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Insolite: l’antisionisme des Juifs de New York

Ces Juifs américains qui dénoncent l'Etat d'Israël


Insolite: l’antisionisme des Juifs de New York
Des groupes de juifs propalestiniens manifestent devant la maison du sénateur Chuck Schumer, New York, le 23/04/2024 Michael Nigro/PACIFIC PRE/SIPA

La population juive de l’État de New York est divisée, une partie non négligeable adoptant une position ouvertement antisioniste qui, en réalité, reprend les éléments essentiels de la propagande palestinienne. Harold Hyman est allé à la rencontre des militants de Jewish Voice for Peace, association importante qui regroupe un grand nombre de ces Juifs américains qui dénoncent l’État d’Israël. Récit.


Les Américains de la Côte Est se prennent de passion pour le conflit entre Israël et le Hamas. Dans la ville de New York, et plus encore dans la vallée de l’Hudson qui va de la ville jusqu’à Saratoga, à 300 km au nord, tous les regards sont braqués sur cette guerre, et les expressions de solidarité pour le camp palestinien l’emportent clairement. Curieusement, c’est dans les districts où il y a le plus de Juifs des classes moyennes ou aisées que ce sentiment pro-palestinien est le plus visible. Une organisation juive se récalamant de l’antisionisme, Jewish Voice for Peace (La Voix juive pour la paix) (JVP), est très présente ici. Elle place ses affiches et dépliants dans tous les endroits stratégiques : librairies, salons de thé, cafés et restaurants, boutiques, galeries d’art, pharmacies, quincailleries, poteaux électriques… Sociologiquement, cette Vallée de l’Hudson est comme un nouveau Brooklyn et devient de plus en plus bobo. Très peu de présence musulmane ou arabe. Une constante minorité juive, et une majorité d’Anglo-néerlandais (la première souche de colonisation), d’Irlando-américains, d’Italo-américains, et ça et là des Hispaniques et des Afro-américains. Ce n’est pas une région qui envoie des Républicains MAGA au Congrès des États-Unis.

C’est le 16 mars que j’ai eu l’occasion de rencontrer les adhérents de la Jewish Voice for Peace of the Hudson Valley, la section locale de l’organisation. JVP se présente comme « la plus grande organisation juive progressiste anti-sioniste au monde ». Elle se dit populaire, multiraciale, interclasse, intergénérationnelle. « Si vous cherchez un domicile politique pour les Juifs de gauche en cette période périlleuse, si vous voulez une communauté juive axée sur la justice, si vous cherchez à transformer votre indignation et votre chagrin en action concrète et stratégique : Rejoignez-nous ! ». Ces quelques lignes, qui figurent sur le site web officiel de la section, reflètent parfaitement l’ambiance de la branche de l’Hudson Valley. J’ai croisé ses membres dans le village de Saugerties, à 15 km de Woodstock, le célèbre endroit près duquel habite Bob Dylan et le site du méga concert de rock (qui en fait a eu lieu à 80 km de là). 

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Une affiche devant la librairie du village de Saugerties invite le passant à venir visionner le film documentaire de 2013 Voices Across the Divide, d’Alice Rothchild, une Juive américaine, qui présente des portraits de Palestiniens en exil. Curieux, je me rends dans la salle de projection de la bibliothèque municipale. Une quarantaine de spectateurs, dont une majorité de retraités, quelques rares jeunes. Une poignée de keffiyeh. Le documentaire en question, consacré à des Palestiniens, ou leurs enfants, qui avaient fui ce qui allait devenir l’État d’Israël en 1948, était touchant. On y voit des personnes bien réelles en 2013, qui ont dû emporter quelques valises et attendre chez des cousins ou dans des hôtels en Jordanie. Des réfugiés qui se souviennent de leurs mères qui avaient vendu leurs bijoux pour survivre dans les premiers jours ; des hommes, tout petits alors, qui avaient fui avec leurs parents et qui, à l’époque, avaient trouvé cela amusant, sans rien comprendre. Des enfants élevés en Jordanie, qui sont venus étudier aux États-Unis ou au Canada, pour ensuite y rester et découvrir que personne autour d’eux ne connaissait la Nakba, ni même l’existence d’Arabes palestiniens sauf en tant que terroristes.

Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient.

Le film d’une heure met en scène ces personnes, leurs souvenirs, leurs photos de famille. Leurs expériences sont touchantes et infiniment tristes. Pourtant, le film présente également un récit des guerres de 1948 et de 1967 qui est tiré directement des documents pédagogiques fournis par les nationalistes palestiniens : « En 1948 les Juifs ne formaient qu’un tiers de la population et ne possédaient que 7% des terres. Le plan de partage de l’ONU leur en offrit 55%, et à la fin de la guerre ils en possédaient 78% ».

