Cyril Bennasar : Pour La France Orange mécanique et Utøya, vous avez été invité dans les grands médias – parfois dans de véritables traquenards. Le mois dernier, vous publiez La France Big Brother, et je ne vous ai vu nulle part.
Laurent Obertone : Vous avez bien vu ! On avait beaucoup de grands médias programmés le jour de la sortie, le 15 janvier. On avait Léa Salamé sur France Inter, Anne-Sophie Lapix sur C à vous, donc quelques médias solides qui nous avaient demandé une exclusivité radio, télévision… Et puis il y a eu l’affaire Charlie Hebdo, on nous a reportés d’une semaine, ce qui était compréhensible. Finalement, ça a été annulé. On n’a rien eu du tout pour l’instant, à part une petite attaque de L’Express, Valeurs actuelles et BFM, et sinon, des radios associatives et des médias alternatifs… Bon, on s’y attendait un petit peu parce que le livre s’en prend au cœur de ces grands médias, mais je pensais qu’après le succès du premier, ils seraient obligés d’accepter la confrontation. D’ailleurs, beaucoup de journalistes sont très intéressés. Mais ils nous disent : « Je ne suis pas sûr du tout que le sujet passera… » Le parti des médias a peut-être compris que la meilleure tactique était la loi du silence.
Votre livre est une enquête anthropologique sur le conditionnement des opinions, notamment par les médias. Mais ce que nous nommons « civilisation » ou « humanisation », vous l’appelez « domestication ». Le respect des codes, des règles, de l’autorité, c’est le début de la fin ?
Si on pousse la logique jusqu’au bout, la vie en société soumet l’homme à une forme de dressage. Cette domestication l’expose à des désagréments qui vont aller crescendo. L’être humain actuel peut-il renoncer à son désir de maître et de dépendance pour sauver la civilisation ? Peut-être par l’autodiscipline, la culture.
Pour vous, le conditionnement des foules – sur le mode infantile – est assuré par le divertissement. S’amuser est-il incompatible avec l’autonomie intellectuelle et la capacité de défendre les siens ? Les Américains ont inventé Disneyland, et ils savent encore faire la guerre…
Je ne suis pas pour un monde austère et chiant ! Je pense juste que le divertissement, tel qu’il est conçu, est vraiment fait pour détourner, occuper, parce que, tant qu’on a du bruit dans la tête, on ne pense pas. Après, les scientifiques qui étudient les espèces animales s’amusent aussi. Il y a en nous un désir de divertissement permanent. Dès qu’il y a un silence, il faut le remplir par n’importe quoi… J’ai peur des gens dont la seule obsession est de se divertir. Et d’ailleurs, ceux-là sont très chiants, la plupart du temps.
Vous avez peur de la « domestication », qui désarme nos instincts animaux. Moi j’ai plus peur encore de la « dé-civilisation » ou du « ré-ensauvagement ». Pour vous, ils résultent de l’immigration de masse, qui a changé notre « chez nous » en société multiculturelle. De ceux qui accueillent ce changement avec joie, vous dites : « Ils s’ouvrent l’esprit comme on s’ouvre les veines. » Les méfiants sont bien sûr accusés de racisme. Ne s’agit-il pas plutôt de xénophobie, et celle-ci n’est-elle pas l’un de ces instincts perdus qui constituent nos systèmes de défense, peut-être un mal nécessaire ?
Si tous les animaux partagent ce qu’on appelle la « xénophobie », cela doit servir à quelque chose ! Du reste, ce qui met en péril nos sociétés, ce n’est pas la violence de groupes minoritaires, mais notre incapacité à répondre à cette violence. Dans le passé, il nous est arrivé d’être extrêmement violents. Nous avions le devoir, comme le disait Goethe, de nous maintenir « à la hauteur de nos avantages de barbares », d’assumer le fait d’être les plus forts. Or, aujourd’hui, les sociétés occidentales progressistes, descendues d’un cran dans la domestication, s’oublient dans l’ivresse du mélange, jusqu’à vouloir se mélanger avec des groupes qui, eux, n’aiment pas le mélange et obéissent encore à leurs pulsions xénophobes, dominatrices, tribales. Pendant ce temps, nous espérons qu’un État fantôme va nous protéger…[access capability= »lire_inedits »]
En somme, les populations immigrées auraient atteint un moindre degré de domestication ? Justement, c’est peut-être ce degré de plus qui me fait préférer la culture occidentale.
