Le public de la première a fait un juste triomphe à cette nouvelle reprise d’un Barbier de Séville qui n’a pas pris une ride depuis 2014, année de sa production au Grand Théâtre de Genève, après que l’Opéra de Paris a dû annuler toutes les représentations, sauf une, en 2020, pour cause de grève sur… la réforme des retraites !
« Péché de jeunesse » d’un Rossini voué, comme l’on sait, à une singulière longévité pour l’époque (1792-1868), sa partition, forgée en trois semaines, l’an 1816, par un compositeur alors âgé de 24 ans à peine, se cale sur l’écriture concomitante du livret par un poète – fonctionnaire de l’administration pontificale, Cesare Sterbini, d’après la pièce de l’illustre Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais…
Enjeux plus de saison
Réviser ses classiques est toujours une gageure: la langue a vieilli ; le contexte social est totalement anachronique par rapport au nôtre ; le canevas de l’intrigue relève d’enjeux qui ne sont plus de saison : un vieux barbon qui s’est mis en tête d’épouser sa pupille pour sa dot, à l’heure de «balance –ton-porc » ? Or, coup de génie, le scénographe d’origine vénitienne Damiano Michieletto et son décorateur attitré Paolo Fantin parviennent à jeter, sur ce joyau versé depuis Mathusalem au patrimoine de l’art lyrique, une fraîcheur, une alacrité, un pétillement de tous les instants.
Pas de changement de décor entre le premier et le deuxième acte. Nous sommes à Séville, comme il se doit, mais l’action se voit transposée à l’aube du XXIème siècle. La façade d’un immeuble, sis au cœur d’un vieux quartier populaire, occupe le plateau de part en part – crépis jaune, volets verts, balcons de fer forgé : on se croirait dans un film d’Almodovar ! Le conte d’Almaviva a garé sa « caisse à savon » bleu pétante pile devant chez Rosina, dont le balcon, au premier, ouvre sur la rue. A main gauche, le « Barracuda », un « snack & bar » tenu par une plantureuse patronne et son employée. Morceau d’architecture « à l’échelle 1 », d’un réalisme absolu : tags, antennes satellites, panneau d’interdiction de stationner, poubelle, linges séchant aux fenêtres, tout y est… Autour des protagonistes, les habitants vaquent à leurs occupations.
Une scénographie en perpétuelle mobilité ingénieuse
La surprise du chef, si j’ose dire, tient dans l’inventivité du dispositif scénographique : le décor pivotant bientôt sur lui-même, pour nous dévoiler, à la façon d’un écorché, l’ossature interne de l’édifice – les pièces de ses différents logis, ses escaliers, ses parties communes, sa loge de concierge… Dans cette révolution à 360% qui, de proche en proche, nous le fera appréhender sous tous les angles, selon un régime de perpétuelle mobilité où vibrionnent, avec une précision horlogère, chanteurs, chœurs, comparses, figurants, comme dans un ballet ultra-réglé sous une apparence d’improvisation, il y a quelque chose de virtuose, de merveilleusement inventif, de réjouissant à l’extrême. Un emballement de toupie s’empare du plateau tout entier, ruche active, foisonnante, tourbillonnante ; de ce spectacle, elle fait un enchantement.
S’y greffe une joie plus entière encore : celle d’une distribution hors pair. Au soir de la première, le public découvrait, dans le rôle de Rosina, la mezzo-soprano colorature Aigul Akhmetshina. Elle n’a que 26 ans, elle est Russe. Il est heureux qu’on ne l’ait pas censurée, par les temps qui courent, en vertu de sa nationalité. Ce sont ses débuts à Paris. Voix fabuleuse, articulation parfaite. Elle chantera encore les 4, 7 et 10 juin. Puis c’est la Canadienne Emily d’Angelo qui chantera Rosina les 14, 17 et 19 juin. Mention d’excellence également au Compte d’Almaviva, sous les traits du ténor américano-mexicain René Barbera…
Le Barbier de Séville. Opéra buffa en deux actes de Gioaccino Rossini. Avec Aigwul Akhmetshina/ Emily D’Angelo (Rosina), Renato Girolami (Bartolo), René Barbera (comte d’Almavira), Andrzej Filonczyk (Figaro)… Direction : Roberto Abbado. Mise en scène : Damiano Michieletto. Décors : Paolo Fantin. Orchestre et chœurs de l’Opéra de Paris. Opéra-Bastille. Les 2, 4, 7, 10, 14, 17 juin à 14h30 et 19 juin à 14h30. Durée : 3h15