« Léchage, lâchage, lynchage » : aucune mode n’échappe au cycle de Jean-François Kahn – qui décrit ainsi le traitement des hommes politiques par les médias. C’est ainsi que le « bio » qui triomphait sur toutes les « unes » il y a peu est aujourd’hui victime d’une suspicion généralisée. Trop cher, pas si bio que ça, et même pas bon : bouffer vert, ce n’est plus tendance du tout les amis.
Tombés du haut de leur statut de pionniers du monde « durable » et post-industriel, les consommateurs « bio » sont aujourd’hui traités de dupes, de gogos pour charlatans. Les nigauds, l’argent qu’ils dépensent ne leur permet même pas de se payer une santé. Une équipe de chercheurs britanniques observe que les bienfaits nutritifs des aliments produits par l’agriculture biologique restent marginaux au regard de l’écart de prix qui est lui considérable.
Le bio, c’est cher, la ménagère en sait quelque chose. Mais après tout, le prix payé par le consommateur ne saurait être l’unique critère de la sélection darwinienne des inventions humaines. De plus, tout prix repose sur un malentendu. Comme nos médias se sont employés à le démontrer, un kilo de tomates cultivées avec engrais et pesticides revient moitié moins cher qu’un kilo de tomates « bio ». Peut-être, cependant, le véritable prix à payer est-il bien plus élevé seulement, il doit être imputé à d’autres acteurs en différé. Le prix de la tomate devrait inclure le coût engendré par la multiplication des cancers et déformations génétiques constatée des années plus tard, très loin de la serre parce que la nappe phréatique a été polluée par des engrais et pesticides.
Plus élevé, le prix du « bio » présente, du point de vue purement économique, au moins deux avantages : il est définitif et il est payé par celui-même qui en profite directement. Pas de coûts cachés, point d’ardoises laissées à la collectivité pour 2030. En revanche, la somme payée par le consommateur pour les produits de l’agriculture conventionnelle n’est autre chose que le premier versement d’une facture qui reste ouverte, le prix définitif étant impossible à calculer.
Le problème, c’est qu’on n’a pas très envie de défendre les membres de la secte « bio » qui croient qu’on « est ce qu’on mange », beurk. Après tout, ils se contentent de faire prévaloir un égoïsme (« ma santé d’abord ») sur un autre (« mon porte-monnaie d’abord »). N’oublions pas que la « révolution verte » d’hier, avec son appareillage de produits chimiques et ses méthodes industrialisées, a été inspirée par d’aussi bons sentiments que la contre-révolution verte actuelle. Il fallait nourrir les gens, un ventre plein étant la première condition de la longévité. En quelques décennies, le « vert » a donc changé de camp sans perdre sa qualité intrinsèque. Il est le Bien. D’où la vague confusion qui s’instaure, dans les esprits, entre « bio », « vert » et « équitable ».
Bref, la question n’est pas « bio » ou pas « bio », mais de rendre notre système de production et de consommation moins dévastateur pour l’environnement sans passer par la case « catastrophe sociale et politique », résultat inéluctable de la « décroissance » et autres utopies où tout est pris en compte, tout est prévu – sauf la réalité. Il faut s’interroger sur les vertus globales du « bio » pour la santé de l’environnement plutôt que sur ses effets heureux sur le métabolisme des membres de la secte.
On peut, par exemple, se demander si l’instauration d’une norme « bio » ne jouera pas comme une barrière douanière empêchant les pays sous-développés d’exporter leurs produits vers l’Europe. Les belles âmes qui pensent que ce qui est « bio » est bon pour tous doivent savoir que ce n’est pas demain que l’Afrique ou l’Amérique latine consentiront à voir le rendement de leurs agricultures chuter de 30 % voire plus. Bref, celui qui ne consomme que des fruits et légumes cultivés à 20 kilomètres de chez lui risque de se retrouver un jour en délicatesse dans une rue étroite de l’une de nos grandes villes avec le fils d’un agriculteur ruiné d’un pays du tiers monde. Si les chercheurs britanniques ont effectivement démontré quelque chose, c’est surtout que, hors de toute pensée politique et sociale, le « bio » n’est pas seulement dénué de sens mais carrément dangereux.
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