Les partisans du « Brexit » promettaient de pouvoir mieux réguler l’immigration au Royaume Uni. Les partisans du « Remain » annonçaient la fuite des investisseurs de la City. Mais suite au référendum de juin 2016, rien de tout cela ne s’est finalement produit !
Le 3 mars 2016, Emmanuel Macron, alors ministre français de l’Economie, s’adressait au Financial Times avec deux avertissements au Royaume Uni concernant le Brexit. Il prévint, tout d’abord, que le Brexit pourrait faire échouer l’accord bilatéral du Touquet entre le Royaume Uni et la France, qui permettait à la Grande Bretagne d’effectuer des contrôles frontaliers sur le sol français et d’empêcher les migrants indésirables d’entrer sur son territoire : « Le jour où cette relation sera rompue, les migrants ne seront plus à Calais », indiqua-t-il. Puis, il ajouta qu’en cas de Brexit, le Royaume Uni n’aurait plus un accès total au marché unique et que la France pourrait chercher à encourager les services financiers à quitter Londres : « Si je devais raisonner comme ceux qui déroulent des tapis rouges, je dirais que nous pourrions avoir quelques rapatriements de la City de Londres » conclut-il.
D’autres que M. Macron sont intervenus dans ce sens parmi les dirigeants mondiaux et cela a renforcé la stratégie « Project Fear » de la campagne pour rester dans l’UE, qui visait à convaincre le public de voter pour le « Remain » en lui faisant craindre les conséquences d’un autre vote. Parmi les pires affirmations, on trouva l’effondrement des prix de l’immobilier (jusqu’à 18 %) et le chômage de masse qui résulteraient d’un choix en faveur du Brexit.
Reprendre le contrôle sur l’immigration
Après le résultat du référendum en juin 2016 et les trois années d’agitation politique qui suivirent, la Grande Bretagne quitta finalement l’UE le 1 février 2020. Elle est donc en dehors du bloc depuis près de quatre ans, et il est peut-être temps de jeter un coup d’œil sur certaines des revendications faites lors du référendum et sur la réalité de la situation aujourd’hui.
Les partisans du Brexit déclaraient qu’il permettrait au public britannique de « reprendre le contrôle ». Cela signifiait retrouver la souveraineté parlementaire pour contrôler les lois, l’argent et les frontières de la Grande Bretagne. Ce n’est une surprise pour personne que l’immigration a joué un rôle déterminant dans la volonté de nombreux citoyens de voter pour la sortie de l’UE. La circulation illimitée des citoyens de l’UE a entraîné une croissance démographique exponentielle et un changement culturel au Royaume Uni. La gestion de la crise des migrants en 2015 a alimenté les craintes selon lesquelles l’appartenance à l’UE rendait le gouvernement britannique impuissant à réduire l’immigration alors que les citoyens souhaitaient ardemment cette réduction. Depuis qu’il a quitté l’UE, le Royaume-Uni a introduit un système de points qui veut que toute personne qui vient travailler au Royaume Uni, et qui n’est pas un citoyen britannique ou irlandais, doit remplir un ensemble spécifique de conditions pour obtenir un visa de travail. Le public espérait que l’introduction de ce système entraînerait une baisse de l’immigration. Selon l’Office britannique des statistiques nationales, lorsque la Grande Bretagne a voté en faveur du Brexit, le solde migratoire était de 321 000 personnes. Ce chiffre a progressivement baissé jusqu’à la fin de l’année 2019, où il était de 184 000. Cependant, depuis que la Grande Bretagne est sortie des restrictions imposées par la Covid-19, le solde migratoire a augmenté de façon spectaculaire, atteignant 709 000 en décembre 2022 et, selon les estimations, il sera encore plus élevé en 2023.
