Hier,Rue89 a décidé que le 29 décembre 2011 serait le jour le plus chiant de l’année. D’habitude, ils décrètent plutôt cela en août, mais cette fois-ci, ils étaient à la bourre.
A moins qu’ils n’aient pas un seul journaliste sous la main en ce joyeux entre-deux-fêtes. C’est sans doute pour cela – et aussi parce que « la récréation est devenue participative » – qu’ils ont choisi de mettre à contribution les « twittos »[1. Ainsi appelle-t-on les utilisateurs du réseau social Twitter]. Ils les ont en effet mis à contribution pour démontrer combien ce jour était chiant, au moyen du hashtag (mot-clé) #jourchiant. Après tout, pourquoi pas. Il paraît que tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Cent quarante signes devaient donc suffire pour exprimer les quelques bribes nécessaires à cet OCNI (Objet Communicationnel Non Identifié) finalement constitué d’une suite de twitts anonymes que l’on baptisa « article de presse » avec toute la componction nécessaire.
Pourtant, à titre personnel, je ne l’ai pas du tout trouvé chiant, ce 29 décembre 2011. Mais il faut avouer que je ne suis pas très joueuse. J’avais déjà usé de mon droit démocratique au commentariat participatif le 5 août 2009, pour signifier à Rue89 que, si eux s’ennuyaient, moi pas. Hier, pourtant, il m’a semblé que la date était encore plus mal choisie qu’il y a deux ans.
L’effroi…
En ce 29 décembre réputé chiant, en effet, les Restos du cœur ont annoncé qu’ils auraient du mal à boucler la saison 2011-2012 : la demande de repas dans leurs centres de distribution a crû de 5 à 8 % cette année. Effet collatéral de la crise, pour sûr.
Du coup, Frédéric Lefebvre, secrétaire d’Etat au Commerce et à l’Artisanat, enfila sa mine la plus grave pour annoncer sur France2 qu’il avait contacté les patrons de la grande distribution, de Casino à Carrefour, pour solliciter leurs dons au profit des Restos. Et oui, en France, à l’aube de 2012, les pouvoirs publics en sont réduits à organiser la charité, faute d’avoir su faire advenir la justice. Effet collatéral du progrès et de la sainte modernité, pour sûr.
Quand je dis cela, j’omets de parler de l’homme qui jonche le sol sous ma fenêtre chaque hiver depuis trois ans. Il vit et dort sur une bouche de métro de laquelle s’échappe une chaleur malodorante. Il se meut rarement et je l’ai souvent cru mort. Régulièrement, quelqu’un s’assure qu’il ne l’est pas. Dans le voisinage et par ce temps-ci, tout le monde est inquiet de voir grelotter cet amas vaguement humain. L’angoisse se lit dans le regard des riverains. Nous sommes comme glacés des froids, tant le fond de l’air effraie.
Par la force des baïonnettes…
On s’est un peu demandé, du coup, en ce 29 décembre supposé chiant, ce qu’était devenu le DALO, ce droit opposable au logement institué en 2008, en vertu duquel « toute personne qui a effectué une demande de logement et qui n’a pas reçu de proposition adaptée à sa demande (…) peut saisir une commission de médiation dans son département, puis exercer, dans certains cas, un recours devant le tribunal administratif ».
Ce doit être une menace drôlement efficace, à agiter sous le museau de bailleurs rétifs, la saisine d’une « commission de médiation ». Quant aux délais de réponse du tribunal administratif, ils garantissent un avenir faste aux bouches de métro dont émane sans discontinuer une tiédeur poisseuse et âcre.
Signalons toutefois la modification prochaine et bienvenue des principes du DALO. Le 1er janvier 2012 ne sera pas seulement le Jour de l’An, ni la date d’entrée en vigueur du quatrième taux français de TVA[2. Après la TVA à 19,6%, celle à 5,5%, et celle à 2,10%, voici venu le temps des rires et des chants, et de la TVA à sept pour cent], mais aussi celui de l’amendement du droit au logement. Désormais les « demandeurs en délai anormalement long » pourront faire jouer « la garantie de l’Etat ». Bigre ! A l’évidence, ça ne rigole plus. Nous sommes probablement à la lisière d’une très prochaine révolution. A compter de dimanche, il ne sera possible de nous (dé)loger que par la force d’un bail honnête !
Ou par le fil de l’épée
Pour certains, donc, en ce 29 décembre qualifié de jour chiant, il faisait froid et il faisait faim. D’aucuns ont donc décidé que, dans une ambiance aussi pourrie, il était préférable d’expirer.
Ce fut le cas de deux militaires français, tués en Afghanistan par un très mauvais compagnon d’armes de l’ANA (l’Armée Nationale Afghane). Les deux légionnaires sont respectivement les 77ème et 78ème soldats français morts dans la pampa centre-asiatique depuis le début du conflit en 2001. L’année qui s’achève aura par ailleurs été la plus meurtrière pour nos troupes, avec 26 décès.
Pour autant, le Ministre de la Défense a réaffirmé « les liens de confiance qui existent entre les soldats français et afghans et la volonté de la France de participer au développement de l’ANA ». C’est qu’il veut finir sa guerre, Gérard Longuet. Or nous ne sommes pas censés la perdre – et moins encore la gagner – avant 2014. Dès lors, inutile d’être pacifiste avant l’heure : militons pour l’épée dans le monde.
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