Son auteur y affirme que Marcel Proust l’a libéré de son passé ! Proust, roman familial, de Laure Murat (Robert Laffont, 2023) est encensé assez unanimement par la critique littéraire. Un livre pour avertir et divertir invertis, introvertis comme extravertis. Un essai qui refuse de faire du genre, pour tous.
Proust, roman familial, inclassable essai mâtiné de récit écrit par Laure Murat, fait partie de la deuxième sélection pour le Prix Goncourt 2023. L’auteur y expose comment la lecture de La Recherche, aventure dont on ne sort que transformé tant le rapport qu’on entretenait à la vie en a été changé, lui a permis de s’émanciper de son milieu originel. La princesse Murat, issue de la noblesse d’Ancien Régime par sa mère et de la noblesse d’Empire par son père a en effet vu le jour dans le monde décrit par Marcel Proust.
Pourtant, elle n’y a pas trouvé sa place, accablée par le sentiment d’évoluer dans un théâtre peuplé d’ombres en perpétuelle représentation, célébrant à vide et dans une langue corsetée, des rites, des manières et des codes devenus obsolètes. Alors, les mots de Proust l’ont heureusement secourue pour la dérober à un univers factice, épuré et uniforme lui permettant l’accès à une réalité, pleine, vivante, aussi rugueuse et belle qu’imparfaite. Elle a pu y affirmer enfin son homosexualité, jusque-là celée, et conquérir une légitimité universitaire.
Plus romanesque qu’un roman, selon Jérôme Garcin
La critique est dans l’ensemble enthousiaste pour ce récit et l’équipe du Masque et la plume ne tarit pas d’éloges, en soulignant l’originalité comme la richesse. Jérôme Garcin évoque « un livre absolument incroyable, un récit peut-être plus romanesque encore qu’un roman. » Il ajoute: « L’écrivain raconte avec autant de verve que d’érudition comment la lecture de La recherche du temps perdu l’a sauvé d’un milieu où, évidemment, l’homosexualité était taboue et l’hétérosexualité la norme. » Pour Élisabeth Philippe, journaliste de L’Obs, l’ouvrage est « d’une intelligence éblouissante, remarquable. ». Elle précise à propos de son auteur, la princesse Murat, non sans marquer une connivence avec l’univers proustien : « Cette princesse a été délivrée non par un prince charmant, qui n’aurait pas été son genre de toute façon, mais par Proust. Et plus précisément par La Recherche du temps perdu, un livre dans lequel elle a trouvé des échos absolument vertigineux de sa propre vie. »Élisabeth Philippe affirme également avoir été sensible aux pages sur le château de Luynes où, enfant, Laure Murat passa des étés. Olivia de Lamberterie, de l’hebdomadaire Elle, conforte l’appréciation générale sur ce récit: « À la fois très intelligent et d’une grande délicatesse. » Elle ajoute : « Il traite d’une question qui nous occupe ici : « À quoi sert la littérature ? » « Quel est le pouvoir de la littérature sur la vie ? » Arnaud Viviant, de Transfuge, s’exclame : « Ce n’est quand même pas banal de pouvoir lire La Recherche du temps perdu comme un album de famille ! » Patricia Martin, critique à France inter, joint enfin sa voix au chœur : « On ne l’a pas encore dit, mais c’est extrêmement bien écrit. C’est plus qu’un témoignage. » Elle loue également la justesse du regard porté par Laure Murat sur l’aristocratie et souligne que l’écrivain, dénonçant la superficialité étriquée et mesquine qu’il estime être l’apanage du milieu aristocrate, ne se laisse pas emporter par la rancœur et fait même preuve d’une certaine tendresse pour son père.
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Que penser du dithyrambe auquel se livre la critique ? Saluons d’abord le travail de Laure Murat qui donne, avec toute la rigueur qu’on met dans une démonstration, un récit de vie peu banal. L’exposé de son expérience, nourri par une grande connaissance de La Recherche et un travail précis sur l’aristocratie de la Belle Époque, s’ouvre astucieusement sur la référence à une scène de la série Downtown Abbey. On y voit, avant une réception, un maître d’hôtel qui s’assure au moyen d’un mètre que l’écart entre les couverts est le même pour chaque convive. Ce geste, qui entre en résonance avec l’univers proustien et rappelle à Laure Murat son milieu originel, lance un essai révélant des pages superbes, écrites dans un français solide, classique et riche. Suivant les étapes marquantes d’une reconquête de soi par le truchement de Proust, le lecteur suit l’auteur de La Recherche au bordel, goûte le français académique d’une très belle description du château de Luynes ou bien pénètre le monde suranné, compassé et froid dans lequel évoluait la princesse Murat avant sa dissidence. Ce récit, romanesque à bien des égards et servi par une plume talentueuse aurait donc de quoi enthousiasmer.
Remarquablement maîtrisé sur la forme mais…
Pourtant, si on convient des qualités indéniables d’un ouvrage, en quelque sorte « consubstantiel à son auteur », on n’en déplore pas moins les moments où celui-ci tourne à la propagande forcenée pour la cause LGBT. L’essai, remarquable par l’érudition qu’il vulgarise et la plaisante maîtrise du français qu’il remet au goût du jour se disqualifie ainsi malheureusement. Dans des chapitres aux intitulés militants tel que : « Universaliser le sujet minoritaire », surgissent de funestes mots-bubons écrits en écriture inclusive. Semblables à des Velux sur le toit d’une cathédrale, ils dénaturent un bel ensemble : « On m’a souvent posé la question de savoir pourquoi ma famille m’avait unanimement réprouvée, alors qu’à en croire Proust l’aristocratie compte tant d’homosexuel-les supposément admis-es dans son cercle. » On reconnaît qu’on aurait dû se méfier et tempérer un enthousiasme initial par trop vif puisque, dès les premières pages, on devinait d’où parlait l’auteur qui assenait littéralement, comme pour lester sa parole du poids du sacré : « Je n’ai pas d’enfants, je ne suis pas mariée, je vis avec une femme, je suis professeure d’université aux États-Unis, je vote à gauche et je suis féministe. » Qu’importe, comme l’époque veut que le bon grain soit désormais mêlé à l’ivraie, ça se lit et on passe un bon moment.
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