Laurent Baumel est maire de Ballan-Miré et député socialiste d’Indre-et-Loire. Il a créé le collectif parlementaire de la Gauche populaire.
Propos recueillis par Gil Mihaely et Daoud Boughezala
Causeur. La loi Taubira a provoqué une forte mobilisation de ses opposants, rassemblés sous l’étiquette de la Manif pour tous. S’agit-il d’un simple phénomène de saison ou du premier acte d’une nouvelle bataille politique ?
Laurent Baumel. J’ai l’intuition que c’est un phénomène éphémère, une mobilisation de réseaux préexistants autour de l’Église catholique et des associations familiales.
Dans ce cas, comment expliquez-vous l’ampleur de la mobilisation ?
La Manif pour tous a tout simplement fait le plein de ces milieux grâce à la médiatisation et au succès relatif des premières manifestations. Dans un deuxième temps, la droite politique, en proie à des problèmes internes, a pris le train en marche. Au début du débat, une dizaine de députés UMP tenaient le crachoir, mais le gros des troupes montrait un faible intérêt, voire un certain malaise. J’ai remarqué le faible intérêt des députés UMP au début du débat. Cette relative indifférence s’est transformée en engagement de chaque instant quand ils ont compris qu’il en allait quasiment de leur survie politique ! Entre-temps, j’imagine qu’ils avaient reçu de nombreux retours de leur circonscription. Dès lors, chaque député devait absolument pouvoir dire à ses électeurs : « Moi aussi, j’ai lutté contre la loi » ! Le mouvement anti-« mariage pour tous » est donc devenu un enjeu dans la bataille de leadership à droite et une occasion de renouer avec une partie de la base. C’est cet ensemble qui a fait prendre la mayonnaise.
Il y a un an, vous plaidiez pour le vote rapide d’une loi a minima − le mariage sans l’adoption. Pressentiez-vous déjà que ce débat allait profondément diviser la société française ?
Ce n’est pas exact. Pour moi le mariage et le droit à l’adoption ne sont pas séparables. Quant à votre question, parler de division profonde est un peu exagéré. À un moment donné, l’idée d’un « mariage pour tous », comme accomplissement logique de la démarche commencée avec le PACS, a bénéficié d’un large consensus dans l’opinion publique. Tout le monde avait compris qu’il s’agissait d’une revendication d’égalité, d’une forme de reconnaissance symbolique de l’homosexualité qui n’introduisait aucun élément radicalement nouveau dans la pratique. Mais le groupe socialiste de l’Assemblée a, pendant un temps, fait le forcing pour introduire dans le texte l’ouverture de la PMA aux couples de femmes – dont François Hollande ne voulait pas plus que de la GPA. Ce fut une erreur : en touchant à la famille et à la filiation, on a coalisé un front du refus.[access capability= »lire_inedits »]
Dans ce cas, l’adoption aussi était une erreur, non ?
Non car l’adoption existe dans notre civilisation depuis fort longtemps et elle concerne des enfants qui sont déjà nés, ce qui n’est pas le cas ni de la PMA, ni de la GPA, procédés qui soulèvent des problèmes bioéthiques de tout autre nature.
On a l’impression que deux France se regardent en chiens de faïence sans se comprendre, et même sans s’entendre. En tant qu’homme politique de gauche, n’avez-pas vous pas observé, dans le camp d’en face, l’émergence d’une nouvelle génération de catholiques ?
Je n’en suis pas certain. Ce que j’ai cru voir, un dimanche après-midi, en observant une manifestation contre le « mariage pour tous » à Paris, c’est plutôt la France catho classique : pas forcément des intégristes, mais des gens qui se reconnaissent dans une certaine communauté, les familles, gosses en avant, une grosse sortie de messe ! Un peuple de droite qui voulait montrer qu’il pouvait, lui aussi, manifester, même si cela arrive une fois tous les trente ans…
Une espèce rare – et peut-être menacée – échappe à votre logiciel : les fameux « cathos de gauche » !
