Stéphane Ravacley, un boulanger de Besançon employant un Guinéen en situation irrégulière s’est mis en grève de la faim il y a une semaine. Plus de 200 000 internautes ont depuis signé une pétition pour que l’apprenti ne soit pas expulsé. Selon eux, il faudrait “évidemment” régulariser le jeune migrant car il s’est intégré par le travail.
Interrogée sur le cas de Laye Fodé Traoré lors d’un déplacement dans le Doubs, la ministre du Travail Elisabeth Borne s’est contentée de dire qu’il s’agissait d’un cas particulier sur lequel “la justice administrative devrait se prononcer. » Sans un mot sur les difficultés provoquées par l’immigration clandestine dans le pays, la ministre techno a indiqué devant les journalistes ce qui la préoccupait véritablement : la France manque d’apprentis. “Il est vrai que nous devons former plus de jeunes dans certaines filières” a-t-elle affirmé, sans préciser si le gouvernement envisageait de remplir ces filières en orientant davantage les jeunes vers l’artisanat plutôt que vers les facs saturées… ou en faisant appel à plus d’immigration.
Venu en Europe en bateau gonflable
Laye Fodé Traoré aurait quitté sa Guinée natale en 2016 sur les conseils de sa mère adoptive, pour qu’il ne lui arrive rien de mal. Mineur, il parcourt le Mali puis la Libye, et il aurait ensuite traversé la mer Méditerranée seul sur un bateau gonflable pour gagner l’Italie. Il prend le train, et se retrouve à Nîmes. Dans la préfecture du Gard, une association l’envoie vers une autre structure à Gray, en Haute-Saône. Là, il recherche du travail en tant que plombier, sans succès. Sur les conseils de sa médiatrice, il accepte de travailler pour La Hûche à pain, boulangerie située rue Rivotte à Besançon. Le patron se réjouit de ce recrutement, le Guinéen étant selon lui “un super gamin qui parle français mieux que [lui]” et aussi “suffisamment motivé pour se lever à 3 heures du matin”. Fin d’une belle histoire ? Non.
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Fodé Traoré a perdu le statut de mineur isolé. La préfecture, estimant qu’il est désormais majeur, a l’idée saugrenue d’envisager de l’expulser ! Elle indiquait il y a quelques jours que les documents présentés par le jeune immigré n’étaient pas conformes. Et lui a adressé une obligation de quitter le territoire français, ce qui fait peur mais n’est que très rarement suivi d’effets. Depuis, l’affaire a pris un tournant médiatique. Sorte de Cédric Herrou des fournils, Stéphane Ravacley – 24 ans dans la boulangerie – ne peut plus faire travailler le jeune Guinéen, et est à la pointe de la contestation. Il a entamé une grève de la faim dimanche dernier pour faire parler de l’affaire et contester la décision de l’administration concernant son mitron.
Un boulanger de Besançon en grève de la faim, contre la menace d’expulsion de son apprenti guinéen https://t.co/UbgwqlLMYG pic.twitter.com/5imYl7EeVK
— France Inter (@franceinter) January 5, 2021
Des pleurs sur le plateau de Cyril Hanouna
Il s’est notamment épanché au micro complaisant de France inter, radio qui a fait connaitre la pétition protestataire qui a dépassé les 200 000 signatures en quelques jours : “On ouvre les portes à un gamin et on lui dit : T’en fais pas, on te protège tu risques rien. On lui alloue de l’argent, on le loge. Et deux ans plus tard, on lui dit : non ce beau rêve dans lequel tu étais, il n’existe plus, tu rentres chez toi !” En mettant en avant le caractère émouvant du parcours du jeune immigré dans les journaux, en pleurant sur le plateau de Cyril Hanouna, des questions légitimes ont été écartées, nous allons y venir.
Sous la pétition en ligne, c’est la grande litanie des bons sentiments. Les réactions sont unanimes. Albin s’indigne: “la France a-t-elle vraiment envie d’être indigne des Droits de l’Homme?” Corinne observe que, “pour Laye mais aussi pour tous ceux qui se sont intégrés et ont trouvé et fait leur place parmi nous, ils ne « prennent » rien ils apportent.” Selon Claire, “après tout ce chemin parcouru, l’absurdité d’expulser ce jeune homme est évidente.” Renée s’autorise une remarque plus philosophique : “Nous humains, nous devrions avoir le droit de vivre libre sur le sol que nous avons choisi”.