Admettons, mais il faut dans une société que tout le monde accepte le même niveau de répression des instincts. C’est ce qui définit sa cohésion.
Eh bien, il est clair que nous avons perdu cette cohésion. Comment peut-on s’obstiner à ne pas le voir et pourquoi nous sommes-nous mis dans ce pétrin ?
Le refus de voir ces incompatibilités est frappant. Ce qui nous a mis dans ce pétrin, c’est la course à la morale lancée par des gens qui se croient au-dessus de la violence et des bassesses de l’homme. Ils aiment tellement l’Autre qu’ils veulent le voir partout – sauf à côté de chez eux, parce qu’ils ont les moyens de lui échapper. Ils organisent cette situation et en retirent les bénéfices, matériels et symboliques, mais d’autres, les ploucs, en paient le prix. Bartolone dit : « Si on demandait leur avis aux gens, ils seraient pour la peine de mort et, sur l’immigration, vous imaginez ! » Il admet que le pouvoir est confisqué, et qu’en plus il est bon qu’il le soit, parce que les gens sont des cons… Ces prétendus responsables entendent « éduquer » les Français, leur apprendre à ne pas faire « d’amalgame », leur expliquer que la vie, ce n’est pas ce qu’ils voient. Sur les plateaux de télé, c’est un défilé de docteurs, de spécialistes, de journalistes indéboulonnables, et vous, sur votre canapé, vous n’êtes rien, vous avez donc tendance à admettre l’autorité qu’on vous désigne…, tout le système médiatique est là pour ça ! Le réel est très simple, en fait. Les faits sont très simples, mais on ne présente jamais les faits.
Le problème n’est donc pas l’endoctrinement de masse, que vous voyez partout, mais un déficit démocratique. Les Français savent ce qu’ils veulent, par exemple un arrêt de l’immigration. Et la question n’est même pas posée.
Eh bien, pourquoi l’acceptent-ils ? Depuis des décennies, ils cautionnent cet État qui piétine leurs aspirations fondamentales. L’immigration massive des dernières décennies, c’est le sujet le plus important de l’histoire de la France, tous siècles compris. Elle a été voulue par une classe agissante qui défend ses intérêts. Face à elle, la passivité de la masse, y compris des individus éveillés, qui connaissent la situation, est à désespérer ! Ont-ils oublié qu’ils étaient le peuple souverain ?
On dirait que, pour vous, la greffe ne peut pas prendre. Une société multiraciale devient-elle forcément multiculturelle ? L’intégration est-elle une illusion ?
On a à peu près tout essayé, rien n’a marché, et rien ne marchera, il n’y a aucune société à ce point multiculturelle qui ne se soit pas fractionnée pour finir par s’effondrer sur elle-même, puisque finalement, quand les loyautés sont différentes, le mot « société » ne veut plus rien dire. Il y a « eux », il y a « nous », il y a « ceux-là ». Quand on se définit par sa communauté, la loyauté française a très peu de sens.
Pour quels Français en a-t-elle encore ?
Pas tant que ça, j’en ai peur. Le sentiment patriotique fort qui existait dans notre pays a tendance à s’effondrer puisque les Français parlent de moins en moins d’eux en tant que Français, ils parlent d’eux en tant que « Blancs » – donc se constituent en communauté. La France est devenue un cadre administratif, une carte qui ne correspond plus au territoire d’une nation. On sent pourtant une demande très forte, identitaire – au sens du peuple –, de nation charnelle. C’est ça une nation : une tribu organisée.
On dirait pourtant que le maquillage de la réalité commence à craquer. Certes, après Charlie, il s’est encore trouvé des médias pour entonner la ritournelle habituelle – « C’est l’extrême droite, c’est l’islamophobie, c’est la faute à Zemmour et Finkielkraut… ». Mais ils étaient beaucoup moins nombreux qu’après Merah, et de toute façon les gens sont de moins en moins dupes, non ?
Oui, on a l’impression que l’énorme cuirassé médiatique commence à manquer de munitions… ou qu’elles ne sont plus effectives. Le cerveau subit un tel bombardement d’informations qu’à un moment il se déconnecte et n’enregistre plus rien. C’est aussi ça, la vie avec Big Brother : avec le matraquage, on cesse d’analyser les données essentielles. On l’a vu après les attentats. Quand les principaux responsables de la situation (Cazeneuve, Valls, Hollande) récoltent autant de points de popularité qu’il y a eu de cadavres, on s’interroge. Cazeneuve croyait qu’il n’y avait pas de lien entre la fusillade de Montrouge et les attentats de Charlie Hebdo… Ils sont complètement dans les choux. Et beaucoup de Français se sont dit : « Heureusement qu’ils sont là ! Ils maîtrisent. » Ils réussissent encore à nous embobiner – grâce, il est vrai, à l’incroyable docilité des médias. Mais vous avez raison, on leur fait de moins en moins confiance, et c’est une excellente chose. Va-t-on pour autant assister à la chute rapide et définitive de cette caste et de cette idéologie ? Ce n’est pas sûr. Ce système peut agoniser très, très longtemps. Et il sera peut-être trop tard pour sauver la France.
Passons à un point litigieux, pour ne pas dire plus. Dans votre enquête sur notre monde devenu orwellien, le souvenir de la Shoah s’est fait outil de propagande presque mensonger. Vous prêtez ce propos à Big Brother : « Nous vous avons enseigné la Shoah alors que le massacre d’une population par d’autres est une constante dans l’Histoire… ». Ailleurs, vous accusez ceux qui défendent en même temps le droit au blasphème et la loi Gayssot de pratiquer une « double pensée » orwellienne. La loi Gayssot est peut-être contre-productive, mais elle protège une réalité historique, pas la croyance des juifs.
Moi, je ne pense pas que cette réalité fasse une bonne base commune, une bonne manière de faire corps, de constituer un socle national. Très peu de Français ont quelque chose à voir avec ça.
Très peu de Français ? Voulez-vous dire qu’Auschwitz, c’est l’affaire des juifs ?
Je ne dis pas cela… Je dis que l’utilisation ad nauseam de la Shoah n’aboutit qu’à culpabiliser les Européens. Si vous voulez détruire quelqu’un dans son identité, vous lui expliquez que toutes les raisons qu’il a d’aimer ce pays sont un petit peu suspectes parce que, il y a peu de temps, il se livrait à l’horreur. On s’habitue à l’idée que nous sommes tous coupables et, à l’arrivée, on a une petite alarme qui s’allume dans la tête chaque fois qu’on prononce le mot « immigration ». Le maître censeur veille… Dans les faits, la loi Gayssot finit par fonctionner sur le registre du blasphème.
Il est difficile de dissiper cette confusion, mais, enfin, on peut simplement admettre que, d’une part, la Shoah est un événement unique vertigineux, qui concerne aussi la France, et, d’autre part, que cela n’a rien à voir avec le droit de contrôler notre immigration.