Les conséquences politiques de cette situation se reflètent dans les sondages d’opinion, laquelle situation est exacerbée par le nombre d’immigrés clandestins qui traversent la Manche à bord de petites embarcations. Le fait d’être en dehors de l’Union européenne n’a donc pas facilité la capacité de la Grande-Bretagne à résoudre la question, malgré son plan pour le Rwanda qui semble s’enliser dans des litiges juridiques. Cependant, malgré les affirmations de M. Macron concernant l’accord du Touquet, les gouvernements britannique et français ont conclu un accord de 500 millions d’euros en mars pour mettre fin à l’immigration illégale transmanche.
Investisseurs: Londres résiste face à Paris
La situation économique due au Brexit est évidemment plus difficile à analyser dans le contexte de la pandémie de Covid-19, et de la guerre en Ukraine qui crée une crise énergétique. Ces événements totalement imprévus ont des effets économiques considérables pour l’ensemble de l’Europe.
Néanmoins, la fuite annoncée des services financiers et des investissements vers la City ne s’est pas matérialisée. Bien que la situation puisse changer et que la Grande-Bretagne ne doive pas se reposer sur ses lauriers, une étude publiée en juin par le cabinet de conseil EY a montré que Londres avait obtenu 46 projets d’investissement en 2022, contre 39 en 2021. Ce chiffre est à comparer aux 35 projets de Paris, en baisse par rapport aux 38 projets de la même période, et aux 22 projets de Madrid, en baisse par rapport aux 29 projets de la même période. La City of London Corporation a déclaré que ces chiffres signifient que la capitale « continue à être le leader européen en matière d’attraction d’investissements directs étrangers dans les services financiers. »
En outre, les données publiées par la Bibliothèque de la Chambre des communes, en mai 2023, suggèrent que, bien que la Grande-Bretagne soit désormais en dehors du marché unique européen, les échanges de biens et de services avec l’UE n’ont jamais été aussi élevés, les exportations britanniques vers l’UE ayant augmenté de 24 % entre 2021 et 2022 et les importations de 36 % au cours de la même période.
Les perspectives du secteur industriel ont également surpris les analystes et les commentateurs. L’association professionnelle Make UK a analysé les données de 2021, la dernière année pour laquelle des comparaisons mondiales sont disponibles, et son rapport « Manufacturing -The Facts » a révélé que le Royaume Uni est désormais le huitième plus grand fabricant au monde. Le rapport indique que la production britannique a atteint 272 milliards de dollars, contre 262 milliards pour la France.
Les critiques les plus sévères de l’économie britannique soulignent que l’inflation élevée est l’un des principaux indicateurs de ses difficultés économiques depuis le Brexit. Cependant, si l’on compare les données publiées sur Statista, le taux d’inflation de l’indice harmonisé des prix à la consommation du pays jusqu’en juin 2023 est similaire à celui des économies européennes de taille similaire. Le taux britannique s’élevait à 7,3 %, contre 6,8 % pour l’Allemagne et 5,3 % pour la France. En effet, même sur la base des projections de croissance du PIB publiées par l’OCDE, les projections pour le Royaume-Uni sont comparables à celles de l’Allemagne et de la France pour 2024 et 2025. En 2024, l’économie britannique devrait croître de 0,7%, contre 0,8% pour la France et 0,6% pour l’Allemagne, et en 2025, la croissance sera de 1,2% pour l’ensemble des pays.
Si ces chiffres ne montrent pas que la Grande-Bretagne devance ses voisins européens comme l’auraient souhaité certains partisans du Brexit, la catastrophe prédite par les opposants au Brexit ne s’est manifestement pas produite non plus.
Néanmoins, la Grande Bretagne doit encore relever des défis économiques majeurs. Le taux d’inflation des denrées alimentaires est l’un des pires d’Europe, avec 10,1 % selon Trading Economics, et les prix de l’électricité par kWh sont les deuxièmes plus chers d’Europe, juste derrière la République tchèque. L’avenir nous dira donc si la Grande Bretagne, en dehors de l’Union européenne, sera en mesure de traiter ces questions.