Je n’ai pas en tête d’études statistiques à ce sujet, mais pour ma part, je rencontre peu de « cathos de gauche » dans les nouvelles générations.
Dans votre ville de Ballan-Miré, avez-vous vu des cars partir à la Manif ?
Dans ma ville, non, mais à Tours, qui est à 10 km de Ballan-Miré, à ma grande surprise, j’ai constaté une certaine effervescence. J’ai été encore plus étonné d’observer la mobilisation, quoique tardive, d’un certain nombre de musulmans qui se sont joints à la droite catholique. Sur le marché de Joué-lès-Tours, dans ma circonscription, j’ai été interpellé très sympathiquement par un jeune musulman qui m’a annoncé qu’il allait se rendre le soir même à la manifestation par opposition au mariage homosexuel. Le soir même, en passant à Tours devant la place de l’Hôtel de ville, j’ai également vu quelques femmes voilées qui s’apprêtaient à aller défiler contre la loi Taubira. D’autres parlementaires m’ont parlé de ce même phénomène en banlieue parisienne.
Cette convergence cathos-musulmans semble invalider l’hypothèse de la Fondation Terra Nova d’une coalition progressiste rassemblant les enfants d’immigrés et les bobos des grandes villes…
Je ne sais pas si le petit échantillon que j’ai pu voir est représentatif d’un phénomène global mais en effet, la question du mariage homosexuel a peut-être fragilisé momentanément cette alliance qui est un piège pour la gauche : d’un point de vue stratégique, je récuse l’idée qu’une coalition bobos-banlieue puisse constituer le socle électoral du PS. Ceci étant, si la jonction entre la bourgeoisie intellectuelle des centres-villes et de la première couronne, ceux qu’on appelle les « bobos », et des gens issus de l’immigration, existe partiellement dans les faits, elle s’est peut-être, effectivement, quelque peu distendue sur la question du mariage homosexuel. Mais je le répète, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un phénomène déterminant à long terme.
Ne craignez-vous pas qu’une éventuelle coalition des croyants cherche à remettre en cause la laïcité ?
Je n’irai pas jusque-là. La laïcité souffre depuis plusieurs années, indépendamment de cette affaire. Au fond, ce problème est lié à celui du communautarisme, c’est-à-dire à la place des communautés dans la République. Et contrairement à ce que vous croyez, ce n’est pas cette question qui a été réactivée par les Manifs pour tous.
Pensez-vous, comme le démographe Hervé Le Bras, qu’Hollande a perdu beaucoup de points dans la bataille, y compris chez certains de ses électeurs issus d’une France de l’Ouest, plutôt catholique, qui seraient en rupture avec le gouvernement sur les valeurs ?
Non. Je crois que Mai-68 a profondément irrigué la société française. Aujourd’hui, même dans les familles un peu traditionnelles, les gens acceptent l’évolution des mœurs. Dans les milieux que je connais et qui m’intéressent plus particulièrement − les populations périurbaines, les ouvriers et les employés − la question ne passionnait pas les foules. Pour cette majorité silencieuse, le débat a trop duré et son importance a été exagérée.
Mais vous admettez – et tentez d’en convaincre votre camp – que ces gens s’intéressent à la sécurité et à l’immigration. Pourquoi ne se sentiraient-ils pas concernés par des questions liées à la famille et la sexualité ?
Les questions dites « sociétales » servent surtout à s’imposer au sein de sa propre famille politique et idéologique au sein d’un champ politique et idéologique. Pour autant, je ne pense pas que le « mariage pour tous », l’homoparentalité, voire la contraception ou l’avortement demeureront durablement des thèmes du débat public, et encore moins qu’ils détermineront les choix électoraux. La remontée de Nicolas Sarkozy entre les deux tours de l’élection présidentielle a montré que le seul sujet sur lequel la droite et l’extrême droite pouvaient faire la jonction et devenir dangereuses électoralement, c’est l’immigration. Voilà le vrai sujet qui mord ! Surtout en temps de crise.[/access]
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