L’assimilation à la française en panne
Enfin, Catherine fait part de son expérience. Si elle signe elle aussi la pétition, elle n’en reconnait pas moins que certains immigrés posent des difficultés : “Mon compagnon est étranger et nous sommes dans l’attente de son titre de séjour. Il est inadmissible de faire attendre des personnes qui se sont intégrées ou ont fait des formations, qui parlent bien le français et qui bossent. A coté de ça quand je vais à la préfecture je suis dégoûtée de voir le nombre de familles qui ont plein de gosses, qui ont donc plein d’aides diverses et ne parlent pas le français ! Je connais même une personne qui vit en France depuis six ans qui ne sait ni lire ni parler notre langue, qui a fait de fausses déclarations à Pôle emploi (…) il faudrait commencer par faire du tri pour ceux qui ne foutent rien et qui nous coûtent une blinde au lieu de vouloir mettre dehors ceux qui méritent.”
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Avec un soutien aussi important, l’intégration de notre jeune mitron est-elle assurée ? L’avenir le dira. Le dossier du Guinéen aurait été repris en haut lieu par les autorités à Paris, croit savoir la presse locale… L’assimilation par le travail et la bonne maîtrise du français plaident évidemment en faveur de M. Laye Fodé Traoré, mais sa bonne intégration dans la société française ne peut aucunement être garantie par qui que ce soit. Une pétition, un chantage à la grève de la faim et des éditoriaux de gauche tous similaires ne sont pas l’assurance d’une régularisation.
Ces questions que les pétitionnaires écartent
On a dit que le Guinéen était arrivé seul par la mer. En réalité on n’arrive jamais véritablement seul, et cela fait partie du problème alors que le multiculturalisme – et son cortège de revendications communautaires et de fiertés mal placées – est entré depuis de nombreuses années en conflit avec le modèle autour duquel la France s’est construite. En effet, les individus sont porteurs d’habitudes, de codes, de modes de vie ou de pensée venus d’ailleurs, ce qu’explique très bien Bérénice Levet dans son dernier article sur l’assimilation. La philosophe y établit un diagnostic inquiétant de notre situation : “Avec l’universalisme et la laïcité, l’assimilation est une singularité française. De ces trois piliers, tous branlants aujourd’hui, l’assimilation est le plus chancelant.” Si les généreux pétitionnaires – qui signent en trois clics et peuvent montrer leur belle âme sur les réseaux sociaux – ne se les posent pas, des questionnements sous-jacents sont toujours latents dans ce type d’affaire.
Tout d’abord, quel volume de mineurs de bonne volonté en provenance d’un continent malheureux et à la démographie galopante la France est-elle en mesure d’accepter ? Et a-t-elle les moyens d’écarter ceux dont la volonté d’intégration n’est pas réelle, dans un contexte de hausse des flux ?
Ensuite, en acceptant de garder Laye Fodé Traoré sur le sol français, quel signal envoyons-nous à toutes les mères souhaitant mettre leur progéniture à l’abri du danger ? Combien d’entre elles en Afrique sont déjà en train de penser à envoyer leurs fils sur les routes de l’exil ?
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Comme M. Fodé Traoré est entré sur le territoire national en bafouant la loi, passe-t-on l’éponge sur ce point ? L’assimilation par un dur travail est-elle le seul critère qui doit nous préoccuper ? Et qui ira s’assurer du bon niveau de français évoqué par le patron ?
Et si la boulangerie ferme?
Enfin, si la boulangerie de Monsieur Ravacley venait à fermer des suites de la crise économique liée au covid, est-on certain que ce dernier continuerait de soutenir le jeune immigré ? S’il ne le fait pas, sa subsistance devra-t-elle alors reposer sur la solidarité nationale ?
Avec le chômage et l’insécurité, l’immigration apparait comme une des préoccupations majeures de l’opinion. Ceux des Français qui l’évoquent inlassablement étude après étude et qui ont les pires craintes sur cet afflux permanent ne supportent plus le chantage moral continu propre aux affaires du type de la boulangerie de Besançon. Si leur parole est déjà écartée des ondes de France inter, elle est également ignorée par la classe politique depuis des décennies. C’est un problème démocratique considérable. Un gouvernement aura-t-il le courage de dire en face des familles françaises que les métiers boudés – pourtant financièrement attractifs pour qui accepte de travailler beaucoup – ne sont définitivement plus pour elles si elles ne s’en emparent plus ?
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