Accueil Édition Abonné Le 7 octobre et après

Le 7 octobre et après

Les juifs de la diaspora se retrouvent écrasés entre deux fronts. À la violence là-bas s’ajoute un sentiment de rejet et d’incompréhension ici...


Le 7 octobre et après
Gilles-William Goldnadel. © AP Photo/Michel Euler/Sipa

Meurtri au plus profond de lui-même par la barbarie du Hamas, Gilles-William Goldnadel s’est enrôlé dans la défense médiatique quotidienne d’Israël. Son nouveau livre dévoile les coulisses de ce combat acharné.


Dans la matinée du 7 octobre, Gilles-William Goldnadel est réveillé par la sonnerie de son téléphone portable. C’est un SMS de son fils. « Nous sommes en guerre », lui écrit-il de Tel-Aviv. Au fil des heures, l’avocat franco-israélien comprend que l’impossible est arrivé. Et que le « nous » recouvre une communauté humaine bien plus vaste que la seule population de l’État hébreu, touchée de plein fouet par le terrorisme islamiste.

Non pas qu’il ait attendu cet indicible massacre pour se sentir passionnément sioniste. Seulement le juriste madré, l’essayiste cultivé (fin connaisseur notamment des théories de Gustave Le Bon et de Sigmund Freud sur la psychologie des foules), le bretteur télévisuel aux effets de manche si caustiques ne se reconnaît plus lui-même. Désormais l’horreur du Hamas le hante jour et nuit. « Je n’imaginais pas ça, confie-t-il à son journal. Mes enfants sont partis en Israël pour ne pas connaître ça. L’humiliation d’être redevenu un juif craintif. Et la peur pour mes enfants. Et la crainte indicible de leur survivre. »

Un deuil écrasant

On devine la vocation première de ce texte : redonner du courage à ceux qui, juifs ou non, sont abattus, désespérés par le pogrom survenu il y a quatre mois. L’auteur ne cache rien, lui-même, de ses propres passages à vide, de ces journées durant lesquelles seules une salade de roquette au parmesan ou une discussion professionnelle au sujet d’un banal client convaincu d’escroquerie le distraient quelques instants, avant que l’effroi et la colère ne reprennent place dans son esprit.

Ce livre est en somme le témoignage d’un corps dans la tourmente, avec son chagrin, sa douleur, ses insomnies. Ses envies de vengeance aussi. « Je me serais volontiers vengé des nazis, justifie-t-il. Les services israéliens ont éliminé un à un les responsables de l’attentat contre leurs athlètes. Cette vengeance de Munich me paraît très juste et très humaine. » On aura compris que notre chroniqueur ne s’accordera pas de répit aussi longtemps que ceux qui, là-bas, se battent en treillis sur le terrain ne pourront se reposer. Son portrait, en couverture du livre, exprime parfaitement cette détermination. Le visage est marqué par l’angoisse et la fatigue, le regard est d’une tristesse profonde.

Au fil des pages du journal, chaque jour connaît sa peine. Chaque jour sauf un : « rien », écrit Goldnadel le 7 octobre. Mais pas le « rien » consigné par Louis XVI au soir du 14 juillet 1789. Pas un « rien à signaler », mais un rien de sidération, d’un choc terrible qui empêche d’écrire, qui ne permet que d’expédier le plus urgent. Puis, à partir du lendemain, 8 octobre, Goldnadel entre dans la tranchée des juifs. Car il sait que, de l’autre côté de la Méditerranée, les Israéliens sont ensemble et doivent faire face aux urgences et aux drames.

A lire aussi : Le Hamas, ou le retour de l’archaïque à l’âge du digital

Que faire ? Y aller, en Israël, pour être avec les autres, partager la nouvelle adversité ? Non, plutôt rester en France et faire la guerre ici, dans les médias avec sa voix et sa plume. Une automobilisation autant physique qu’intellectuelle, et qui fait penser – on trouvera peut-être la comparaison audacieuse – à Maurice Barrès décidant, en 1914, alors âgé de 52 ans et donc trop âgé pour le port de l’uniforme, de s’astreindre à donner un texte par jour à L’Écho de Paris pendant toute la durée du conflit, comme pour participer à l’effort de ceux qui sont sur le champ de bataille.

Certes, ce n’est pas la première fois. Depuis plus de quarante ans, chaque crise violente entre Israël et ses ennemis – Intifada, Liban, Gaza – provoque dans le reste du monde une vague étouffante d’antisémitisme. Les juifs de la diaspora se retrouvent écrasés entre deux fronts. À la violence là-bas s’ajoute un sentiment de rejet et d’incompréhension ici.

Les menaces sont identifiées

Il y a bien longtemps du reste que Goldnadel alerte ses coreligionnaires sur le péril mortel du djihadisme, à ses yeux infiniment plus dangereux en Occident qu’un hypothétique réveil de la bête immonde fasciste. « Je me fous de Jean-Marie Le Pen, assume-t-il. Le souvenir de la Shoah me hante, mais je le garde pour moi. Je me fous de l’antisémitisme de papa. Je me bats contre celui, islamiste, d’aujourd’hui. »

Le chroniqueur de CNews est aussi l’un des tout premiers à avoir compris que la menace principale viendrait désormais aussi d’une partie de la gauche, de cette extrême gauche qui, comme il l’a déjà écrit à de multiples reprises, voit dans chaque juif un « Blanc au carré », forcément complice d’une prétendue colonisation au Proche-Orient. Hostile à la politique d’implantations, Goldnadel voit pourtant rouge dès que le mot infamant colonisation est prononcé pour décrire la situation en Cisjordanie. Comment ose-t-on appeler « colons » ceux qui se trouvent, serait-ce à tort, sur une terre où ont vécu leurs ancêtres ?

A lire aussi : 7-Octobre: ce qui unit Israël et la France

Seulement, depuis le 7 octobre, cette affligeante inversion des valeurs est encore plus implacable. Elle est devenue le mot d’ordre des djihadistes et de leurs alliés, si prompts à crier leur joie mauvaise, à clamer que le peuple victime de la Shoah serait à présent coupable d’un génocide. De la blague douteuse de Guillaume Meurice à la procédure entamée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice de La Haye en passant par le négationnisme des crimes commis par le Hamas, les enjeux sont aussi évidents que terribles : il faut que les juifs soient transformés en nazis, que Nétanyahou soit pire qu’Hitler.

Cette terrible injustice traverse ce journal de guerre comme elle transperce l’âme des millions des juifs partout dans le monde. Et là se trouve sans doute la plus grande valeur de ce texte, document truffé de morceaux de vie et de bravoure, d’esprit et de tendresse, sur un juif du quotidien en temps de guerre.

Gilles-William Goldnadel, Journal de guerre, Fayard, 2024.

Journal de guerre: C'est l'Occident qu'on assassine

Price: 19,50 €

39 used & new available from 6,67 €

Février 2024 – Causeur #120

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Reporters avec frontières
Article suivant Ted, le nouvel ami de mes voisins vignerons
est journaliste.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération