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Le canular n’est pas mort


Il semblait entendu que le canular était mort avec la IIIème République. Il était alors encore possible de se moquer de ses opposants politiques en leur tendant des pièges grossiers reposant sur un seul fondement : flatter l’idéologie de la victime. On peut dater le début triomphal du canular en 1913 : le journaliste Paul Birault avait eu l’idée d’inviter cent députés progressistes à une cérémonie d’érection d’une statue à la gloire d’Hégésippe Simon, « éducateur de la démocratie », dont la devise, devançant ainsi celle du Jack Lang de 1981, est « Les ténèbres s’évanouissent lorsque le soleil se lève ». L’habileté de Birault a été de personnaliser les cent courriers en précisant à chaque fois qu’Hégésippe Simon était né dans la circonscription du destinataire. Les parlementaires, déjà alléchés par la perspective d’honorer cette noble figure de la République, ne pouvaient pas en outre ignorer un enfant du pays, surtout lorsqu’il s’agit, pour les députés de la Nièvre, de la commune de Poil. L’honorable parlementaire Beaupin n’y voit ainsi pas malice et se dit « honoré de patronner le monument qui doit être inauguré à Poil ». Avec lui, ce sont plusieurs dizaines de députés qui se réjouissent de cette initiative et promettent leur concours.

C’est aussi un journaliste ingénieux, Alain Mellet, qui décide de créer en 1929 non un homme, mais un peuple, les Poldèves, précédant ainsi de soixante-dix ans l’invention, beaucoup moins drôle, des Kosovars. La lettre qu’il envoie aux parlementaires est un modèle du genre : « en plein XXème siècle de lumières et de droit, près de cent mille infortunés Poldèves, esclaves modernes, halètent sous le joug de quelques dizaines de grands propriétaires terriens (…) La France de 1793 qui, avec son glaive flamboyant, a piétiné les tyrans et les rois peut nous arracher entre les griffes des grands propriétaires affamés de sang poldève. » Et Mellet termine son courrier en précisant : « adresser les réponses à Lyneczi Stantoff, comité de défense poldève, etc. ». Par retour du courrier, l’honorable parlementaire Cazals répond solennellement que « toutes les iniquités trouvent en moi un adversaire résolu, à plus forte raison l’oppression et la violence ! » Suivront une correspondance suivie entre quelques dizaines de députés et le comité de défense poldève, qui sera ensuite publiée sous les risées par le facétieux Mellet.

Suivront ensuite d’autres canulars du même acabit, comme l’oppression des Terra-neuvas et des Guatemaliens par les Etats-Unis ou la promotion d’Edouard Herriot au grade de colonel de l’Armée Rouge. On renverra pour toutes ces péripéties à l’excellent Mines de rien de Pierre-Antoine Cousteau. Le point commun de ces canulars est que les victimes sont plutôt les jobards de gauche. Il faut dire que « la dignité humaine », « les grands principes républicains » et tout le fatras idéologique puéril et grotesque que trimballe avec un sérieux de pape le peuple de gauche depuis plus de deux cents ans constituent une magnifique invitation à la dérision.

La seule exception est le canular monté par Jacques Yonnet (l’auteur du merveilleux Rue des maléfices, réédité chez Phébus), qui avait réussi à intoxiquer le journal Candide avec de fausses informations effrayantes sur le recrutement des jeunes au Parti Communiste. Mais Yonnet a été exclu ultérieurement du Parti des suites indirectes de cette histoire.

On peut donc légitimement se demander si le canular ne réserve pas ses effets à la gauche, et même s’il peut encore exister dans un monde néo-puritain.
France Inter – il ne faut donc désespérer de rien – répond à ces deux questions depuis quelques semaines avec une émission quotidienne de quelques minutes : « A votre écoute, coûte que coûte » de Philippe et Margarete de Beaulieu (tous les jours à 12h20). Il y aurait beaucoup à écrire sur cette admirable séquence de bouffonnerie, remarquablement jouée, où un couple formé d’un médecin (à côté duquel le docteur House est un humaniste) et une psychothérapeute aux conseils avisés reçoivent l’appel d’un auditeur.

D’abord préciser que c’est très drôle, mais surtout que c’est pour une fois la jobardise de droite qui est moquée. Il est difficile de décrire le couple en question, sinon que les réflexions dont ils nous gratifient pourraient être celles d’un notaire de sous-préfecture de province française dans les années trente qui viendrait de rompre son abonnement à l’Action Française parce qu’il trouve celle-ci trop tiède. Il est plaisant d’imaginer le nombre de droitards qui ont dû se rengorger de plaisir à l’audition au premier degré de cette séquence, avant de s’apercevoir qu’ils ne sont pas sur Radio-Courtoisie.

Hélas, il est probable que la survie de cette émission soit menacée, non par le jobard de droite, mais par le crétin de gauche, qui lui aussi prendra l’émission au pied de la lettre – c’est là du reste le génie de cette émission : flouer les fâcheux de tout bord – ou du moins en trouvera l’humour « inapproprié ». Mais ce n’est pas bien grave : Philippe et Margarete de Beaulieu ont déjà rejoint Hégésippe Simon et les Poldèves dans le palmarès des canulars pleinement réussis.



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François Marchand est écrivain. Il vient de publier <em>Plan social</em> (Cherche-Midi).

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