrainiens, iraniens et taïwanais. Même la guerre sino-américaine qui couve ne semble pas les inquiéter plus que cela. Ils n’y croient tout simplement pas. Tout psychologue expliquera à son patient que la certitude de surmonter un obstacle augmente fortement la probabilité d’y parvenir. Surtout pour un système qui les franchit allégrement depuis deux cents ans et qui le sait.