Que veut dire l’inclusion de cette séquence ? Que les Juifs auraient dû se contenter de 7%, que 55%, c’était déjà très généreux ? Ensuite, qu’aucun kibbutz n’a été attaqué, qu’il n’y a eu aucune expulsion de colons juifs dans l’autre sens, depuis Hébron et l’Est de Jérusalem ? Pourquoi taire ainsi le fait que plusieurs armées arabes ont attaqué en même temps, contre une armée juive squelettique sous-armée et sans alliés internationaux ? Pourquoi taire le fait que le seul véritable succès arabe a été celui de la Légion Arabe de Jordanie, avec ses éléments britanniques ? Rien n’est faux dans cette séquence historique, mais les omissions sont archi-trompeuses.

Cependant, le documentaire révèle certains points historiques qui méritent toute l’attention du spectateur. D’abord, une absence totale de logique chez les leaders arabes, qui, à certains endroits, voulaient que les villageois arabes restent et se battent, mais en d’autres endroits voulaient que les milices palestiniennes se retirent. In fine, beaucoup de civils palestiniens sont partis pour éviter d’être pris entre deux feux. Par la suite, l’État israélien n’a permis à aucun de ceux qui s’étaient enfuis de de rentrer dans sa demeure. L’explication juridique de cette dure réalité n’est pas faite, le spectateur doit simplement se dire : c’était la loi inique israélienne. Je m’attends à une ébauche d’explication, mais il s’agit là d’un film de souvenirs, et non un documentaire historique.

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Après le film, je participe à discussion entre les spectateurs, animée par le comité directeur au café du coin. Beaucoup de ces spectateurs commencent par un discours similaire : « Je viens d’une famille juive, nous ne nous sommes jamais vraiment préoccupés des Palestiniens, mais maintenant je ressens une vive émotion face à leur sort ». Quand je leur fais remarquer que les Palestiniens filmés étaient pratiquement tous des chrétiens, on me demande, sans aucune agressivité, « Comment le savez-vous? » Je suis donc obligé d’attirer leur attention sur le fait que la majorité des intervenants porte la croix ou célèbre Noël. Bien qu’un petit nombre ne dit ou ne révèle rien sur sa religion, il n’y a pas une seule femme en foulard et à peine deux ou trois prénoms coraniques. Les membres de la branche locale de JVP ne se montrent pas bornés et sont ouverts au questionnement. « Le documentaire est donc biaisé ? Est-ce possible ? » s’interrogent-ils à haute voix. C’est la première fois qu’ils prennent conscience de cette possibilité. Leurs certitudes en sont-elles ébranlées ? Nullement.

Une autre de leurs certitudes : Benjamin Netanyahu est archi-criminel. Je leur fais remarquer que sa coalition gouvernementale comporte de nombreuses personnes qui partagent son avis et que certains font preuve de plus d’intransigeance encore que lui. Que Netanyahu n’a jamais caché son refus d’une solution à deux États. Qu’on pouvait lui reprocher ses turpitudes présumées, mais pas une quelconque imposture idéologique. Ce sur quoi ils semblent acquiescer. Un homme israélo-américain ayant immigré à Saugerties dans son adolescence mais qui a gardé des liens avec Israël se montre le plus ouvert et compréhensif.

J’ajoute que les Israéliens du centre et du centre-gauche ne veulent pas épargner le Hamas, et exigent – tout comme Netanyahu – la restitution des otages sans renoncer à désarmer le Hamas par la force brute. Que le Hamas ne veut pas s’arrêter, continue à tirer sans cesse, et attaque où il peut. Que le Hezbollah, autrement plus puissant que le Hamas, menace de se mêler à cette histoire. Et enfin, que le Hamas a promis de refaire le 7 octobre, et ne reconnait aucune exaction barbare, accusant Tsahal d’avoir tourmenté les civils israéliens fautifs d’avoir laissé le Hamas envahir ! Là, personne ne me contredit.

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Les JVP écoutent toutes mes remarques d’un air poli, souriant, et même réceptif. Ma connaissance journalistique d’Israël et de la situation actuelle leur inspire un certain respect. Mais ils ne peuvent changer d’avis en un quart d’heure. Ils m’expliquent leur passé de militants politiques, et je comprends que, pour eux, les Gazaouis ressemblent aux Vietnamiens qui ont résisté à la puissance américaine, ou aux Irakiens écrasés par l’armée de l’Oncle Sam. Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient. L’idée que les Israéliens vivent une crise existentielle est éclipsée par leurs sentiments sincères d’Américains déconnectés de la périlleuse réalité. Je me demande si les JVP de Saugerties ont gardé la même vision des choses après l’attaque aérienne iranienne. J’irai peut-être les revoir lors de mon prochain voyage pour voir s’ils ont modifié leur point de vue.



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Harold Hyman est franco-américain, élevé à New York, ancien du « Lycée » français de New York, diplômé de Columbia University et l’Université de Montréal. Il s’installe définitivement à Paris en 1988. Journaliste à Reader’s Digest, puis RFI, Radio Classique, BFMTV, actuellement CNEWS. Il a couvert l’Extrême-Orient, les États-Unis et le Moyen-Orient. Auteur de Géopolitiquement correct & incorrect (éditions Tallandier, 2014) puis de États-Unis: Tribus américaines (éditions Nevicata).

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