Dans son premier roman, Ce n’est pas loin du paradis, Laurent Peyrard raconte un autre 1981…
Voici un premier roman qui sort de l’ordinaire. Pas de langue de bois, de non-dits, de bons sentiments étalés pour rassurer le microcosme journalistique qui pratique la prophylaxie. Rien de tout ça, mais la vérité brutale de deux adolescents qui s’aiment et qui ont le malheur de côtoyer une bande « des quartiers dits sensibles ». Car ça ne date pas d’hier, ces histoires de cités interdites aux forces de l’ordre, aux pompiers et aux médecins. Mais on a fermé les yeux, ou on a regardé ailleurs, vers ceux qui vous disaient que tout ça, c’était bidon, que c’était un narratif écrit par des Français bien fachos.
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Panthéonisation vivante et quartiers difficiles
On est en septembre 1981, juste après la panthéonisation vivante de François Mitterrand filmée par Serge Moati, Leni Riefenstahl du pauvre, à Saint-Etienne, ville qui connaît la dégringolade industrielle. Les délocalisations commencent. Les mines ont fermé, le textile agonise, la manufacture d’armes survit à peine et le fleuron français, Manufacture, en dépôt de bilan, tombe entre les mains du rapace Bernard Tapie. La mondialisation tient l’orchestre et l’ouvrier va valser. Il reste l’ASSE avec le passé glorieux des « Verts » mythiques de 1976 en Coupe d’Europe avec pour épilogue « le cauchemar des poteaux carrés en finale à Glasgow contre le réalisme allemand du Bayern », comme le rappelle l’auteur, Laurent Peyrard.
La fin du rêve
Mais là aussi, c’est la fin du rêve avec l’affaire de la caisse noire. Les métastases du fric sont en train de dévorer le foot. C’est surtout les premières émeutes aux Minguettes à l’été 81. D’un côté, on aura les banlieues en voie de ghettoïsation progressivement islamisées ; de l’autre, des enfants nourris au consumérisme horizontal, apeurés dès que le monde change et que les armes parlent. Des enfants au ventre plein et à la tête vide.
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Il y a un rayon de soleil, parfois, un garçon et une fille éprouvent des sentiments, découvrent ensemble leur corps, frémissent aux aubes d’été. Le paradis n’est pas loin, ils se disent. Mais c’est sans compter sur la jalousie, la cruauté, la violence aveugle. On entre dans la tragédie revisitée par Anouilh, sous un ciel où rien ne luit. Elle s’appelle Anne. Son bourreau : Boudjedal. Ce n’est pas encore l’époque où l’on se cache derrière un écran pour balancer sa haine. Eric, son amoureux fou de douleur, n’est pas un lâche. Il va se rendre seul dans la cité de Boudjedal, il est armé, avec des images mortifères devant les yeux, celles d’Anne suppliciée. Le narrateur (ou peut-être l’auteur, on s’interroge sur les éléments autobiographiques du roman) dit : « J’ai passé ma vie à être irrésolu, à ne pas choisir, à hésiter constamment, à ne pas savoir. Et là, j’ai l’impression d’être sur les rails. Pas le moindre doute en moi. »
C’est écrit avec une économie de mots, sans gras. C’est diablement efficace.
Laurent Peyrard, Ce n’est pas loin du paradis, L’Échelle du temps.