Accueil Culture Cuisine: Montmartre fait de la résistance

Cuisine: Montmartre fait de la résistance

Rendez-vous au 69, rue Caulaincourt


Cuisine: Montmartre fait de la résistance
André Le Lett © Hannah Assouline

André Le Letty est passé par les meilleures maisons, de Bretagne et de Paris, et a fait plusieurs fois le tour du monde aux commandes des cuisines de luxueux navires. Puis il est devenu citoyen de Montmartre et y a ouvert son restaurant. Il perpétue son savoir-faire au Bistrot du Maquis, à des prix de bistrot !


C’est un restaurant simple et délicieux qu’aurait aimé le commissaire Maigret, lui qui allait déjeuner à Montmartre avec sa femme : Le Bistrot du Maquis, rue Caulaincourt. De quel maquis s’agit-il ? Probablement celui de la butte, quand celle-ci était encore un fouillis de champs, de chemins et de jardins. En flânant dans le quartier, on est saisi par le nombre et la diversité des petits commerces tapis à l’ombre des marronniers centenaires : fromagers, charcutiers, bouchers, cavistes, fleuristes, libraires, tapissiers, cordonniers, torréfacteurs… Un vrai village dans la ville ! Le grand historien de Paris et professeur au Collège de France, Louis Chevalier, avait, en 1980, consacré à Montmartre un petit chef-d’œuvre qu’il faut relire aujourd’hui, Montmartre du plaisir et du crime, tant il nous éclaire sur la façon dont ce quartier, né sous le Second Empire, à la jonction des prolos de l’Est et des bourgeois de l’Ouest, s’est, avec le temps, forgé une identité qui lui a permis de mieux résister à L’Assassinat de Paris : titre de l’autre grand livre de l’historien, paru en 1977, véritable J’accuse dans lequel le triptyque de Gaulle-Malraux-Pompidou est passé au laminoir. Chevalier leur reproche de n’avoir rien compris à l’histoire de Paris et d’avoir abandonné « l’irremplaçable beauté de la ville » à la voracité des promoteurs immobiliers.

Dans cette cour des Miracles qu’était Montmartre, les personnages bizarres étaient si nombreux qu’on finissait par ne plus les remarquer : Toulouse-Lautrec, La Goulue, Céline et son chat Bébert…

En entrant dans ce restaurant, donc, c’est un peu du Montmartre d’autrefois que l’on respire. Son chef-patron, André Le Letty, est un personnage à la Marcel Aymé, timide et gentil. Né en Bretagne en 1959 à Pont-l’Abbé, ce fils de paysans a été mis aux fourneaux dès l’âge de 12 ans pour préparer les repas de toute la famille. Il est ensuite parti faire son apprentissage dans les meilleurs hôtels-restaurants du Guilvinec (capitale de la langoustine) avant d’aller se durcir le cuir à Paris chez Ledoyen, Prunier, Taillevent, La Tour d’Argent… « C’est dans ces maisons que j’ai appris l’art de recevoir à la française, auprès de directeurs qui étaient de vrais hommes de théâtre, comme messieurs Vrinat et Terrail. » Dans son joli restaurant aux murs ornés de vieilles faïences de Quimper, on sent les effluves du velouté de potiron à la saucisse, du maquereau à l’escabèche, de la joue de bœuf braisée à la citronnelle, de la pomme cuite au calvados.

La joue de bœuf braisée aux carottes

Longtemps chef cuisinier sur des bateaux de croisière de luxe de 1 200 passagers reliant les Caraïbes à l’océan Indien, « Dédé » décide un jour de poser ses valises ici, à Montmartre, comme on accosterait dans un port au ciel clément : « Il y a une identité montmartroise, un esprit de village. Tout le monde se connaît et se dit bonjour… La tradition ici est d’ouvrir les restaurants le dimanche, midi et soir. J’ai une vraie clientèle d’habitués qui viennent chez moi en famille. »

On vient y déguster son fameux « canard au sang » (exactement le même que celui de La Tour d’Argent) ou, plus rare encore, son exceptionnelle « roulade de lapin au basilic » qu’aimait tant Jean Gabin, lui aussi natif de Montmartre. « C’est la même recette que le lièvre à la royale. Je prends les abats du lapin et je compose une petite farce avec des herbes et une duxelles de champignons. Le lapin est roulé et poché entier dans un bouillon de carcasses bien aromatisé au thym. Désosser, mariner, farcir, cuire au bouillon, envelopper le lapin dans un torchon : il faut trois jours de travail, c’est ça la vraie cuisine française… Le lièvre est sauvage, sa viande est rouge et puissante, le lapin, lui, est une viande blanche et douce. Mais avec le foie et les abats, il gagne en caractère et se rapproche du lièvre. »

Une merveille !


Son autre spécialité est le rognon de veau. Que ma mère me pardonne, elle qui avait les abats en horreur ! Dans sa première édition de 1938, le Larousse gastronomique consacre plusieurs pages à la cuisine des abats, preuve qu’ils étaient très populaires à l’époque (il y avait encore des « triperies » aux Halles). Aujourd’hui, ils sont un peu tombés en désuétude. « Les clients viennent chez moi pour ce plat, qui est aussi un plat typiquement montmartrois, du temps où les bouchers de Montmartre, très réputés, n’avaient pas encore été exilés à La Villette. Un bon rognon doit être croûté sur le dessus, moelleux au milieu et de couleur rosée. Je le saisis d’abord à la plancha, puis je le repose sur une plaque grillagée pour faire ressortir le jus. Je le repasse au four pour le rôtir un peu. La sauce est à base d’oignons et d’échalotes légèrement colorés et déglacés au vin blanc, auxquels j’incorpore un fond de veau, de la moutarde forte et de la crème double. Je cuis vingt-cinq minutes, je mixe, je passe au chinois, et j’ajoute de la moutarde à l’ancienne… Beurrés au dernier moment, les rognons sont servis sur un lit de chou en petites lamelles avec des lardons à l’étouffée. » Accompagnés d’un vin rouge léger, Chénas ou Moulin-à-Vent, on est dans la finesse pure.

Loin d’être surannée, cette cuisine charme par sa délicatesse, son équilibre, sa fraîcheur, son harmonie. André ne va pas non plus s’approvisionner chez Metro (comme le font beaucoup de « grands chefs ») : qu’il s’agisse du canard de Challans, des langoustines du Guilvinec ou des tomates de plein champ, il n’achète que les plus beaux produits qu’il sait négocier au bon prix et au bon moment, ce qui explique le succès de sa formule entrée-plat-dessert à 45 euros. Je dis cela, ayant été traumatisé, il y a peu, par un déjeuner fait dans un « bistrot » célèbre du 7e arrondissement (autrefois c’était une cantine pour journalistes) où les plats sont désormais vendus à 40 euros, l’entrée à 20, le dessert à 15, le verre de vin à 15… Faites le calcul.

Vas-y « Dédé », t’es l’meilleur !


Le Bistrot du Maquis

69, rue Caulaincourt, Paris 18e, www.bistrotdumaquis.com

Novembre 2024 - Causeur #128

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Promis, je vous parlerai de tout sauf du Budget !
Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération