L’auteur du Diable au corps est mort à 20 ans.
Météore de la littérature française, Raymond Radiguet, né le 18 juin 1903, est mort à l’âge de vingt ans, emporté par la fièvre typhoïde, hélas mal décelée par le médecin de Jean Cocteau, l’écrivain protéiforme amoureux du jeune homme. À l’occasion du centième anniversaire de sa mort, les Éditions Grasset publient ses œuvres complètes, préfacées par Chloé Radiguet, la nièce de Raymond, et Julien Cendres, écrivain et directeur de la Maison des Écrivains et de la littérature, admirateur de Marguerite Duras. L’ouvrage dépasse les 900 pages, ce qui fait de Radiguet un véritable phénomène. La couverture est très belle. C’est une photo en noir et blanc signée Man Ray. On voit le visage volontaire de Raymond, regard sombre, rehaussé par d’épais sourcils, bouche un peu féminine, faite pour la passion amoureuse. Paul Morand, à propos de l’éternel jeune homme, écrit : « Nous étions des naïfs, de jeunes chiens aboyant après la vie comme après une balle ; on nous aurait donné le diable sans confession ; mais Radiguet avançait de façon si ouverte, si gouvernée, si perversement virginal, il péchait si gracieusement et sans souillure que le public de 1923 n’y vit que du feu. »
Paul Morand fait ici allusion au roman Le Diable au corps qui créa la légende Radiguet. Le livre fut lancé par l’éditeur Bernard Grasset, comme on met sur le marché un paquet de lessive. La méthode choqua, mais le résultat fut au rendez-vous – 50 000 exemplaires vendus en un mois. Grasset crut immédiatement en ce livre, rédigé par Radiguet alors âgé de dix-sept ans. Ce fut un véritable phénomène littéraire. L’écrivain y apparait très observateur, mature et intelligent. Pourtant ses personnages sont peu décrits. La couleur des cheveux et le port de taille de Marthe, dix-huit ans, ne sont pas précisés, et sa présence n’en demeure pas moins forte. C’est ça le talent, innover alors que les autres copient.
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Le Diable au corps est en partie autobiographique. Nous sommes en 1917. Radiguet prend le train à la gare de la Bastille pour rentrer à Saint-Maur, dans la banlieue Est de Paris, où il est né. Il fait la connaissance d’Alice, vingt-quatre ans, mariée à un soldat du front. Il a donc quinze ans, et prétend en avoir dix-neuf. Leur amour dure jusqu’à la fin de la guerre, en novembre 1918. Radiguet tient son sujet : l’histoire de Marthe et du narrateur, qui ne porte pas de nom, tandis que le soldat cocu risque de mourir pour la patrie. Tous les ingrédients du scandale sont réunis : l’adultère, l’indécence, l’immoralité. Mais Morand, encore lui, décèle la clé de la réussite du roman. « La vraie rouerie de Radiguet est là où le public n’a pas été la chercher, dans le style ; cette fausse maladresse, cet art si voulu, ces sentiments osés sur du papier d’écolier quadrillé, rappellent son mot posthume et ravissant : Tous les grands sont ceux qui parvinrent à le faire oublier. » Raymond, fils d’un caricaturiste de renom, l’aîné d’une famille de sept enfants, récidive avec Le Bal du comte d’Orgel, où le triangle amoureux, figure classique, fonctionne à merveille. Le livre sort en juillet 1924, quelques mois après la mort de l’auteur. Joseph Kessel, qui l’admirait, écrit : « Que de promesses se fanent ! Quel écrivain-né s’en va ! Mais il a déjà fait une œuvre à un âge où d’autres commencent à y rêver. » Coco Chanel paye ses obsèques, Jean Cocteau, terrassé par le chagrin, ne peut assister à son enterrement.
Chloé Radiguet et Julien Cendres signent également une biographie richement documentée. On retrouve le jeune homme portant monocle – il est myope – et canne, qui mène une vie à la fois festive et studieuse, écrivant des articles, de la poésie, des pièces de théâtre, des essais, des contes, de quoi donner le tournis sur la piste de danse du bal Radiguet.
Une anecdote, racontée par les auteurs. Radiguet assiste à trois séances de spiritisme chez Valentine et Jean Hugo. Lors de la troisième, le 30 avril 1923, la mort rôde autour de la table. Le malaise est tellement grand que Jean Hugo décide d’interrompre les séances. Le météore s’éteint le 12 décembre.
Raymond Radiguet, Œuvres complètes, Édition définitive établie et préfacée par Chloé Radiguet et Julien Cendres, Bibliothèque Grasset.
Chloé Radiguet et Julien Cendres, Raymond Radiguet Un jeune homme sérieux dans les années folles, Robert Laffont.
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