C’est certain : s’il fallait chercher dans le personnel politique français un premier prix d’élégance, de raffinement et de distinction, le nom de Georges Frêche ne serait pas le premier à venir instinctivement à l’esprit. Le président de Languedoc-Roussillon ne fait pas de politique le petit doigt en l’air. Il est du genre à sortir ses couilles, sa bite et son couteau, pour vous les poser sur la table. Il manie l’outrance et la vulgarité comme pas un. Quant à sa conception très personnelle du pouvoir, ses opposants lui en font grief. Ses amis aussi.
Hier, il semble que l’homme fort de Septimachinchose ait vraiment dépassé les bornes. On le connaissait anti-harkis, anti-noirs et pro-cons : voilà qu’on le retrouve antisémite. Trop, c’est trop ! Les associations de lutte contre le racisme y vont de leur communiqué d’indignation. Et le Parti socialiste n’est pas en reste : Martine Aubry annonce qu’elle opposera aux prochaines régionales une liste adverse à celle de Georges Frêche. On ne plaisante pas avec l’antisémitisme. Et l’on a bien raison.
Seulement, est-il permis de relire un instant les propos incriminés de Georges Frêche avant d’exécuter sommairement le condamné ? Le 20 décembre dernier, Laurent Fabius avait déclaré, à l’émission « C Politique », sur France 5, qu’il ne serait pas sûr de voter Frêche s’il était languedocien. Deux jours plus tard, lors d’un Conseil de la Communauté d’agglomération de Montpellier, Frêche renvoie la politesse : « Si j’étais en Haute-Normandie, je ne sais pas si voterais Fabius. Je m’interrogerais. Ce mec me pose problème. Il a une tronche pas catholique. Mais ça fait rien, peut-être que je voterais pour lui, mais j’y réfléchirais à deux fois. »
J’ai beau relire vingt fois cette déclaration. Si son style est plus proche de San Antonio que de Chateaubriand, je n’y vois en revanche pas la moindre allusion antisémite. Pour éclairer notre pauvre petite lanterne, l’AFP nous fait une révélation : Fabius est « d’une famille d’origine juive ». Fallait savoir. Ce n’était pas marqué dessus. Moi je m’en souvenais comme d’un Premier ministre assez médiocre, d’une girouette idéologique de première et d’un gus qui, une fois dans sa vie, avait connu le grand frisson en descendant en pantoufles acheter des croissants.
D’ailleurs, grand bien lui fasse, à Laurent Fabius, d’être « d’une famille d’origine juive ». Sa confession ne change rien à l’affaire. Il pourrait porter trois kippas sous son schtreimel et ne jamais sortir sans ses téphilines, on pourrait continuer à dire de lui qu’il n’a pas l’air catholique, sans toutefois être accusé d’antisémitisme. On le verrait porter soutane et tenir haut l’ostensoire à une procession de la Fête-Dieu que cela ne lui rendrait pas l’air catholique pour autant. Il se ferait moine, curé, évêque, pape ou bonne sœur que rien n’y ferait : quand t’as pas l’air catholique, t’as pas l’air catholique.
La raison en est assez simple : l’expression « ne pas être catholique » est dépourvue de toute connotation religieuse en langue française. Elle existe depuis plusieurs siècles et son usage est déjà attesté chez Philippe de Mézières à la fin du XIVe siècle[1. Dans Le Songe du vieux pèlerin (1389), Mézières écrit : « Et pource, Beau Filz, laisse aler les proverbes qui ne sont pas catholiques et fais vaillamment et par grace, comme dit est dessus. »]. Le dictionnaire de l’Académie française précise : « ne pas être catholique » est d’un usage figuré et familier. C’est un synonyme de « pas très honnête » et de « douteux ». L’expression ne met pas en jeu une appartenance religieuse, mais des qualités morales. La langue française est ainsi faite qu’on trouve autant de catholiques pas catholiques que d’orthodoxes pas orthodoxes. Et je laisse tranquilles certains juifs dont les méthodes ne sont pas franchement casher…
Le plus cocasse est que l’on a vu l’intégralité de la gauche morale, celle qui refuse le débat sur l’identité nationale au motif que l’identité ça pue, réduire l’expression « ne pas être catholique » à une dimension identitaire qu’elle n’a jamais eue au cours des sept derniers siècles. Il faudra certainement des années de recherche à toute l’école linguistique française pour percer ce mystérieux processus qui conduit à décharger subitement un lieu commun de son sens figuré pour le prendre au propre.
Georges Frêche est ce qu’il est. On peut lui reprocher beaucoup de choses. Et bien plus encore. Mais, sur ce coup-là, il est scandaleux de l’accuser d’antisémitisme, quand il parle simplement français et utilise l’un des plus anciens lieux communs de notre langue.
C’est là le hic : il n’est pas dit que l’on puisse espérer beaucoup d’un pays où la presse et les politiciens n’entendent même plus les lieux communs, les topoï de la rhétorique classique, qui sont le propre de toute langue. Et ça, ça n’est franchement pas très catholique.
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