Accueil Politique Laurence Trochu: «Dans sa logique de dédiabolisation, le RN a renoncé à mener les combats civilisationnels»

Laurence Trochu: «Dans sa logique de dédiabolisation, le RN a renoncé à mener les combats civilisationnels»

Entretien avec la présidente du Mouvement Conservateur, 5e sur la liste de Marion Maréchal pour les élections européennes


Laurence Trochu: «Dans sa logique de dédiabolisation, le RN a renoncé à mener les combats civilisationnels»
Laurence Trochu en meeting à Saint-Nom-la-Bretèche (78), 25 mai 2024. DR.

La présidente du Mouvement Conservateur ira à Strasbourg si Marion Maréchal dépasse les 5%.


Causeur. Pour commencer, une question très « politicienne » ! Quelles relations entretenez-vous avec Marion Maréchal, votre tête de liste ? Ne regrettez-vous pas de vous être éloignée de LR (et de peut-être voir l’influence politique de votre mouvement être amoindrie, si, comme l’indiquent des sondages, François-Xavier Bellamy était mieux classé que Marion Maréchal le 9 juin prochain) ?

Laurence Trochu. J’ai souvent dit que le soutien apporté par les Conservateurs à Marion Maréchal relevait de l’évidence. Nous partageons en effet la même vision et les mêmes priorités pour la France et l’Europe : cette élection du 9 juin est cruciale et vitale pour notre civilisation européenne menacée d’effacement et même de disparition. C’est un combat pour la survie de notre civilisation qui fait face aux dangers existentiels de l’immigration, de l’islamisation de nos sociétés et de la propagande woke et LGBT. C’est aussi un enjeu pour notre pays, au bord du déclassement économique, inévitable conséquence d’une Europe qui taxe et norme à outrance, bien souvent au nom d’objectifs écologiques démesurés.

Avec Marion Maréchal, nous avons enfin une occasion crédible de changer les rapports de force au Parlement européen et de renverser l’objectif fédéraliste et centralisateur d’Ursula von der Leyen. Nous sommes lucides et courageux mais nous devons aussi être efficaces. C’est au sein du groupe des Conservateurs et Réformistes que nous siègerons à Strasbourg, groupe pivot et central de la droite européenne qui réunit les droites de 18 pays dont l’Italie, l’Espagne, la Pologne.

Je ne remets pas en cause le travail de François-Xavier Bellamy mais sa stratégie qui est, particulièrement depuis 2020, complètement dépassée et donc inefficace. Lors de la préparation des Municipales, puis des Départementales et Régionales, alors membre du Bureau politique et de la Commission Nationale d’Investiture des Républicains, j’ai vu comment ils ont vendu à la découpe les mairies, cantons et régions à Macron, avec le silence complice ou même les encouragements des cadres dirigeants. J’ai compris que le Mouvement Conservateur ne devait pas servir de caution à un parti qui ne permettait plus de défendre nos convictions.

Les Républicains n’ont plus ni chef ni ligne directrice; ce parti est une auberge espagnole, on y trouve tout et son contraire : une tête de liste opposée à la GPA et sa numéro 4, Nadine Morano, qui y est favorable; une tête de liste opposée à la régularisation des travailleurs étrangers et sa numéro 2, Céline Imart, qui y est favorable; une tête de liste qui veut lutter contre l’islamisation et Anne Sander, députée sortante reconduite sur sa liste, qui soutient le FEMYSO, proche des Frères Musulmans.

Par ailleurs, François-Xavier Bellamy siègera à nouveau avec le groupe PPE dirigé par Ursula von der Leyen. Il fera bande à part sur certains votes mais cela n’aura aucun impact. Isolé au sein de son propre parti, il l’est aussi au sein de son groupe. C’est un immense gâchis, car cette erreur de stratégie le réduit à une candidature de témoignage, là où l’urgence de la situation réclame de faire des choix efficaces.

Votre « contribution programmatique » insiste sur les racines chrétiennes de l’Europe, et propose leur inclusion dans les Traités européens. Vieille arlésienne… Mais comment envisagez-vous cette démarche dans notre contexte de plus en plus laïque et surtout « multiculturel » ?

