« L’apothéose du nombrilisme intello-bouffon contemporain. » Didier Desrimais analyse une oeuvre tristement représentative de l’art contemporain
Vous ignoriez tout de l’onanisme artistico-intellectuel qui sévit dans les galeries d’art les plus réputées et jusque dans les studios de notre radio publique ? Il existe un moyen de rattraper votre retard et de vous familiariser en à peine une heure avec le verbiage des cuistres qui se prennent pour des créateurs : écoutez l’émission de France Inter intitulée « Sous le soleil de Platon », diffusée ce matin du 15 août 2022 et animée par Charles Pépin qui y recevait Orlan, une « pionnière dans l’art contemporain » qui signe des « œuvres provocatrices ».
Dans l’essai de l’écrivain Gérard Blua et et du peintre Olivier Bernex récemment paru aux éditions Maïa, Du canul’Art à l’Art’naque, on peut lire : « C’est ainsi que des cultes de la personnalité se révélant de-ci, de-là, croissent dans l’exhibitionnisme que l’on nous présente dans une totale confusion comme des œuvres d’art. D’ailleurs, en existe-t-il encore quelques-unes de véritables, au hasard des survies artistiques? Tout se brouille dans la profusion et la confusion des supercheries exposées ». L’art dit contemporain, « emporté dans la bonde de l’urinoir de Marcel Duchamp », n’a jamais manqué de ces exhibitionnistes sans talent qui occupent toute la scène et empêchent de voir les créations des dizaines de véritables plasticiens « contemporains » que les grandes galeries et les musées privés et publics ignorent.
Et donc, Orlan. En 1977, rappelle Charles Pépin, cette « artiste » fait scandale (c’était le but, évidemment) lors de la 4ᵉ édition de la Foire internationale d’Art Contemporain en s’installant au Grand Palais recouverte d’une photographie de son buste nu et proposant un « Baiser de l’artiste » (« un baiser avec la langue », précise-t-elle) à chaque visiteur contre une pièce de cinq francs. Depuis, des galeries internationales se l’arrachent, des musées d’art contemporain se la disputent, les prix se succèdent. En 2020, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Culture, décore de la Légion d’honneur cette artiste rebelle qui désire que son nom soit écrit en lettres capitales pour « ne pas entrer dans le rang ».
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Lors de son émission, Charles Pépin dit avoir en face de lui une artiste « transmédia » qui est d’abord une femme. « Mais entendons-nous bien, ajoute-t-il aussitôt, pas une femme au sens où cette femme serait née femme, aurait été assignée à résidence genrée par Madame La Nature, pas non plus une femme au sens de cet objet obligé de correspondre au désir des hommes ou, pire, au désir des peintres, qui accepterait de rester bien sagement à sa place dans le tableau comme d’autres restent en cuisine, quand elles ne sont pas enfermées à clef par un mari jaloux, non, une femme qui par l’art, par son art, s’est inventée, faisant de sa vie et de son œuvre une performance totale, faisant de son corps, mais de son corps augmenté, opéré, greffé, hybridé, de son corps choisi, une œuvre d’art totale, les opérations de chirurgie filmées et diffusées en live relevant elles aussi de l’œuvre, de la performance artistique. » Rien ne manque : un zeste de transgenrisme permettant de dépasser “l’assignation” naturelle, une pincée de féminisme via un possible “male gaze” concupiscent des peintres, une noix de dénonciation du patriarcat, le tout lardé d’une vision de l’art contemporain reposant sur des “performances totales” – lesquelles, omettra de préciser Charles Pépin, ne nécessitent pas d’autre travail que le blablatage foutraco-conceptuel accompagnant ici une pénible “transformation” du corps, substrat au fantasme démiurgique et transhumaniste de l’artiste en question. Parmi ces “performances”, les films de ses opérations chirurgicales (dont la pose d’implants protubérants sur ses tempes) censées remettre en cause « les normes de la beauté » et dénoncer « les violences subies par le corps des femmes ». Orlan veut faire « de [sa] vie et de son corps une œuvre totale ». Par conséquent, pour « [sa] démarche artistique » elle a, par exemple, « élevé [sa] flore intestinale, buccale ou vaginale et cultivé [ses] cellules » (sic). Bref, elle se regarde le nombril au microscope en rabâchant des médiocrités remâchées : « Je suis une artiste qui n’est absolument pas assujettie à un matériau, à une pratique artistique, à une technique ou à une technologie, qu’elle soit nouvelle ou ancienne. […] Ce que je veux, c’est dire des choses importantes. J’ai cette prétention pour mon époque en interrogeant des phénomènes de société, en me situant. » En quelques mots, Orlan dévoile malgré elle la platitude des ambitions formelles de son « art » et décrit la métamorphose de la figure de l’artiste en prétentieux sociologue ratiocinant sur des phénomènes de société. Nul besoin de maîtres anciens pour fabriquer cette purée conceptuelle, la même qui s’étale sur les prospectus publicitaires de certaines expositions d’art contemporain et qui font l’essentiel de « l’œuvre ».
