C’est presque officiel : l’enseignement du latin et du grec va disparaître. Il n’était jusque-là qu’une option enseignée à partir de la 5ème. Désormais, ces langues seront enfouies dans un corpus étrange, parmi lequel on trouve de la « communication » et de la « citoyenneté ». Ayant appris la nouvelle, j’ai ressorti mon Jean-Claude Michéa de combat pour analyser le marronnier de la semaine. Qu’ais-je retenu ? Que la droite bourgeoise m’a empêché de faire du latin. Et que la gauche l’a supprimé.
Allons-y : tout d’abord, question latin, il y a deux moyens d’empêcher son enseignement. Le premier est assez simple. Dans un collège classique, l’option du latin est réservée à une élite cultivée dotée au préalable d’un bon niveau de français. Cette classe de latin ne pouvant pas accueillir toute la misère de la cour de récré, elle recale les plus faibles. C’est limpide et facile à reconnaître : cela s’appelle la lutte des classes. Pour ma part, j’ai assisté au premier cours de latin à la rentrée scolaire de 5ème. Mes parents ayant entendu dire que c’était « la langue des bons élèves, vas-y mon fils », ils ont tout fait pour que le proviseur m’y laisse entrer. Victoire sociale qui n’a duré qu’une heure, puisqu’à la fin du cours, la direction m’a signalé que je n’avais rien à faire ici, pour des raisons évidentes. Je ne savais pas dissocier « naturellement » un COD d’un COI. Adieu Rosa Rosae et Jacques Brel. Cette première barrière peut être dite « conservatrice ». Vous la reconnaissez facilement : elle est montée par des fils de cadres sup et des enfants de profs. Cette barrière permet à un groupe social assez précis de préserver son héritage culturel. Elle dissocie sagement, patiemment, les médecins des avocats, les profs d’université des designers, etc. Ainsi, la droite bourgeoise avale la gauche marchande. La gauche marchande qui s’en fout, puisqu’elle se rattrapera au second tour (c’est le paragraphe d’après). Et toutes font du latin ensemble, car c’est comme ça qu’on forme un esprit critique, et l’esprit critique, c’est important, surtout quand il faut passer des concours. Une fois que la classe de 5ème 1 –dont les élèves de Terminale S, 5 ans plus tard, étaient majoritairement issus, ô magie !- a bien rodé son latin, il ne lui reste plus qu’à « préparer son avenir ».
Et puis il y a ce second moyen, beaucoup plus vicieux, de m’empêcher de faire du latin. C’est celui qu’utilise la gauche libérale. Celle qui est au pouvoir et que le philosophe Jean-Claude Michéa dénonce dans son livre L’enseignement de l’ignorance. Comment fonctionne-t-elle ? C’est très simple : cette gauche libérale se sert des inégalités sociales –c’est l’exemple de la 5ème 1- pour avancer ses pions. En clair, elle a pris acte de ma critique précédente et l’a avalée, monétisée, capitalisée, recrachée sous les saintes espèces de l’égalité des citoyens. C’est là que la gauche tient sa revanche sur le collège. Elle a aggravé les travers dénoncés au lieu de les détruire. Il lui a suffi de réduire la classe de 5ème 1 à un « capital symbolique » qui ne serait que le pur produit de la bourgeoisie, pour trouver prétexte à son abolition. Cela lui permet de recréer cette classe de 5ème 1 ailleurs, là où moi, il y a quinze ans, je n’aurais jamais, mais alors jamais eu accès. Cette différence est de taille : elle prive définitivement les classes les plus démunies d’un accès à l’instruction. Bien sûr, les inégalités se déplacent plus vite que les réformes. Les élèves les plus riches doués prendront des cours particuliers ou s’inscriront dans des écoles sur-mesure. C’est une façon détournée, et beaucoup plus perverse, de reproduire le premier schéma. Au nom de l’anticapitalisme lui-même, la gauche peut établir le règne du marché.
Pour conclure, je rappelle cette petite sortie de Loys Bonod, auteur du blog « Lutte des classes ». Bonod est un homme qui croit encore à ce bon vieux concept, et qui sait surtout très bien l’utiliser. Cet enseignant n’est pas dupe du piège libéral que tend la gauche aux enfants d’ouvriers : « Mais au fond il y encore a plus grave : paradoxalement, les langues anciennes, qui marient la grammaire, le vocabulaire, la littérature, les arts, l’histoire, les sciences, la philosophie, représentent par excellence – et depuis toujours – le meilleur de l’interdisciplinarité, ce dogme des nouvelles pédagogies qui anime l’esprit de la nouvelle réforme du collège : mais une interdisciplinarité conçue bien différemment, qui ne soit pas factice, qui fasse vraiment sens et constitue une exigence de persévérance : celle d’un enseignement patient, structuré, rigoureux et ambitieux. »
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*Photo : wikicommons.
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