Jacques Chirac a refusé avec force en 2004 la référence aux racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de la Constitution européenne. Il porte une énorme responsabilité dans l’effacement de notre civilisation et dans son remplacement par un projet d’islamisation de nos sociétés européennes, mené par des associations largement financées par les fonds européens.

Ce serait une erreur de réduire la mention des racines chrétiennes de l’Europe à une valeur seulement symbolique. Le traité de Maastricht, repris sur ce sujet par celui d’Amsterdam et celui de Lisbonne, a défini les objectifs de la politique culturelle de l’Union européenne et insiste sur la mise en valeur de l’héritage culturel commun des pays de l’UE. La définition de cet héritage culturel commun en référence à nos racines chrétiennes aurait permis de l’affirmer et de le faire rayonner.

Ne soyons pas dupes! Si l’islamisation de la société s’accélère, c’est aussi parce que la destruction de nos repères s’est accélérée. L’islam, avec ses mœurs et ses lois, vient occuper l’espace de notre décivilisation. Un arbre coupé de ses racines finit toujours par mourir et l’islamisation prospère sur nos propres renoncements.

Un exemple parmi tant d’autres : en 2011, la Commission européenne a édité, comme chaque année, un agenda à destination des étudiants et lycéens de l’UE. À côté de nombreuses informations sur le tabagisme, le racisme, l’écologie et les droits sexuels, cette édition comportait les fêtes de toutes les religions, ainsi que les fêtes païennes du type Halloween, mais omettait de mentionner les fêtes chrétiennes !

Dans ce contexte, l’inscription dans les traités, et déjà dans les directives et règlements, des racines chrétiennes de l’Europe est une nécessité pour affirmer ce que nous sommes. Aimer, protéger et transmettre nos racines chrétiennes, c’est admettre que l’homme doit savoir s’incliner devant la part de sacré qui le dépasse, qu’il ne peut balayer d’un revers de la main, ce que 2000 ans de civilisation nous ont enseigné avec constance. C’est admettre que devant les enjeux moraux qui se posent à nous, du harcèlement que subissent nos enfants exposés aux “drag queens” dans les écoles, aux choix à faire en matière d’usage de l’intelligence artificielle, en passant par le contrôle de la vie humaine, les solutions ne consistent pas essentiellement à trouver des critères matériels, mais à retrouver “la conscience sans laquelle la science n’est que ruine de l’âme”.

Le programme du Mouvement Conservateur critique sévèrement l’influence des idéologies LGBT ou woke au sein des institutions européennes. Sur quoi souhaitez-vous alerter les électeurs exactement ? De quoi parlez-vous, concrètement ?

En principe, la culture relève principalement des États membres, l’UE n’intervenant théoriquement qu’à titre subsidiaire. C’est donc une compétence d’appoint de l’Union européenne. En pratique, l’ingérence de l’UE dans les affaires culturelles est manifeste à deux niveaux. Sur le plan des moyens de la politique culturelle, elle a progressivement mis en place un budget qui va en s’accroissant. Sur le plan de la culture prise au sens de civilisation, elle multiplie résolutions, pétitions de principes et politiques de soutien en faveur de la diversité culturelle et de l’inclusion.

Nous sommes en saturation de ce que la Commission européenne nous impose : la diversité et l’inclusion sont devenues les mots magiques de sa politique culturelle, avec lesquels elle sale abondamment tous ses plats au point de les rendre indigestes. Au menu, c’est la promotion de la diversité culturelle, c’est-à-dire des modes de vie étrangers à la civilisation européenne, comme l’illustrent les millions d’aides versés à la Turquie, à la Tunisie ou encore à la Macédoine du Nord au travers de programmes soi-disant culturels. Au menu encore, les délires wokes et LGBT qui endoctrinent nos enfants avec la théorie du genre et la déconstruction des identités sexuelles. Sous l’impulsion d’Ursula von der Leyen, la Commission européenne décline une stratégie farouche en faveur de l’idéologie LGBT. Nous refusons l’emprise de cette propagande qui prétend qu’un garçon peut choisir d’être une fille, qu’un homme peut être “enceint” ou qu’il existe des femmes à pénis !

