Conte éthylique à l’attention des censeurs par Franz Bartelt…
Au commencement, il y a le format du livre. Équilibré comme un ballon de sauvignon, désaltérant comme un bock, pas ergotique pour un sou, fin et partageur, le contraire des livres de caisse qui se veulent toujours plus intelligents et filandreux. Le bon temps de Franz Bartelt suivi de La bonne heure aux éditions L’Arbre Vengeur ne fait que quelques pages. Il pèse léger et suffit à enivrer son lecteur d’une lampée. Nous devons sincèrement remercier la maison et l’auteur pour la brièveté lumineuse de leur propos. Tant de lignes et de caractères à ne plus savoir quoi en faire, c’est gênant à la fin. Ici, les longueurs sont combattues et les approximations biffées d’une plume sûre qui ne se regarde pas écrire. L’écrivain expulse sa prose dans un français tonique et chahuteur, volontiers provocateur et taquin, élevant le débat dans les vapeurs d’alcool et ne tombant jamais dans les affres douloureuses du créateur. Bartelt nous épargne ses maux de tête et la jeunesse tumultueuse de ses personnages. Papa buvait, maman se droguait, tonton fraudait et société, tu ne m’auras pas. On connaît le refrain victimaire. Bartelt va droit au bistrot !
À bas les livres de plus de 250 pages
À l’approche de l’été, le critique est pris de panique devant ces montagnes de livres à la pagination extravagante qui s’entassent sur sa table de travail. Des sommes qui donnent la nausée et une interrogation sur la capacité réelle des auteurs à écrire court et sec, perforant et entrouvrant cependant les portes de l’imaginaire. Bannissons les cinéastes qui dépassent la durée hautement respectable d’une heure et quarante minutes, boycottons les restaurants qui, à défaut de carte en papier, vous infligent un QR code et exigeons des auteurs une limite rédactionnelle raisonnable. Au-delà de 250 pages, nous sommes partagés entre l’indécence et la sénilité. À 400 pages, nous ne répondons plus de nos actes.
Prenons exemple sur le poète palois Christian Laborde qui, dans sa dernière homélie vélocipédique, rend hommage au champion Poulidor (Poulidor enfin ! Mareuil Editions). Une cinquantaine de pages seulement diront les besogneux du peloton, les amateurs d’efforts inutiles et vains, les rouleurs en sueur qui encombrent les départementales et les librairies. Laissons les pousse-papiers à leur rédaction du dimanche. Dans cette poétique du cycle, échappée homérique à la scansion en danseuse, le jazzman des mots fait voler Poupou et l’éclaire d’un jour nouveau.
Poulidor enfin ! 15 juillet 1974 de Christian Laborde – Mareuil Editions
Le Bukowski des terrils
Je pense également à notre ami belge Éric Neirynck et son Hypertextuel paru chez Lamiroy. Ce bukowskien des terrils du Nord, spécialiste des sprints enfiévrés et charnels, n’a pas besoin de mille pages pour exprimer sa rage et son dégoût de notre époque corsetée. Il résiste à la tentation de tartiner à la commande. Quel saint homme !
Hypertextuel de Éric Neirynck – Lamiroy
Bartelt, mixologue ardennais a choisi l’alliance de l’étique et de l’éthylique en se mettant dans la peau d’un buveur forcément incompris. De cette épure naît un traité de morale non dépourvu d’une philosophie salutaire. Son héros exprime sa douleur de ne plus avoir droit de boire dans un monologue où la sincérité et la drôlerie s’enchâssent. Le garçon aggrave même son cas en proférant un discours nostalgique où l’Homme qui boit serait aussi capital que celui qui marche ou qui pense. « C’était mieux avant », nous dit-il en substance. Il nous le prouve par cette saillie : « Parce qu’avant on avait le droit de boire tout ce qu’on voulait ». Une telle phrase, même sous le sceau de la pochade vous condamne aux travaux forcés en ces temps incertains. C’est-à-dire à l’anonymat. Ne riez pas, le buveur est un lanceur d’alerte des plus respectables. Il affronte les forces du mal. Les colonnes de vertueux qui, chaque jour, nous promettent les paradis artificiels à coups de censures et de privations, sont dans nos villes. Ils ourdissent. Ils ont déjà fait de nous, des esclaves volontaires et des buveurs d’eau plate.
Halte à la flagellation
Chez Bartelt, l’Homme qui boit ne se flagelle pas. Il ose proclamer que l’apéro pris au café du bonheur est une forme avancée d’humanité. « Dans l’histoire des hommes, ce n’est pas la première fois que les vertueux essaient de s’emparer du pouvoir […] Un jour, c’est couru, ils vont nous interdire de boire l’apéro. Moi je suis fort attaché à la culture de l’apéritif. C’est un moment de convivialité. L’homme fraternise avec l’homme. Le petit jaune fait l’unanimité ». Et si cet homme qui boit, frère de zinc, camarade en solitude, était le sauveur d’une civilisation en péril.
Le bon temps de Franz Bartelt – L’Arbre Vengeur