Entre la carte et le territoire, il y a parfois des incidents diplomatiques. Les touristes l’oublient mais il arrive qu’en recherchant de l’authentique, on finisse effectivement par le trouver. Et les authentiques qu’en recherchant des touristes, il arrive qu’on en trouve… aussi. Pour le plus grand malheur de tous.
Conflit d’usage au Biot, en Haute-Savoie, où des pétitionnaires assignent la faune au tribunal des nuisances. Ils veulent que mesdames les vaches aillent brouter ailleurs. Les cloches qu’elles portent autour du cou font du bruit. Cela les empêche de dormir. Et ils l’ont écrit au maire. A vingt, ils invoquent le droit au confort : « le bruit sur les pistes et en face de nos chalets est insupportable » et la défense du bien commun municipal : « La popularité de la station pourrait souffrir s’ils (ndlr : les touristes) croient qu’ils n’auront pas de tranquillité pendant leur séjour ».
Et la marmotte…
Offensé, le terroir sort les fourches. Nanti de son bon sens, monsieur le maire, Henri-Victor Tournier est inflexible : « À quand une pétition pour empêcher les marmottes de siffler et les oiseaux de chanter ? » Solidarité entre cloches : il est soutenu par une manifestation de locaux ; tous indignés que des riverains adressent une lettre privée à leur mairie. Ce héros du pays réel veut bien envisager des compromis mais certainement pas le retrait des cloches. D’autant que ces bougres d’usagers ne sont même pas d’ici. Des résidents secondaires belges ou anglois… et d’autres fortunes du monde en quête de lyrisme pastoral ; pour une idylle plus courte qu’un vers de Virgile, le temps qu’un civilisé comprenne qu’une pastorale suppose un pasteur et un pasteur un troupeau. Auquel souvent s’ajoutent l’odeur… et le bruit.
Entre les Alpes et les touristes l’histoire avait pourtant bien commencé. Voici quelques décennies, des savoyards avaient eu l’idée de remplacer les alpages par le tourisme. Les urbains iraient skier et rempliraient la vallée de devises ; pour un travail moins pénible et plus lucratif que le labeur aux champs. En attendant de faire le 13h de Jean-Pierre Pernaut, la mairie avait mis en place une politique de « montagne douce ». Enigmatique label pour un projet onirique : rendre le lieu plus vrai en en faisant un musée du faux. Comprenez : il faut que le parisien retienne des Alpes une image rustique. Sans vaches qui meuglent, sans purin nauséabond, point de différentiel d’authenticité, ni de régions-qui-ont-du-talent. Et parce que c’est leur projet, un nommé Sebastien Vittoz joue au fermier sous le regard bienveillant des étrangers : « Sébastien Vittoz a eu le courage de s’installer ici il y a 5 ans. Et puis, la montagne sans les vaches avec les clarines, ce n’est pas la montagne. Combien de touristes sont tout heureux de les prendre en photos ? »
Les visiteurs au Moyen Âge
Précision des pétitionnaires, non démenties par la mairie : « il n’est point nécessaire d’équiper les vaches de cloches puisqu’elles sont parquées, donc repérables. » Ces cloches, autrefois utiles pour rassembler le troupeau, ne servent aujourd’hui à rien sinon à ce que des Parisiens, Belges, Coréens ou Sino-guatémaltèques viennent s’extasier devant une population montagnarde se faisant passer pour arriérée afin de remplir ses hôtels.
Au XVIIIe les encyclopédistes, ces puits de science, assuraient que les corvées médiévales servaient la nuit à chasser les grenouilles pour préserver le seigneur des coassements. Fable bien sûr fausse au service d’un rationalisme occasionnellement irrationnel : on ignore qui des grenouilles ou des gueux frappant la marre auraient le plus nui au sommeil de leur maître. Dramatique histoire pour diaboliser un Moyen Âge honni mais qui se répète aujourd’hui comme une farce : les nouveaux gueux insistent désormais pour assurer d’inutiles corvées.
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