Notre responsabilité est de hâter ce temps où le réalisme et le sens commun triompheront. Avec le groupe ECR, nous aurons la puissance de feu pour contrer cette propagande. Je vous invite d’ailleurs à lire la Charte des valeurs signée à Subiacco en la fête de Saint Benoît, patron de l’Europe, et que nous avons jointe à la contribution programmatique du Mouvement Conservateur remise à Marion Maréchal.

Face aux mutations technologiques, vous proposez un encadrement éthique strict de l’intelligence artificielle et des données personnelles, notamment de santé. Comment comptez-vous équilibrer l’innovation technologique et la protection des valeurs humaines et éthiques en Europe ?

J’ai passé une journée au salon VivaTech, pépinière d’innovations qui vont façonner le monde de demain, en permettant à la France de rester dans la course, ou au contraire en sortant de l’Histoire. Nous attendons beaucoup de nos innovateurs – chercheurs, ingénieurs, développeurs – et de nos entreprises, car la déferlante des nouvelles technologies a du bon : c’est là que se trouvent les ressorts de la croissance économique et de l’aventure scientifique de demain. Elle vient aussi avec son lot de dangers, car la technologie n’améliore pas l’homme à elle seule : elle en magnifie la puissance mais en aggrave souvent les excès. Nous savons bien que certains des leaders mondiaux qui se sont exprimés dans ce salon poursuivent des projets transhumanistes avec lesquels nous sommes en désaccord radical.

Face à ces constats, les nations européennes doivent rester dans la course et éviter de laisser les technologies leur échapper : il est temps d’assurer l’excellence de l’Europe. Mais il convient aussi de mettre l’être humain, avec sa dignité et sa vulnérabilité, au centre de la réflexion. Les technologies sont trop souvent abordées sous l’angle unique de la performance et du consumérisme, ne prenant pas en compte l’Homme dans ses dimensions corps, âme et esprit. La perturbation apportée, par exemple, par les réseaux sociaux ou les modèles de langage génératif sur les personnes qui y recherchent des relations interpersonnelles plutôt que des interactions virtuelles, est désormais connue. Il s’agit donc d’accompagner cette révolution technologique pour que l’Europe demeure à la pointe de ces avancées et continue à bâtir sa propre souveraineté numérique, tout en proposant un modèle responsable, soucieux de l’Homme et de la cohésion de notre société. Une mesure me paraît fondamentale : conserver un principe de responsabilité qui permette d’attribuer à une personne physique ou morale les conséquences du comportement d’un système autonome de type IA. Pour sécuriser efficacement les données de santé des citoyens ou pour statuer sur les implants intracérébraux, il est évident qu’il faut adapter le droit et répondre ainsi aux nouveaux besoins de protection de la personne.

Nos députés nationaux travaillent depuis lundi sur l’euthanasie. Après le mariage pour tous ou la PMA pour toutes, les Conservateurs ne sont-ils en passe de perdre une nouvelle bataille anthropologique majeure ?

Vous avez raison de rappeler la réalité ! Depuis 10 ans, le raz-de-marée progressiste s’est intensifié et détruit tous les fondements naturels et même biologiques de la société. C’est exactement pour cela que nous ne devons pas nous tromper dans les moyens de construire des digues. J’ai insisté sur l’impuissance de François-Xavier Bellamy à enrayer cette destruction en raison de son isolement et de son rattachement à Ursula von der Leyen qui est l’un des fossoyeurs de notre civilisation.

Jordan Bardella n’y pourra rien non plus, parce qu’il n’en a pas la volonté. Dans sa logique de dédiabolisation, le Rassemblement National a renoncé à mener ces combats civilisationnels. La moitié des députés a voté l’inscription dans la Constitution du droit à l’avortement. Il y a quelques jours, Jean-Philippe Tanguy a annoncé que le RN ne prendrait pas les moyens de lutter contre la GPA, puisque Marine Le Pen ne tiendra pas sa promesse de campagne de “ne pas reconnaître la filiation des enfants nés de GPA à l’étranger”. Et sur l’euthanasie, les députés RN, comme ceux de LR, se divisent.

C’est donc uniquement aux côtés de Marion Maréchal et du groupe ECR que la résistance se mène de manière claire, cohérente et donc efficace. Tous ceux qui n’ont “rien lâché” et pour lesquels la protection de la vie et de la santé humaines sont des priorités non négociables ne sont représentés que par la liste portée par Marion Maréchal.



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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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