Cours d’école et racisme : Madame Braun-Pivet, vous ne punissez pas les bons coupables.
Je suis indignée, choquée, scandalisée, outrée, dévastée, malàmaFrancisée par la scène à laquelle nous avons tous assisté au sein de l’Assemblée nationale jeudi 3 novembre : celle d’un acte raciste révoltant.
Alors que le député de la France insoumise Carlos Martens Bilongo évoquait le sort des migrants en pleine mer et des actions contrariées de l’ONG SOS Méditerranée dont le but est de venir en aide à ces populations, interrogeant ainsi le gouvernement sur la gestion de l’immigration illégale, un membre du Rassemblement National s’est exclamé « Qu’ils retournent en Afrique ! » Alors que monsieur Martens Bilongo allait répondre, un tollé s’empara de l’hémicycle et, comme un seul homme, les députés La France insoumise, Les Républicains, Renaissance, pour citer les principaux, se levèrent pour protester, dénonçant le propos intempestif de leur collègue, poussant Yaël Braun-Pivet a demandé au coupable – Grégoire de Fournas – de se dénoncer et clôturer la séance face à « l’émotion légitime » soulevée par de tels propos.
Le soir même, c’était la tournée des plateaux pour les députés de La France insoumise. Avec des têtes de circonstance, l’émotion un brin surjouée et la victimisation en bandoulière, ils exhibaient leur député comme un martyr, ce même député qui avait commencé à répondre à son collègue avant d’en être empêché par des cris d’orfraie – montrant par là-même qu’il avait très bien compris que l’évocation du retour en Afrique ne lui était pas destiné mais concernait le bateau – jouait l’homme meurtri « au nom de millions de Français », termes qu’il ne cessera de marteler à chacune de ses interventions. Ces mêmes députés pratiquèrent ainsi sans vergogne l’instrumentalisation qu’ils dénonçaient quelques semaines plus tôt quand il s’agissait de s’indigner et s’interroger sur la dimension politique du meurtre atroce de Lola. De façon paternaliste, ils organisèrent une manifestation de soutien à « Carlos ». Exit l’homme politique, la victime n’a toujours qu’un prénom, aucun autre patronyme, il est l’enfant innocent qu’on veut protéger, l’ami qu’on accompagne. C’est si bon d’avoir ENFIN son supplicié. Tous autour de Carlos avec un petit arrière-goût gentiment colonialiste : « touche pas à mon pote », forcément mon pote. Les plans larges de la manifestation montrent le peu d’engouement que l’appel aux chasseurs de fascistes a suscité. Il faut dire qu’ils tiennent souvent plus du charognard que du prédateur.
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Une chose est sûre : manifestement, personne n’écoutait ce que disait ce parlementaire car si tel était le cas, la saillie lancée par Grégoire de Fournas était on ne peut plus compréhensible, certainement maladroite, contestable ou pas, si on souhaite argumenter, mais compréhensible, clair, sans ambiguïté eu égard au contexte : celui d’un bateau transportant des migrants auquel l’élu La France insoumise souhaitait donner des facilités d’accostage sur les terres d’Europe. Évidemment, le tout demande un petit effort d’attention mais « en même temps », comme dit l’autre, c’est leur job. Mais au lieu de cela, songeurs, bavards, endormis ou préoccupés par l’écran de leur téléphone, les mauvais élèves ont réagi comme le chien de Pavlov à un mot : « Afrique » qu’ils ont tout de suite associé à Carlos Martens Bilongo qui se trouve être noir, renvoyant ainsi par leur réaction épidermique ce député à sa couleur de peau – ce qu’on peut aisément associer à du racisme – et oubliant de contextualiser le propos. Et oui, c’est ça, quand on n’écoute pas en cours, on se trouve fort dépourvu quand l’interro fut venue et Yaël Braun-Pivet aurait été mieux inspirée de questionner cette classe agitée sur ce que leur petit camarade La France insoumise venait de dire plutôt que de demander, l’œil rond, quel député avait pu perturber le cours, se tournant non sans régal devant les bancs occupés par le groupe Rassemblement National.
Car qu’on se le dise : quelle aubaine ! Quand on est majorité présidentielle et qu’on veut faire passer un petit 49.3 (surtout quand il prend à l’exécutif, en sus, la folle envie de régulariser des sans-papiers pour faire ce fameux travail que ces feignasses de Français ne veulent pas faire) d’un côté, que de l’autre on est Les Républicains et qu’on risque de rejoindre le Parti Socialiste pour les journées du patrimoine, et qu’au milieu, chez La France insoumise, on doit son existence à l’Assemblée à l’alliance NUPES et qu’on commence à en avoir ras la marche blanche des exactions commises par les OQTF, cette petite phrase, grossièrement détournée, c’est du pain béni (pardon d’avance pour cette atteinte à la laïcité).