Je ne nie pas que la Shoah soit un événement majeur pour l’Europe, sans précédent par la technologie et l’organisation, je dis que quiconque en fait un usage politique devrait être disqualifié. Or c’est devenu la règle. Et c’est l’arme qui a permis à l’idéologie antiraciste de déplacer la question de l’immigration sur le terrain moral et de terroriser tous ceux qui avançaient des arguments rationnels : ça coûte cher, ce n’est pas très bon pour le pays et la cohésion… Les lois antiracistes escamotent la distinction entre critique de l’immigration et racisme. Et pas seulement au bénéfice des juifs. Il devient impossible de parler de communautés, de religions, de nommer les problèmes. Quand une contributrice de Riposte laïque est poursuivie pour avoir dit : « Je suis islamophobe », le régime de la loi Gayssot peut s’étendre à loisir… Les juges peuvent interpréter… Beaucoup de gens se demandent pourquoi une loi verrouille justement cette histoire-là ! À mon avis, ça entretient des logiques conspirationnistes.
Connaître le passé, ce n’est pas culpabiliser. D’ailleurs, nous sommes les seuls à porter un regard critique (parfois trop) sur notre histoire, et c’est ce qui nous fait évoluer. Les musulmans ne se demandent pas s’ils ont massacré ou réduit en esclavage, ils n’ont pas de complexes.
D’autant que, d’un point de vue moral, on a peu à rougir… On n’a pas brûlé un pays du feu nucléaire, on n’a pas organisé la Shoah… On a plutôt une histoire glorieuse par rapport à d’autres.
Quand vous parlez de DSK ou de Polanski, c’est vous qui passez du côté de Big Brother. Là, la surveillance de tous par tous ne vous dérange pas ?
Les gens veulent savoir tout se qui se passe, même ce qui ne regarde personne. C’est la nature humaine. En attendant, ils ne voient pas que l’idée même de vie privée s’efface à cause de la surveillance, du fichage… Ils se disent que, puisqu’ils n’ont rien à cacher, ce n’est pas grave. Mais si, c’est grave ! Par principe, on doit pouvoir cacher à peu près tout ce qu’on veut du moment que ça ne regarde pas la loi.
Donc, le vrai danger, c’est le flicage ? Xavier Raufer, qui préface votre livre, explique dans Valeurs actuelles que, si la justice avait prononcé des peines lourdes mais prévues par le Code pénal, les Merah, Nemmouche, Kouachi auraient pris quinze ou vingt ans de prison.
Un magistrat m’a récemment expliqué de façon très concrète comment la justice était soumise à la morale orwellienne de l’époque. Dès qu’une personnalité est impliquée, des consignes claires sont données d’en haut, et celui qui ose les enfreindre risque sa place. Dans les affaires de droit commun, c’est la pression de la salle qui fait le jugement. Ce ne sont pas les amis de la victime qui viennent assister au procès, mais ceux du prévenu. Le juge se comporte comme un arbitre qui joue à l’extérieur : il n’a pas envie de se prendre un coup de pied en allant à sa voiture, alors il calme le jeu, il est compréhensif. J’ai longtemps assisté à des procès, je n’ai jamais vu un prévenu prendre la peine prévue par le Code pénal. C’était toujours divisé par deux, au minimum, et encore par deux au stade de l’application de la peine.
Pourtant, dans certains cas, la justice peut se montrer impitoyable : pour le racisme, par exemple. Une élue du FN se prend neuf mois fermes pour une caricature peut-être odieuse mais inoffensive, mais des Merah ou des Kouachi, qui ont des casiers, sont lâchés dans la nature… Et ne parlons pas de ce qu’on appelle « l’insertion » des jeunes délinquants : ils sont dans des centres aérés où ils fument du shit, ils ont des sorties organisées et, s’ils font le mur, on attend trois jours, pendant qu’ils crament des voitures, pour le signaler… On se soumet complètement à leur logique de groupe. C’est l’inverse de ce qu’il faudrait faire. C’est pire qu’un renoncement.
Au fil des pages, vous posez et reposez une question à vos compatriotes : « Comment pouvez-vous supporter ça ? » Qu’attendez-vous de nous ?
Peut-être une réaction morale, de fierté : j’analyse la situation, je retrouve la maîtrise de mon cerveau, je comprends ce qui se passe. Il est temps de reprendre notre indépendance intellectuelle. Si j’ai un message, c’est celui-là.[/access]
*Photo : Hannah Assouline
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