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Le Baas ou la chienlit


On sait que certaines images valent mieux qu’un long discours. Parmi les plus prisées du moment, la photo du jeune Hamza al-Khatib fait le tour du monde. Le corps tuméfié de ce jeune garçon de treize ans a été rendu à sa famille plus d’un mois après sa torture par les services de sécurité syriens. Une vidéo macabre diffusée sur Youtube restitue la violence des sévices subis, qui vont jusqu’à la mutilation. Bien entendu, les services de renseignements syriens évoquent la responsabilité de bandes armées salafistes qui seraient responsables des troubles que connaît la Syrie.

L’obsession de l’unité

Au-delà de cette tragédie, on est frappé par l’omniprésence de la thématique confessionnelle dans la propagande du Baas. Un petit tour d’horizon des cortèges pro gouvernementaux révèle l’obsession de l’unité nationale et – par réverbération- la crainte des dissensions interconfessionnelles. Sous l’orbe du nationalisme, le discours officiel syrien dissimule le fantasme négatif de l’explosion de la mère-patrie, comme en témoignent la croix et le croissant brandis avec emphase par les sympathisants du Baas. Tels des exorcistes chassant le vampire à coups d’ail et de crucifix, ils crient « Non au confessionnalisme ».

Leurs énoncés pseudo-performatifs – qui croient accomplir ce qu’ils annoncent – manipulent à qui mieux mieux la dialectique de l’Un et du multiple. L’imagerie baasiste dessine en effet une nation de citoyens rangée en rangs d’oignons derrière son chef incontesté[1. Car incontestable, of course ! « Assad ibn-al-assad » (le lion fils du lion) bénéficiant du prestige que son père Hafez, militaire de haut rang, a accumulé durant ses trente ans de règne sanglant]. Dans cette image d’Epinal, le patriotisme, l’antisionisme et quelques zestes d’arabisme socialisants servent de ferment d’unité.

Mais malheureusement pour le régime syrien, le confessionnalisme n’est pas seulement un produit d’importation. Certes, peu après la Première guerre mondiale, la France a bel et bien scindé le Levant mandataire en plusieurs petits Etats à base confessionnelle (Etat des alaouites, Etat du djebel druze, Grand Liban majoritairement chrétien, Etat d’Alep, etc.). Mais cette partition, qui reste la hantise des dirigeants libanais et syriens, prenait acte d’une séparation de fait entre les communautés[2. Ce qui n’exclut pas une stratégie de partition délibérée destinée à tuer dans l’œuf les velléités d’indépendance des nationalistes syriens].

non au confessionnalisme, non à la division

Le confessionnalisme est déjà là !

Que le confessionnalisme désigne l’ennemi idéologique d’un parti d’inspiration laïque, socialiste et nationaliste s’entend fort bien. Seulement, les tenants du statu quo politique font mine d’ignorer le confessionnalisme de fait qui mine la société syrienne. Rares sont les laïques et libres-penseurs qui refusent d’être assignés à leur communauté.

Premier pilier du système confessionnel, les affaires familiales incombent à des tribunaux religieux. En fait de mariage, les Syriens n’ont d’autre choix que l’union endogame entre membres d’une même religion, sinon d’une même communauté. L’assignation confessionnelle y est telle que, quoiqu’intra-chrétiennes, des épousailles entre un grec-catholique et une Arménienne sont considérées comme un mariage mixte. Ce sectarisme assumé par la plupart des groupes religieux ne peut que déconcerter ceux qui n’entendent pas grand-chose à l’Orient compliqué.

Chez les Druzes, cet interdit est pratiquement absolu, les unions mixtes étant bannies par leurs préceptes qui interdisent toute conversion[3. Dans le syncrétisme religieux druze, l’âme druze est censée se transmettre de la mère à l’enfant, ce qui, d’un point de vue religieux, écarte toute possibilité de conversion ou de métissage]. Certaines familles druzes rejettent catégoriquement le métissage religieux, allant jusqu’à perpétrer des crimes d’honneurs contre les jeunes filles coupables d’amour interdit, pour un alaouite, un chrétien ou un sunnite. Les juges syriens ferment globalement les yeux sur ces pratiques d’un autre âge qui constituent la face sombre du confessionnalisme. À cette exception druze près, le mariage interreligieux est néanmoins possible moyennant une conversion – à l’islam ou au christianisme selon le cas. Mais tout changement de religion entraînant la mise au ban de sa communauté d’origine, très rares sont ceux qui franchissent le pas.

Un patriotisme contre l’autre

L’habillage national du camaïeu religieux syrien est évidemment un rempart contre la guerre civile. Comme l’illustrent les slogans œcuméniques scandés par les partisans de Bachar al-Assad, l’épouvantail de la discorde reste peut-être l’unique registre d’autolégitimation du pouvoir syrien.

Le plus cossard des hiérarques baasistes est cependant conscient de l’extrême fragilité du sentiment national. À la faveur de la crise actuelle, le pouvoir vacillant de Damas tente de resserrer les rangs, mais sa base confessionnelle alaouite, druze et ismaélienne ayant partiellement rejoint la contestation, l’inquiétude le gagne à grands pas.

Dans une sorte de rivalité mimétique, les contestataires opposés à la mainmise du clan Assad sur l’appareil d’Etat reproduisent d’ailleurs les mots d’ordre anti-confessionnels du Baas. À l’heure où plusieurs villes restent assiégées par l’armée, on peut se demander et peut-être espérer que l’unité du pays se réalisera aux dépens de ceux qui la manipulent.

Oui à l'unité nationale



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est journaliste.

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