Le 6 mars, sur France Inter, le syndicaliste Laurent Berger affirmait de nouveau ne pas vouloir faire de politique à son départ de la CFDT.
Même s’il s’en rapproche, le titre de cet article n’a rien à voir avec le beau poème de Verlaine « L’Heure du berger », ou avec ce moment où le crépuscule tombe et où les amoureux se retrouvent. Rien qui relève, dans ce jeu de mots facile, de la moindre poésie puisque je vais m’attacher à Laurent Berger, Secrétaire général de la CFDT dont le mandat va se terminer dans le calme, sur le plan interne et pour sa succession. Je ne voudrais pas laisser croire, à partir de mon appréciation personnelle, à une généralisation abusive puisque je suis persuadé que certains de mes lecteurs ne partageront pas ma vision de ce responsable syndical dont le proche départ a sans doute joué dans le regard favorable qu’on porte sur lui en ces semaines troublées.
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Pour ma part, je n’ai jamais eu la fibre syndicale au point d’applaudir les mille incommodités que par une sorte de sadisme militant, les syndicats désireux de paraître arracher ce que les pouvoirs leur auraient volontiers concédé, imposent à la population. Demeure que le syndicalisme, dans son principe qui est d’améliorer le sort des modestes confrontés aux fins de mois difficiles et aux rapports de force souvent en leur défaveur, m’est toujours apparu, malgré ses excès, comme un bouclier bienfaisant et une arme efficace. J’ai évoqué, derrière le conflit sur les retraites, la conflictualité psychologique et personnelle qui existait depuis longtemps entre le tempérament du président Macron et celui de Laurent Berger. Le premier dédaignant les corps intermédiaires et les instances de négociation, le second, au contraire, se battant pour la sauvegarde de leur rôle et de leur utilité sociale et démocratique. Mésentente d’autant plus absurde du côté d’Emmanuel Macron que la CFDT, avec son pragmatisme intelligent et sa volonté maîtrisée de changement, aurait dû être à l’évidence un partenaire privilégié. C’est l’une des faiblesses de notre président de préférer perdre seul plutôt que de gagner ensemble.
Même si je n’ai jamais été dupe de l’apparence volontairement roide que se donnait Philippe Martinez (qui risque, lui, d’être désavoué pour sa succession), Laurent Berger tranche dans le monde syndical par une philosophie et une pratique de la modération, au moins dans la forme. J’imagine ce qu’il pourrait y avoir de reposant pour un gouvernement d’être confronté à une personnalité et à une équipe n’ayant pas la lutte des classes à la bouche, le marxisme en bandoulière et une haine ostentatoire du patronat. Cet accord, entre d’une part, la vision de la société qu’a Laurent Berger, de l’action à mener pour tous ceux faisant confiance à la CFDT et de son refus sans équivoque de toute politisation vulgaire et, d’autre part, son style de direction, d’inspiration et de propositions, constitue l’une de ses forces. Par ailleurs, sa manière sereine, grâce à son ton et à sa maîtrise du langage, de ne jamais faire douter pourtant de sa fermeté, représente probablement le ressort principal de l’adhésion de l’opinion publique à sa cause.
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Adhésion qui dépasse largement la médiocre représentativité quantitative du syndicalisme en France. Il y a des responsables sur lesquels, quoi qu’on en ait, les pouvoirs officiels devraient faire fond, composer avec eux, les écouter, ne pas les mépriser, accepter qu’un compromis soit destiné à donner à chaque partie l’impression qu’elle a gagné. Laurent Berger ne fait pas peur à la multitude des citoyens qui n’appartiennent pas, selon le vocabulaire classique, au « monde du travail », comme si la société n’était composée que de fainéants ou d’exploiteurs. Ce secrétaire général de la CFDT a eu d’autant plus de mérite qu’il a su surmonter un double écueil: celui du narcissisme et celui du déclin.
Pour le premier, clairement figure centrale et respectée de l’opposition syndicale à la loi sur les retraites, il aurait pu tomber dans un culte de soi, nourri aussi bien par les autres que par lui-même : il y a échappé.
Pour le second, même avec des prédécesseurs remarquables sur le plan de la réflexion politique et syndicale – je songe notamment à Edmond Maire et à ce qu’on appelait la pensée et l’influence de la deuxième gauche -, Laurent Berger n’a pas démérité et, dans un autre registre, il a su porter haut l’aura de la CFDT.
Sincèrement, avec une forte empathie, je souhaite bon vent à Laurent Berger pour la suite de son existence.