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Disciple de Paul B. Preciado, de Judith Butler et de Donna Haraway, Orlan trouble, fluidifie, hybride, cyborgise son corps pour le rendre conforme à son désir et pour repousser l’inéluctable. Sur son site, elle incite ses admirateurs à signer une pétition contre la mort : « Ça dure depuis bien trop longtemps ! Ça doit s’arrêter ! Je ne suis pas d’accord, je ne veux pas mourir ! […] Il est temps de réagir contre la mort. » Si elle meurt quand même, elle souhaite que son corps soit momifié et exposé dans un musée. Elle a peint « L’Origine de la guerre », copie de « L’Origine du monde » de Courbet mais avec un phallus, « symbole du pouvoir souverain et de la guerre entre les sexes ». Elle expose en ce moment douze collages à partir d’œuvres de Picasso représentant les femmes qui l’ont inspiré et sur lesquelles elle a collé sa bouche qui crie et ses yeux exorbités afin de questionner « le statut des femmes de l’ombre, modèles, inspiratrices, muses qui ont beaucoup donné pour la notoriété de nos grands maîtres » (1). Elle appelle ça de l’art. D’autres appellent ça du jeanfoutrisme intégral ou du marketing culturel, c’est-à-dire l’art de tordre l’art sous les diktats sentimentalistes, moralisateurs et racoleurs du politiquement correct (2).
La bimbeloterie sculpturo-corporelle et baratineuse d’Orlan, c’est l’apothéose du nombrilisme intello-bouffon contemporain. Rien n’apparaît, dans cette exposition pathologique de soi, qui pourrait mériter de près ou de loin le nom d’œuvre d’art. N’ayant pas d’autre don que celui de discourir platement sur ses “œuvres” dénuées de tout intérêt artistique, cette exhibitionniste boursoufflée sermonne les artistes d’antan. Elle colle à la roue vertueuse de toutes les bonnes causes dans l’air du temps. Le FRAC (Fonds régional d’art contemporain) Occitanie-Toulouse présente actuellement une exposition de ses « œuvres » (3). Le texte de présentation de cette exposition est sans surprise : « ORLAN s’oppose à la morale, aux déterminismes naturels et sociaux, ainsi qu’à toutes les formes de domination : suprématie masculine, religion, ségrégation culturelle, racisme, etc. […] Son œuvre éminemment politique nous engage à l’émancipation et à la résistance face aux diktats. » Texte copié et collé sur un nombre croissant de présentations d’expositions, de pièces de théâtre, de Festivals d’Avignon, de mises en scène d’opéra, de livres et de films traitant de « sujets sociétaux » en vogue. Comme un symbole de la boucherie culturelle actuelle, cette exposition est présentée dans… Les Abattoirs (nom du Musée-Frac de Toulouse).
(1) Les femmes qui pleurent sont en colère, au Musée Picasso, Paris, du 17 mai au 4 septembre.
(2) Conseil de lecture indispensable : L’art du politiquement correct, d’Isabelle Barbéris.
(3) Manifeste ORLAN. Corps et sculptures, du 8 avril au 28 août 2022.
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