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Haro sur le baudet ! On n’a pas révisé les derniers cours, donc on va sortir ce qu’il nous reste du vocabulaire des classes précédentes. On a reculé d’une heure le week-end dernier et là, c’est une grande partie de la classe politique et des médias, avec un Emmanuel Macron plus remonté que jamais, qui donnent dans la surenchère et reculent de deux décennies : « nauséabonds », « heures les plus sombres », « haine », « Le RN dévoile son vrai visage », « Le ventre de la bête immonde est encore fécond », « Un facho reste un facho », tous les slogans ressassés refont surface à tel point qu’en regardant les réseaux sociaux, Twitter en tête, on a davantage l’impression de pianoter sur un minitel que sur un ordinateur. Zéro, hors-sujet, développez, revoyez votre cours ! Mais surtout, par pitié, ne redoublez pas… Réorientez-vous.
Cette vaste mascarade, qui avait déjà fait fi de toute honnêteté intellectuelle, s’est prolongée avec la sanction la plus lourde prévue par le règlement de l’Assemblée nationale : une censure temporaire qui interdit au député de se présenter pendant quinze jours dans l’hémicycle avec privation de la moitié de son indemnité parlementaire pendant deux mois. La dernière – et seule – en date qui l’a précédée fut prononcé à l’encontre du député apparenté communiste, Maxime Gremetz, qui interrompit à plusieurs reprises pour des motifs futiles une séance consacrée à l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima. D’autres, moins graves, concernaient l’évocation du passé vichyste de François Mitterrand ou encore le salut nazi – une peccadille, hein – du député La République en marche, Rémy Rebeyrotte, qui s’était courageusement défendu en prétendant imiter un élu Rassemblement National. Autant vous dire que nous sommes arrivés à un niveau politique de bac à sable.
Escorté de deux policiers, s’enfonçant dans les « poubelles de l’Histoire dont l’extrême droite n’aurait jamais dû ressortir », le député La République en marche a quitté le Palais-Bourbon, la lumière a pu revenir dans un hémicycle enfin propre, débarrassé du bouc-émissaire.
Et d’entendre partout la satisfaction des Jean Moulin en pantoufles, heureux d’avoir contribué à faire condamner le racisme, ce racisme dont ils étaient eux-mêmes les initiateurs. Il faut un sacrifié pour que le groupe survive.
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Pourtant, l’éviction temporaire du député n’est pas le fait de ses propos. Le rapport de la séance a montré que son interpellation visait le bateau de migrants. Embarrassant après toutes ces envolées lyriques… Il faut pourtant l’exclure et puisqu’il y a eu du chahut dans la classe, c’est sous le motif de « manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse » que la punition a été donnée. Le tumulte savamment créé fera en sorte qu’on ne retiendra que la relation lointaine de cause à effet : racisme et exclusion.
Que de sagesse dans la volonté des Insoumis de rétablir l’ordre ! Voilà ces révolutionnaires sans-cravates devenus de bons petits bourgeois qui vantent les mérites d’une assemblée policée. Mais que de fragilité de la part de l’ensemble des députés, pour la plupart prompts à manier un vocabulaire belliciste, certains voulant même mettre les autocrates à genoux, qui, soudain, se découvrent une intolérance aux débats houleux comme d’autres au gluten.
Ceux qui avaient été exclus de l’obligation du pass sanitaire s’en retrouvent désormais pourvus d’un qui s’applique à la parole. Attention, les idées et la pensée peuvent se transmettre, veillez à respecter les gestes barrières ! Pourtant, les débats doivent être houleux et la vindicte, si elle doit rester courtoise, n’en est pas moins nécessaire. Qui veut d’une vie démocratique aseptisée, insipide, sous cloche, comme l’est déjà la société qu’on nous propose, sans formes pour servir le fond ?
Car pendant qu’on chouine et qu’on s’effarouche, la France sombre un peu plus tous les jours, les Français s’inquiètent de leur propre sort, de moins en moins enclins à se laisser berner par les écrans de fumée comme cette pantomime au très petit budget qui creuse chaque jour un peu plus l’écart entre eux et leurs « élites ».