« Sauvons la diversité de la pensée européenne ! » Une telle déclaration peut paraître au premier abord exagérée. Après tout, nous vivons dans une nouvelle ère de globalisation, pour ne pas dire de mondialisation. Il faut donc s’adapter au changement si l’on veut rester dans la ligue des leaders incontournables de ce monde. Pour reprendre Darwin, « les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux aux changements ».
Ainsi la planète entière se met-elle à l’anglais. Même la première puissance économique, l’Union Européenne, confédération multiculturelle, l’a de facto adopté comme langue de travail. Rappelons que cette langue est celle d’un Etat non fondateur qui menace de quitter les institutions européennes d’ici 2017, s’il n’obtient pas des exemptions au niveau des règles du club. On l’a vu ces derniers jours encore, la Grande-Bretagne refuse de joindre le programme solidaire de répartition des réfugiés syriens sur le territoire de la Communauté européenne.
Il est de plus en plus probable que l’UE se retrouvera avec une langue de travail qui n’est pas celle de ses membres, sachant les 4,5 millions d’Irlandais ont le gaélique. En imposant l’anglais aux bureaucrates de Bruxelles, les Européens s’assujettissent implicitement à la pensée anglo-saxonne ; je fais référence uniquement à une façon de concevoir le monde et de l’évaluer par des critères américains dont la Grande-Bretagne est la première victime, en abandonnant progressivement l’Etat providence et en pariant sur une économie centrée sur la spéculation financière à haut risque.
En ayant l’anglais comme langue de communication, les Européens se soumettent donc à une conception du monde où la consommation à outrance, la valorisation de la richesse matérielle, l’individualisme, le communautarisme seront de mise. Les critères de qualité de vie, de cohésion sociale, de solidarité, d’intégration, de développement durable, de compassion pour les plus démunis, de la protection environnementale ne compteront plus. Certes, les Etats-Unis sont une grande nation qui reste impressionnante par son dynamisme, sa démocratie, son optimisme et par la volonté de ses citoyens à devenir riches et célèbres, mais il est essentiel de garder notre identité européenne qui partage les valeurs de liberté et de démocratie avec les Américains, mais qui diffère au niveau de nos idéaux.
Les Français, en particulier, rechignent à s’adapter à la mondialisation, ne se sentent pas très à l’aise avec la langue anglaise. Leur conception de la laïcité les distingue des autres. Selon les anglophones l’accent français est très joli, sexy même, mais ce faux compliment les dessert ; en effet, dans le monde du négoce, notre intonation et notre prononciation nous rendent plutôt comiques et nuisent à notre crédibilité. S’y ajoutent une économie stagnante, un fort taux de chômage, une bureaucratie tentaculaire, une élite coupée de la réalité, des réformes timides, un état trop pesant et un échec de l’intégration des enfants d’immigrés.
Néanmoins, la France a su préserver une économie diversifiée, une industrie, une démographie dynamique grâce à sa politique sociale, une main d’œuvre qualifiée, une unité nationale qui doit être renforcée afin que les manifestations après les attentats contre Charlie hebdo et l’Hyper Cacher n’aient pas été qu’un feu de paille. Elle doit lutter avec ses partenaires pour officialiser trois langues de travail égales dans les institutions européennes : une langue germanique, une langue latine et une langue slave ; ainsi, la diversité de la pensée et des valeurs sera respectée.
L’Europe, tour de Babel, doit se construire avec l’efficacité et la comptabilité allemandes, le progressisme scandinave, la créativité italienne, le dynamisme polonais, le modernisme espagnol, l’engouement irlandais, l’adaptabilité néerlandaise, la philosophie grecque, les idéaux de solidarité français et pourquoi pas avec une dose de pragmatisme britannique. S’adapter peut vouloir dire « non » à l’uniformité.
*Photo: Pixabay.
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