Delphine Horvilleur, dans Il n’y a pas de Ajar et ailleurs également, pourfend l’idée d’identité avec mordant, et autant on peut et on doit même entendre son éloge du multiple, autant renvoyer l’idée d’identité nationale à une nostalgie fantasmée d’un âge d’or fermé à tout étranger et toute étrangeté en nous – plénitude perdue où l’on voudrait retourner comme dans le giron maternel – relève de la caricature et s’avère terriblement inactuel.
Il me semble que la question de l’identité nationale ou française, si elle a connu, par le passé, des précurseurs très discutables, s’est posée il n’y a pas si longtemps à notre pays en réaction à trois mises en cause de plus en plus agressives : les institutions européennes qui désavouent les décisions nationales, le mouvement de la déconstruction qui n’en finit pas de culpabiliser son monde, et la réislamisation d’une certaine population immigrée ou de ses descendants.
Ce retour de l’identité a une histoire, et à en parler sans l’y situer, on l’essentialise et on peut dès lors s’autoriser légitimement à faire la grimace. Mais dans ce cas, on risque aussi de faire dans l’angélisme. Dans l’angélisme subtil, drôle, intelligent et virevoltant comme une valse, mais dans l’angélisme tout de même.
Car il y a finalement un paradoxe, et c’est le sentiment que j’ai eu en lisant Delphine Horvilleur (et en lisant Rachel Kahn, aussi) : à savoir que la possibilité de l’identité mobile, du multiple en nous, ne peut se pratiquer que dans certaines contrées et dans certaines cultures… qu’il nous faut bien défendre si l’on veut pouvoir ne pas se shooter à l’identité comme d’autres à la coke. Et que ces contrées et ces cultures sont bien des identités, et des identités menacées. Je pense à la laïcité à la française, à la République une et indivisible – à moins de tomber dans l’agrégat de communautés juxtaposées -, à l’idée de frontière, à celle de nation, de citoyenneté, à l’héritage politique et littéraire, aux paysages, aux mœurs et coutumes etc.
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Entre les institutions européennes qui nous vouent à l’ectoplasme, à l’interchangeabilité des uns et des autres dans l’optique économiste qui est la sienne, les narcisses imbus d’identité sexuelle choisie, les revendicateurs racialistes revendiquant cela même qu’ils dénoncent, les fanatiques de l’Autre qui font que quand il n’y a plus que l’Autre, il n’y a plus d’Autre du tout, l’immigration extra-européenne encouragée par cette même Europe des technocrates pour les raisons que l’on sait, et qui, de son côté, remet en cause des fondements capitaux (appelons cela des racines aussi) et, enfin, l’islamisme radical qui s’étend et fait des ravages, il y a malaise dans la civilisation, et je dirais même plus, il y a cauchemar.
Quand le tragique pointe le bout de son nez (et je ne sais quand et où il oublierait de le faire) il y a bien quelque chose à défendre qui ne fait pas de nous des « fachos » ou des obsédés de l’identité une et une seule, et qui s’appelle une certaine idée de la France, pour laquelle Gary-Ajar s’est battu dès les premières heures… et dans laquelle, précisément, nous pouvons mettre en cause ce qui nous figerait dans des postures mortifères ; je suis ceci, cela, et pas autre chose. Mais il faut impérativement se rappeler qu’il n’y a qu’ici, ou dans très peu d’endroits sur terre, et dans un cadre politique précis qu’on peut le faire. Dès lors, c’est bien au nom de la possibilité d’une identité non figée défendue dans le livre… qu’il nous faut défendre ce qui la permet, et qui a bel et bien à voir avec l’histoire et l’identité d’un pays.
Il n’y a pas de Ajar de Delphine Horvilleur, Grasset 2022
Il n'y a pas de Ajar: Monologue contre l'Identité
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