Les téléspectateurs réclament sa présence pour casser la routine de la campagne
Pourra-t-on se passer de son implacable rhétorique huilée et de son énergie gamine à la présidentielle 2022, ces restes d’une enfance en quartier populaire ? Privera-t-on longtemps les téléspectateurs français d’un tel divertissement de printemps ? La télévision croise les doigts et brûle des cierges, chaque matin, pour qu’il recueille ses 500 signatures. Sainte-Rita m’entends-tu ? « Qu’on le laisse concourir, s’il vous plaît » implorent, en chœur, les actionnaires des groupes audiovisuels qui ne partagent pas ses options politiques mais lui reconnaissent des talents d’hyper-vendeur. Il accroche la lumière, irrite les plateaux et transforme le livre en cash. Les chiffres de GfK ne mentent pas.
La politique est aussi un spectacle
Sans lui, la fête sera assurément plus triste, plus molle, comme la répétition d’une saison 2017 déjà vue avec des protagonistes carbonisés par deux années de COVID. L’audimat a besoin de sang neuf, de nouveaux acteurs, d’une nouvelle intrigue, de cette dynamique narrative que l’on apprend dans les écoles de scénaristes à Los Angeles. Du rebondissement, de la revanche sociale, de l’émotion au forceps, de la haine et cette part de mystère qui fascine la ménagère scotchée à son écran Netflix. Grâce à lui, le spot de pub va gagner vingt points en avril prochain. Comment faire l’impasse sur un tel phénomène qui, par son style et ses foucades, a modifié les codes télévisuels ?
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Étudiant, je me souviens de ces éditos microscopiques dans l’éphémère InfoMatin. Il a su conforter sa petite entreprise depuis. La politique filmée doit absolument se renouveler pour accrocher l’électeur à son poste, à défaut de l’emmener jusqu’à l’urne, il en va de sa survie médiatique et de notre santé mentale. Sinon, les soirées électorales risquent d’être aussi longues et lénifiantes qu’un discours de technocrate bruxellois sur la composition d’un produit manufacturé à l’intérieur de l’Union mais dont certains éléments proviennent d’un territoire extra-européen… En 2022, je refuse d’assister aux querelles mille fois entendues et insignifiantes sur les variantes d’ajustement de la globalisation par des candidats-décalques dont la seule aspérité réside dans le maquillage. Je mérite en tant que citoyen, un peu de rigolade et d’anticonformisme. Que l’on soit favorable ou non au programme zemmourien est un détail, l’essentiel se joue ailleurs, sur le terrain du spectacle télévisuel. Le divertissement est le dernier refuge des gens sensés qui en ont assez soupé des promesses et des volte-face. Les idées sont annexes, tout le monde en a et ça ne suffit pas pour se faire élire. Personne ne croit plus au changement mais attend de ces candidats, un petit effort, un peu de respect pour nous intéresser à leur cause, au moins durant une courte campagne.
Punition par le verbe
Nous sommes prêts à tout avaler si c’est dit avec éloquence et perfidie, avec amusement et flambe, avec nostalgie et hyperbole, avec un brin d’insolence qui laisse filtrer, malgré tout, quelques failles psychologiques. Nous nous sentons alors moins seuls. Cette bienséance à la française s’illustre par des bons mots, du charisme, de la fougue, de la culture, de la mauvaise foi et l’envie tout simplement d’y aller.
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Qu’enfin ces grands corps flasques de hauts-fonctionnaires soient traversés par un soupçon de vie. Car, on connaît déjà la fin de l’histoire, c’est toujours un bon élève qui gagne la partie. Mais, entretemps, les Français aspirent à se faire peur et à se moquer des lacunes de leur classe politique. Les élites méritent bien une punition par le verbe. Ils nous doivent au moins ça, en contrepartie des efforts consentis à les supporter depuis tant d’années.
Dans ces joutes oratoires, qui mieux que Zemmour en redresseur de torts, en révélateur de l’incompétence ou de l’impuissance de ces adversaires, en sale gosse invité à la table des gens dits sérieux, en infatigable picador avec son triptyque (immigration-souveraineté-valeurs). Zemmour est une sorte de Jep Gambardella de Montreuil qui voulait devenir « le roi des mondanités » seulement dans l’espoir de gâcher la fête. L’ascenseur social sert à se faire inviter là où notre présence est tout juste tolérée. Cette présidentielle ne sera pas sans danger pour lui. Les autres se préparent en cachette, potassent leur épopée napoléonienne, relisent les Illusions perdues, révisent leur Coupe du Monde 1982, un certain soir de juillet, à Séville, où Battiston gisait sur la pelouse. De son côté, l’éditorialiste se plonge dans les mécanismes pervers de la balance des paiements et se familiarise avec les musiques urbaines. Nous sommes curieux et impatients de voir cet affrontement-là. Qui sera le plus roublard dans ce jeu cruel des égos ? En bon sparring-partner, Zemmour prendra des coups, encaissera, ripostera, en ne devant jamais sous-estimer personne. Nous avons hâte d’assister à ce match.